Belgique

Emploi : des candidatures anonymes, réelle solution pour lutter contre les discriminations à l’embauche ?

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Par Françoise Berlaimont avec Isabelle Huysen et Jennifer Istacee

A partir du 1er février, l’agence pour l’emploi Accent proposera des curriculum vitæ anonymes. L’objectif est de lutter contre les discriminations sur le marché du travail. "L’employeur ne sait pas si le nom du candidat est Ahmed ou André". Une dizaine d’entreprises ont accepté de participer au projet pilote, mais dès la semaine prochaine, ce  une centaine d’entreprises à travers la Belgique qui vont désormais pratiquer le C.V. anonymes.

Tous les talents bienvenus

Accent, basée à Gand, est l’une des trois plus grandes agences de placement en Belgique. " Nous voulons placer chaque talent, quelle que soit sa forme, sa taille ou sa couleur, au bon endroit pour lui offrir un maximum de plaisir au travail", déclare Anouk Lagae, CEO d’Accent. "Nous savons que les personnes qui sont heureuses au travail restent plus longtemps chez le même employeur, sont plus performantes et sont importantes pour la croissance de chaque entreprise".

La dirigeante constate que malheureusement," il est encore beaucoup plus facile de faire travailler un Michel qu’un Mohammed". "Notre intention est que les employeurs regardent les candidats avec un esprit aussi ouvert que possible". Une dizaine d’entreprises, tant du côté flamand que francophone, ont participé au projet pilote. Les C.V. étaient présentés sans prénom ni nom, seulement des initiales, pas de sexe, pas de lieu de résidence, pas d’écoles ni de dates.

De nouveaux profils

Une cinquantaine de personnes ont ainsi été déjà embauchées avec un C.V. anonymisé. L’entreprise de jardins Henrion, à Lasnes, dans le Brabant wallon, a joué le jeu depuis septembre dernier. Mélisande Richald, la responsable des ressources humaines, reconnaît qu’elle n’aurait peut-être pas reçu certains candidats.

Le C.V. anonymisé mentionne les diplômes obtenus par le candidat, son expérience professionnelle et, par exemple, les langues qu’il maîtrise. Il est également indiqué combien de temps il a effectué un certain travail. "Cela donne à l’employeur une image claire de l’expérience de quelqu’un. Mais les années ne sont pas sur le CV, de sorte que les périodes d’inactivité deviennent invisibles", explique Anouk Lagae.

Accent se rend compte que toutes les discriminations possibles ne disparaîtront pas de cette manière. "Une fois que l’employeur a invité le candidat, il connaîtra bien sûr le nom de cette personne et son âge, mais cette méthode permet aux candidats plus âgés ou aux profils différents de recevoir plus facilement une invitation à un entretien."

L’expérience d’Actiris

Actiris, l’Office Régional Bruxellois de l’Emploi, a tenté l’expérience du C.V. anonyme il y a une quinzaine d’années. Et y a renoncé. "A l’époque", explique, Jan Gatz, le porte-parole, "il y avait une certaine méfiance des employeurs qui pensaient que les candidats cachaient certaines caractéristiques. Et puis, la discrimination était en quelque sorte postposée puisque les candidats aux profils différents étaient éliminés plus tard, lors de l’entretien d’embauche, ce qui engendrait chez eux encore plus de découragement".

Actiris affirme qu’il est très difficile d’éliminer toute forme de discrimination potentielle sur un C.V.. Les éléments comme le lieu de résidence, les établissements scolaires fréquentés, la durée des études, peuvent générer une discrimination. "On y a donc renoncé", raconte Jan Gatz."Par contre, on travaille avec les candidats la manière dont ils peuvent, au mieux, mettre en valeur leurs qualités". Parallèlement, Actiris travaille avec les employeurs pour mettre au point des plans "diversité". Les préjugés existent et il faut y travailler constamment.

A ces arguments, la CEO d’Accent, Anouk Lagae, répond que "cette expérience date déjà de 15 ans et que depuis, les mentalités ont évolué et puis surtout, qu’aujourd’hui, il y a pénurie de candidats"

Des recrutements neutres

Unia, le Centre interfédéral pour l’Egalité des Chances, préfère travailler sur la question de la neutralité des recrutements, plutôt que l’anonymisation des C.V. "On s’est rendu compte", explique Nathalie Denies, cheffe de service, , "que nous avons tous des stéréotypes et des préjugés. Quand on va lire un C.V., même s’il est anonymisé, on va le lire avec des biais de similitude, c’est-à-dire qu’on essaie de trouver des gens qui nous ressemblent, ou bien des biais de confirmation, c’est-à-dire ce qui, dans les éléments de candidature, va confirmer notre a priori".

L’anonymisation des C.V. n’est donc pas la seule solution pour Unia, qui préfère travailler sur les compétences des candidats. Nathalie Denies parle du "C.V. de compétences dans un formulaire identique pour tout le monde. C’est vraiment un canevas de questions relatives aux compétences des candidats". Unia incite aussi les employeurs à définir les critères du travail proposé,  de poser les mêmes questions à tous et d’objectiver les critères des réponses. La diversité des comités de sélection est aussi un point important.

La démarche d’Accent sera évaluée dans quelques mois.

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