A l'arrivée des talibans à Kaboul le 15 août dernier, les dirigeants de la chaîne afghane privée Tolo News avaient le choix entre rester à l'antenne ou éteindre le signal.
La première option a finalement été retenue mais comme le reste des chaînes de radio et de télévision du pays, Tolo News navigue à vue, dans un brouillard d'incertitudes mêlées de craintes face aux intentions des nouveaux maîtres de l'Afghanistan.
La presse afghane n'a pas oublié les menaces et les assassinats de journalistes qui ont rythmé les vingt années d'insurrection du mouvement islamiste après son départ du pouvoir en 2001, chassé par une coalition emmenée par les Etats-Unis.
Le souvenir du premier règne taliban (1996-2001) reste encore très vif dans les mémoires - la télévision et la plupart des divertissements y étaient alors interdits.
Rester à l'antenne
Le retour au pouvoir des talibans "nous a mis dans une situation très, très difficile", confie Lotfullah Najafizada, directeur de Tolo News, joint au téléphone par l'AFP. "En tant que service d'information fonctionnant 24h/24, 7 jours/7, nous n'avons même pas eu une heure pour faire une pause et réfléchir".
La décision a finalement été prise de rester à l'antenne parce que Tolo a le devoir de couvrir l'actualité, explique-t-il, mais également parce qu'il aurait été "quasi impossible" de négocier avec les talibans une reprise des programmes si ces derniers avaient déjà été suspendus.
Depuis son retour au pouvoir, le mouvement islamiste, qui s'efforce de montrer une image plus modérée pour tenter de rassurer la communauté internationale et la population, a demandé aux médias afghans de ne rien changer à leurs habitudes.
En gage d'ouverture, un responsable taliban acceptait de répondre, le 17 août dernier, aux questions d'une journaliste, Behishta Arghand, en direct sur le plateau de Tolo News.
On fait tous des nuits blanches
Mais ces gestes et ces déclarations peinent à convaincre. Signe de la défiance et de la crainte prégnantes, Beheshta Arghand a depuis fui au Qatar, craignant pour sa vie.
"Nous avons peur, je vais être honnête avec vous, nous sommes très nerveux", a déclaré Saad Mohseni, PDG de Moby Group, société mère de Tolo, au Comité pour la protection des journalistes (CPJ), depuis Dubaï.
"On fait tous des nuits blanches mais notre situation n'est pas si éloignée de ce que vivent nos téléspectateurs", a-t-il ajouté.
Sur le terrain, la situation s'est dégradée depuis quelques semaines pour les journalistes, notamment les femmes, largement exclues de l'espace public, de l'accès à l'éducation et à l'emploi sous le précédent régime taliban.
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Selon Reporters sans frontières (RSF), le nombre de femmes journalistes en activité à Kaboul est ainsi passé de 700 l'an dernier à moins de cent.