Chroniques

Elisabeth Borne, une Première ministre en sursis

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Par Annick Capelle via

"La retraite, c’est toujours non". C’est ce que les syndicats clamaient à Paris et dans d’autres villes françaises ce mardi 6 juin. La réforme des retraites a pourtant été votée par l’Assemblée nationale en mars dernier. Mais la colère est toujours bien là. Ambiance très tendue dans les rues donc. Ambiance tendue aussi au sommet de l’Etat. Il y a de l’eau dans le gaz entre le président Emmanuel Macron et sa Première ministre Elisabeth Borne.

Le jeu des Sans Borne

On connaît tous le jeu des Mille bornes. Désormais il y a le jeu des sans borne : "sans", S-A-N-S évidemment.

Sans Borne, parce que c’est sans Elisabeth Borne qu’Emmanuel Macron se verrait bien poursuivre son quinquennat.

Autant vous dire tout de suite que ce serait une très mauvaise nouvelle pour les journalistes qui, comme moi, adorent les jeux de mots. Et Dieu sait si le nom de la Première ministre française s’y prête. Borne to be alive. Borne again.

Oui, mais voilà, entre le président et sa cheffe du gouvernement, il y a de la friture sur la ligne. Et depuis quelques semaines, la rumeur enfle autour d’un remaniement ministériel.

Un des effets de la réforme des retraites ?

Entre Emmanuel Macron et Elisabeth Borne, ça n’a jamais été le fol amour. Quand elle a été nommée il y a un peu plus d’un an, elle n’était pas le premier choix du président.

Macron-Borne, ce sont deux styles très différents. Et ils n’ont pas toujours été alignés sur certains dossiers. Mais depuis l’activation du fameux article 49.3, en mars dernier, leurs relations se sont fortement détériorées.

Ce passage en force de la réforme des retraites a été perçu comme un fiasco par beaucoup, qui ont réclamé la tête de la Première ministre. Emmanuel Macron aurait pu la congédier à ce moment-là, mais il a préféré temporiser. Notamment pour montrer qu’il ne cédait pas à la pression de la rue ou à la pression médiatique.

Il a donné 100 jours à Élisabeth Borne pour relancer la machine gouvernementale. Mais depuis, on peut dire qu’il ne lui fait aucun cadeau. Il lui envoie uppercut sur uppercut. Il l’humilie à coup de phrases assassines.

Comme lorsque, deux jours après le vote de la réforme des retraites, sur le plateau de TF1, il lui confie la mission d’élargir la majorité, et qu’il ajoute cette petite phrase féroce : "J’espère qu’elle y parviendra".

Ou quand, deux semaines plus tard, Elisabeth Borne tente une sortie de crise en prônant l’apaisement avec les syndicats, et qu’elle dit souhaiter respecter une "période de convalescence", Emmanuel Macron, de son côté, jette de l’huile sur le feu, en taclant précisément les syndicats. Clairement un désaveu.

Il y a quelques jours encore, le président remet ça. Et cette fois le coup est encore plus violent. L’affaire remonte au 28 mai. Ce jour-là, Elisabeth Borne est l’invitée de Radio J (radio juive en France). Elle évoque, au micro, une filiation entre le Rassemblement National et le maréchal Pétain. "Le Rassemblement National, dit-elle, est l’héritier du pétainisme".

La Première ministre est aussitôt recadrée sèchement par Emmanuel Macron. Ça se passe à huis clos, lors d’un conseil des ministres, mais l’information fuite rapidement. Le président estime que ce n’est pas comme ça qu’on arrivera à décrédibiliser le parti de Marine Le Pen. Que les mots utilisés par Elisabeth Borne sont des mots des années 90. Et qu’il ne peut croire que les millions de Français qui ont voté pour l’extrême droite sont des fascistes…

Un nouvel uppercut à l’intention d’Elisabeth Borne (décroché, selon les personnes présentes, sans adresser un regard à sa Première ministre), et d’autant plus douloureux que le père d’Elisabeth Borne était un rescapé des camps nazis.

Bref, la Première ministre semble clairement en sursis. La question est de savoir quand Emmanuel Macron débranchera la prise. Peut-être le 14 juillet, jour de la fête nationale. Mais peut-être attendra-t-il jusqu’en septembre.

Pourquoi attendre ?

Pourquoi ne pas trancher dès à présent ? Parce que ce n’est pas aussi simple que ça. D’abord, Elisabeth Borne a pas mal de soutiens. Ceux qui l’ont défendue quand elle a été nommée et qui continuent de la défendre.

Rappelons qu’Emmanuel Macron n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et qu’il doit compter sur l’opposition pour voter certains textes législatifs.

Elisabeth Borne représente l’aile gauche de la macronie. Elle est censée attirer les voix des élus de gauche.

Or ses soutiens craignent que son départ ne tire le gouvernement vers la droite. C’est donc une vraie lutte d’influence qui se joue en coulisses.

Elisabeth Borne pourrait-elle jeter l’éponge ?

On la dit très énervée par les coups bas de son président. Mais Elisabeth Borne ne fait aucun commentaire. Fidèle à elle-même, avec cette capacité qu’elle a à encaisser les coups sans broncher.

Elle sait que ses jours sont comptés, mais elle continue à travailler d’arrache-pied. De 8h à 23h. Avec une détermination sans bornes…

Encore un de ces jeux de mots faciles, qui fait qu’on risque de regretter la Première ministre française.

Surtout quand on voit les noms qui circulent pour la remplacer. Darmanin, Le Maire : nettement moins propices aux calembours.

Il y a peut-être l’ancien ministre de l’Agriculture, dont le nom est également cité : Julien Denormandie. Nos confrères de Politico ont d’ailleurs déjà mis une option sur D-Day… le jour où M. Denormandie pourrait être désigné à la tête du gouvernement français.

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