Belgique

Emploi des personnes handicapées : les administrations ne respectent pas les quotas imposés

Emploi personnes handicapées

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En Belgique, il est toujours très compliqué de trouver du travail quand on est handicapé.

Il existe pourtant des quotas qui imposent un pourcentage de personnes en situation de handicap dans toutes les administrations publiques. Pour faire simple, ces quotas existent depuis 17 ans et varient de 2 à 5% du personnel. Ils ne sont que très rarement respectés.

Karine Lalieux, la ministre de l’Intégration sociale, en charge des personnes handicapées, parlait encore de situation désastreuse en mai dernier. Il n’est pourtant toujours pas question de prendre des sanctions pour obliger les institutions à respecter les règles qu’elles se sont elles-mêmes fixées.

Aloys, 23 ans, et peu d’espoir de trouver du travail

Aloys de Groeve, 23 ans, en recherche d’emploi
Aloys de Groeve, 23 ans, en recherche d’emploi © M. Delporte

Aloys est atteint d’une malformation cérébrale depuis sa naissance.

Deux ans après avoir achevé son parcours de formation, il désespère de trouver du travail. Ses lettres de candidature sont toutes refusées.

À force de séances de kiné, il est parvenu à être de plus en plus autonome. Il marche et devrait même obtenir son permis de conduire dans quelques mois.

Du côté de la main gauche, ce n’est pas terrible, et surtout la parole est compliquée. Mais devant un ordinateur, il se débrouille pas mal : "Je l’ai monté moi-même, je dessine aussi, à la main et sur l’ordi. Ça prend des heures. Mais ça, c'’est mon but : dessiner, créer des mangas. J’aime aussi l’informatique et je connais le logiciel Adobe "

Aloys a construit son PC
Aloys a construit son PC © M.Delporte

Aloys est aussi capable de créer des sites internet, il publie ses dessins sur Instagram mais malgré des stages plutôt réussis en bibliothèque, en maison de repos et dans un magasin de bricolage, il ne parvient pas à se faire engager.

Avec ses parents, ils se posent toujours la question du rejet des personnes handicapées dans le milieu du travail, y compris dans les administrations, où l’on doit théoriquement engager un certain pourcentage de personnes en situation de handicap.

« Les quotas sans sanctions ne servent à rien »

"Les quotas ne fonctionnent pas et la raison est simple : il n’y a pas de sanctions si vous ne les respectez pas", déplore Michael Lans, de la Fédération Bruxelloise des Entreprises de travail adapté. Il le répète sur tous les toits depuis des lustres : "Tant qu’il n’y aura pas d’amendes sévères à la clef, les choses ne changeront pas."

En Belgique, rien n’est jamais simple et les quotas sont différents selon les niveaux de pouvoir, la COCOF, la commission communautaire francophone doit théoriquement engager 5% de personnes souffrant de handicap, la Région Bruxelloise 2%, la Wallonie 2,5%, l’Etat Fédéral 3%, …

Michael Lans, Fédération Bruxelloise des Entreprises de Travail Adapté
Michael Lans, Fédération Bruxelloise des Entreprises de Travail Adapté © M Delporte

Les communes s’en sortent mieux, mais le seuil à atteindre est faible

"À la région bruxelloise, on n’a jamais atteint le quota, jamais ! " reprend Michael Lans. "Au niveau communal, ça va un peu mieux, sept communes sur 19 parviennent au quota de 2,5% mais c’est un quota ridicule. À part le Portugal, aucun pays ne fixe un quota aussi faible. En plus, les reconnaissances sont extrêmement légères. C’est le cas aussi en Wallonie, si vous demandez un aménagement raisonnable du lieu de travail, cela comptera dans le quota. Un exemple : si vous devenez âgé au travail et que vous avez des difficultés pour prendre l’escalier et que vous demandez à déménager au rez-de-chaussée, vous allez être considéré comme une personne en situation de handicap et compter dans le quota"

Deux administrations fédérales seulement respectent le seuil de 3%

Pour la ministre Karin Lalieux (PS) " Il faut une responsabilisation collective, sinon on n’y arrivera pas ". Son cabinet respecte les quotas, mais dans les administrations de l’Etat Fédéral, seul le SPF Emploi et la Banque Carrefour de la Sécurité Sociale atteignent le quota de 3%.

Et la situation a empiré.

Le SPF Intérieur et les Musées Royaux d’Arts et d’Histoire affichent moins de 0,5%, le Bureau du Plan, l’Institut Géographique National (IGN), l’Observatoire Royal, l’Office de Contrôle des Mutualités, le SPF Affaires Etrangères, Belnet et l’IRM n’engagent aucune personne en situation de handicap, selon le rapport d’évaluation de Commission d’Accompagnement pour le recrutement de personnes en situation de handicap dans la fonction publique fédérale, la CARPH.

En Wallonie, où le seuil est aussi à 2,5%, nous ne sommes pas parvenus à obtenir de statistiques.

Sanctions ou incitants ?

Pour la ministre, il faut enclencher la vitesse supérieure. Dans une interview à la Libre, en mai dernier, elle se déclarait en colère face à ces mauvais résultats. Elle attendait un rapport cet automne pour identifier les obstacles au recrutement, et lancer des mesures pour aider les administrations à atteindre l’objectif. La ministre préfère parler d’incitants plutôt que de sanctions et au sein de son cabinet, on nous annonce un dossier en conseil des ministres avant la fin de l’année.

"Mais les incitants sont déjà formidables", explique Michael Lans, de la FEBRAP, "tous les régimes d’aides font en sorte que vous n’allez payer que la productivité des travailleurs en situation de handicap. L’Etat va intervenir et payer le gap - le déficit de productivité qui serait lié au handicap. Donc un employeur classique ne prend aucun risque, je ne vois pas de meilleurs incitants. "

Et le porte-parole de la FEBRAP de regretter la frilosité du pouvoir à imposer des sanctions : "On s’en est rendu compte lors d’un travail de la FEBRAP, l’obstacle principal c’est que le législateur est souvent mandataire communal, bourgmestre, échevin, il a un pied dans toutes ces administrations. Il connait l’état des finances de ces administrations, et il n’a pas envie de se tirer une balle dans le pied en s’imposant des sanctions."

Les pays où il y a des sanctions réalisent de meilleurs résultats

Le Luxembourg, l’Allemagne, la France ont pourtant des quotas plus sévères - entre 5 et 6% - avec des sanctions très dures, des amendes très lourdes et ça marche.

Le Luxembourg est le premier pays en termes de taux d’emploi des personnes handicapées. L’Allemagne et la France sont en tête de peloton.

Et dans ces pays où les différences entre les taux d’emploi entre personnes handicapées et personnes non handicapées sont les plus faibles, les quotas s’appliquent aussi souvent aux entreprises privées.

En Belgique, on en est loin. Le pays est vingtième sur 28 pays européens.

Différences entre les taux d'emploi des personnes handicapées et non-handicapées
âgées de 15 à 64 ans, 2011
Différences entre les taux d'emploi des personnes handicapées et non-handicapées âgées de 15 à 64 ans, 2011 © Eurostat

Nos voisins, exceptés les Pays-Bas, sont donc bien plus avancés en termes d’intégration des personnes handicapées.

Les employeurs, publics comme privés, expliquent parfois qu’ils peinent à engager des personnes en situation de handicap, parce qu’ils trouvent difficilement les profils qu’ils recherchent. " Il est vrai que vous trouverez difficilement un comptable trilingue en situation de handicap, mais vous aurez déjà beaucoup de mal à trouver un comptable trilingue qui n’est pas en situation de handicap. Ce qu’il faut, c’est voir les choses autrement. Il faut voir ce qu’on peut retirer à certaines fonctions pour créer un job adapté à une personne en situation de handicap " explique encore Michael Lans.

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