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Élections législatives en Grèce : le tourisme, essentiel à l'économie, mais à quel prix ?

Élections en Grèce : le tourisme

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Par Françoise Wallemacq & Mathieu Van Winckel, édité par M. Allo via

La campagne en vue des élections législatives s’achève cette semaine en Grèce. La population ira voter ce dimanche 21 mai pour renouveler son parlement avec peut-être un second mandat pour le Premier ministre conservateur de Kyriakos Mitsotakis et son parti Nouvelle-Démocratie (ND) ou le retour de la gauche Syriza menée par Alexis Tsipras. Les prédictions actuelles vont plutôt dans le sens d’un second tour qui aurait lieu au début du mois de juillet, en raison de l’indécision de la population.

Des élections organisées quatre mois après l’accident ferroviaire le plus grave qu’ait connu le pays; il a fait 57 morts, des dizaines de blessés et provoqué un mouvement de colère contre le gouvernement actuel. La population est aussi épuisée par une cure d’austérité et une crise économique sans fin. Les inégalités dans la société sont importantes et l’inflation est sur toutes les bouches.

Dans ce contexte, le tourisme tire son épingle du jeu. Ce secteur florissant est à la fois une ressource essentielle du pays, mais aussi un élément destructeur pour la république hellénique.

L’afflux de touristes pourrait dépasser 35 millions cet été et les recettes atteindre 20 milliards d’euros.

© rtbf

C’est un territoire énorme, on privatise un petit bout.

Nous démarrons notre reportage dans un petit coin de paradis, dans la Riviera d’Athènes. À près de 40 kilomètres de la capitale cette presqu’île a été pratiquement privatisée par des investisseurs grecs. Constantin Calios, responsable des relations publiques, estime que la Grèce devient une destination mondiale. "Il y a de plus en plus d’établissements 5 étoiles." Il rappelle l’importance du secteur touristique comme l’un des piliers de l’économie du pays ?

Sur place on dénombre seize plages de sable fin, des bungalows blancs tournés vers la mer turquoise, des restaurants de luxe et une salle de séminaire. Les touristes russes ne viennent plus depuis pratiquement deux ans, mais les Arabes et les Américains les ont remplacés.

Constantin Calios concède qu’une Grèce à deux vitesses se développe. "Oui et non", dit-il. "C’est un territoire énorme, on privatise un petit bout. En Grèce, ce n’est pas comme dans les autres pays où vraiment on exploite le tout pour l’argent. Non, en Grèce on essaye de garder vierge le paysage."

Dans l’hôtel que nous visitons les tarifs s’élèvent de 400 euros à 1000 euros la nuit. L’établissement voisin a, lui, installé des grilles dans la mer pour empêcher les nageurs indésirables d’accéder à leur plage privée.

© RTBF

Un projet de parc abandonné

À quelques kilomètres de la Riviera, se trouve l’ancien aéroport international d’Hellinikon (remplacé depuis 2001 par celui d’Elefthérios-Venizélos). Le site est donc désaffecté depuis une vingtaine d’années et est rasé actuellement. Le projet était d’y installer le plus grand parc métropolitain du pourtour méditerranéen avec des espaces verts et arborés qui auraient fait baisser de 3 °C la température cuisante de la ville d’Athènes en été.

Le gouvernement de droite a préféré vendre le site à un richissime armateur appuyé par un investisseur qatari. Sur le chantier, on peut voir des panneaux vantant le futur centre commercial, des hôtels de luxe flanqués d’une tour insolente qui dominera la Marina. Les habitants du quartier sont déçus, voire en colère comme Panos, un citoyen.

"Quand j’étais petit, on venait voir des avions décoller, courir dans les champs et faire mille bêtises. Aujourd’hui, ce lieu est désolé et je me demande ce que cela va devenir. On nous avait promis un parc, un poumon vert pour Athènes et on va avoir un ghetto pour les riches. Avec un casino et tout ce qui va avec et complètement coupé de la population du quartier."

La Grèce est devenue un gigantesque magasin de jouets où les investisseurs étrangers se servent avec avidité. Après la crise de 2010, des plages et la plupart des propriétés de l’État ont été vendues pour rembourser la dette du pays.

Cela créera des milliers d’emplois, assure le gouvernement. Mais ici, le salaire moyen avoisine les 1100 euros à peine. Pas plus de 700 euros pour un simple serveur. Des nombreuses personnes sont obligées de cumuler de nombreux emplois pour survivre. Les vacances au soleil sur les célèbres îles grecques, ce n’est pas pour eux.

Une capitale qui change de visage

À la question de savoir si la capitale est aussi en proie aux investisseurs qui tablent sur le tourisme ? Notons qu’en quatre ans, 70 hôtels ont surgi de terre autour d’Athènes. La plupart des squats, occupés par de jeunes anarchistes qui accueillaient des migrants, ont été fermés de force par la police. Certains sont transformés pour la location sur une célèbre plateforme. Quant au centre de la ville, il se gentrifie, parfois au détriment du patrimoine millénaire de la Grèce antique.

Pendant la crise sanitaire, par exemple, les autorités ont discrètement coulé du béton sur les dalles anciennes de l’Acropole pour faciliter la visite des personnes à mobilité réduite, mais aussi des cohortes de touristes.

Les deux derniers cinémas d’art et d’essai de la capitale, l’Astor et l’Ideal, pourraient être rachetés par un groupe hôtelier et transformés en salle de séminaires. Les Athéniens s’y opposent, mais on assiste à une bataille du pot de terre contre le pot de fer.

En résumé, Athènes change lentement de visage, au grand bénéfice des investisseurs étrangers. Cela désole les habitants de souche, attachés à cette ville fatiguée, poussiéreuse, tentaculaire avec ses cicatrices grises et ses graffitis colériques.

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