Belgique

"Elles m’ont excisée" : où se réparer en Belgique par la parole et la chirurgie

© Gettyimages

Fanta avait 8 ans. Même pas un petit bout de femme. Un petit bout de fille. Ce jour-là, elle ignorait tout de ce qui allait être arraché son corps, à sa vie : "Je n’étais pas au courant de ce qui se passait réellement et quand je suis arrivée, j’ai vu trois vieilles dames, plus celle qui m’a excisée. Ça fait quatre. Elles m’ont mise par terre, m’ont écarté les jambes. Jusqu’à aujourd’hui, je vois ce film devant moi. Ils m’ont excisée. J’ai beaucoup, beaucoup souffert. J’ai failli y laisser la vie, vraiment. Et jusqu’à aujourd’hui, j’ai encore le film, le traumatisme, les séquelles en moi."

Fanta Cissé vit en Belgique. Elle a fui son pays, la Guinée, parce qu’elle était aussi contrainte à un mariage forcé. Elle est arrivée seule dans notre pays et a été aidée par le GAMS, le Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles. Comme Fanta, la Belgique compte plus de 23.000 filles et femmes ayant subi une mutilation génitale. Certaines d’entre elles franchissent le pas : elles consultent l’un des deux centres multidisciplinaires hospitaliers belges, qu’il s’agisse du centre CeMAVIE au CHU Saint-Pierre à Bruxelles ou de la VrouwenKliniek à l’UZGent. Ces deux centres sont accrédités par l’INAMI et permettent d’offrir des soins médicaux, chirurgicaux, sexologiques et psychologiques complètement remboursés par la mutuelle, y compris la reconstruction du clitoris.

Franchir le pas

Mais passer le seuil est encore difficile car l’excision reste un tabou. Fabienne Richard, directrice du GAMS et sage-femme au Centre Cemavie du CHU Saint-Pierre, ressent au quotidien ces difficultés chez les filles et les femmes, à se libérer du traumatisme : "Je pense qu’il y a beaucoup de tabous autour de l’excision, et parfois même de la pression familiale. Les femmes qui veulent aller mieux ou demander une chirurgie reconstructrice, si elles appellent leur maman au pays, il y a la maman qui dit 'donc tu es contre notre tradition ?' " Et donc, même là, il y a des femmes qui, parfois, font tout le chemin d’accompagnement et elles disent 'je préviendrai ma famille après'. Parce que je ne veux pas vivre de pression, parce que j’ai décidé d’aller mieux et d’avoir un suivi thérapeutique."

Être écoutée sans jugement, se reconstruire physiquement et psychologiquement, c’est essentiel et parfois, l’excision révèle d’autres maux comme un mariage forcé, un autre tabou, un autre trauma vécu par Fanta Cissé : "Parce que quand tu viens par exemple des endroits d’où nous venons, où tu ne peux pas tout dire, tout est tabou. Donc, ça devient du luxe pour toi d’avoir une oreille et une oreille qui ne juge pas, tu vois… Et tu leur dis tout, ils te disent 'oui, c’est normal madame, oui, ce que tu as fait, ce n’est pas mal, oui tu as fui pour ne pas être excisée. Tu as bien fait. Oui, madame, tu as fui un mariage forcé, c’est normal', tu vois ? Donc je pense que franchement, ce sont des endroits très importants pour les étrangers."

"Une force pour continuer la vie en mieux"

Une fois la porte franchie du Centre Cemavie, ces filles et femmes meurtries rencontreront parmi les intervenants le Docteur Martin Caillet, gynécologue. La première réparation passera, non pas par la chirurgie, mais par l’écoute. "Elles ont besoin qu’on les écoute. Parfois, c’est la première fois qu’elles s’expriment à propos de ce qui s’est passé. Donc, c’est la première nécessité. Je pense qu’elles se situent à cet endroit-là. Et ensuite, certaines d’entre elles repartent rassurées, simplement avec des explications et d’autres vont démarrer un chemin avec nous. On va leur prendre la main et on va les accompagner dans différentes directions, là où elles en ont besoin, pour pouvoir vraiment les aider à reprendre confiance, reprendre confiance en elles, reprendre confiance en leur corps. Vous savez ce qu’on appelle l’empowerment… C’est vraiment ça qu’on essaie de développer ici. Une certaine forme d’autonomie, de force qui va les aider à continuer la vie, mais en mieux."

La reconstruction chirurgicale… Mais pas seulement

La demande principale des patientes qui poussent la porte, c’est l’opération qu’on appelle la reconstruction du clitoris. Mais comment reconstruire ce qui a été excisé ? "En réalité, il ne s’agit pas d’une reconstruction, c’est juste une opération qui permet effectivement de mettre en évidence une petite partie du clitoris restant qui, lui, est très présent encore dans le corps de la femme", explique le Dr Caillet. "Et souvent, il y a beaucoup de croyances autour de cette opération. Les dames pensent vraiment que ça va changer leur vie du jour au lendemain. Elles ne se doutent pas forcément que leur difficulté vient avant tout de leur passé très douloureux, des traumas qu’elles ont vécus. Et donc, nous, notre métier, c’est aussi de leur faire comprendre que la chirurgie, ce n’est pas une solution miracle, qu’il faut d’abord passer souvent par justement répondre à des questions, apprendre des choses sur la physiologie du corps humain, sur ce que c’est que la sexualité partagée et consentie. Et du coup, il y a beaucoup de femmes qui renoncent à la chirurgie, la majorité d’entre elles. Aujourd’hui on fait encore trois ou quatre opérations par an maximum, alors qu’il y a environ 350 personnes qui fréquentent le centre chaque année."

Une prise en charge remboursée

La spécificité de la Belgique, c’est que tous les soins sont remboursés, dans ces centres, et pas seulement la chirurgie : une prise en charge multidisciplinaire, essentielle, puisque si la chirurgie va régler la question anatomique, tous les autres aspects, psychiques, sexologiques, doivent également être traités.

Un centre comme CeMAVIE est encore trop peu connu de la population. Le centre existe depuis 10 ans et a déjà accueilli plus de 2500 patientes. Plus de 7500 consultations ont été réalisées.

On aimerait bien que les patientes sachent qu’on existe et que surtout, elles n’aient pas peur de pousser la porte, qu’elles puissent venir tranquillement bénéficier dans la bienveillance de ce que la Belgique est le seul pays au monde à apporter, c’est-à-dire une prise en charge multidisciplinaire incluant parfois la chirurgie remboursée à 100%".

C’est le message qu’adresse le Dr Caillet, à quelques jours du 6 février, journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines. La Belgique lance une campagne nationale pour informer toutes les filles et femmes de l’existence de ce havre de réparation, psychique et physique.

Accompagnement des femmes victimes de mutilations génitales

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