En appelant le 112, les habitants francophones de Glons et Roclenge-sur-Geer sont envoyés dans un hôpital… en Flandre

C’est une histoire bien belge mais qui n’est pas sans conséquence sur la santé des patients.

"J’ai demandé s’ils pouvaient l’emmener dans un hôpital du côté francophone", explique Véronique Mélard, qui a appelé le 112 pour son mari en urgence. Les ambulanciers l’ont directement conduit à l’hôpital de Tongres, l’AZ Vesalius, en Flandre.

Mais que dit la loi ? Elle date du 8 juillet 1964 et spécifie que, tous les patients pris en charge par les services ambulanciers, doivent être transportés vers les urgences de l’hôpital le plus rapidement accessible. C’est la règle de base. Il existe, cependant, des dérogations dans certains cas. Si le patient présente une pathologie particulière et doit bénéficier de soins spécifiques ou encore s’il possède déjà un dossier médical dans un autre hôpital pour sa pathologie.

"Lorsqu’une personne fait appel au 112, elle perd le droit de décider ", rappelle Laurent Degimbre, porte-parole des Ambulanciersunie. C’est la centrale d’urgence 112 qui détermine l’hôpital le plus proche à l’aide d’un logiciel. Le régime linguistique n’est pas pris en compte.

J’ai pris ma fille dans un fauteuil roulant, je l’ai mise dans ma voiture et je suis partie à l’hôpital de la Citadelle à Liège.

Très étendue, la commune de Bassenge se situe en province de Liège, à quelques kilomètres de la frontière avec la Flandre. Elle regroupe 6 villages : Glons, Boirs, Roclenge-sur-Geer, Bassenge, Wonck et Ében-Émael.

En cas d’appel du 112 en urgence, les habitants sont donc transférés vers des hôpitaux différents selon leur position géographique. L’AZ Vesalius en Flandre est l’hôpital le plus proche de Glons et Roclenge-sur-Geer. Ce qui entraîne des problèmes liés à la barrière de la langue.

"Ma fille avait fait une tentative de suicide donc j’ai appelé le 112", relate Séverine Paquot, habitante de Roclenge-sur-Geer. Les ambulanciers l'ont directement emmené à l’hôpital de Tongres.

Elle poursuit : "Une psychiatre est arrivée. Elle ne parlait quasi pas le français donc pour se faire comprendre, ça a été le parcours du combattant. La dame m’a demandé de reprendre ma fille et de l’emmener moi-même dans un hôpital du côté wallon, en disant qu’avec la barrière de la langue, ce serait plus facile. J’ai pris ma fille dans un fauteuil roulant, je l’ai mise dans ma voiture et je suis partie à l’hôpital de la Citadelle à Liège."

Le cas de Séverine est loin d’être isolé. En mars 2020, Véronique Mélard appelle le 112 pour son mari qui a fait un AVC. Il est, lui aussi, transporté vers l’hôpital de Tongres.

"J’ai demandé si on pouvait le transférer en Wallonie. On m’a dit qu’on ne pouvait pas faire le transfert tant qu’il n’était pas stabilisé. Puis le 13 mars, on est tombé dans le confinement. Je ne pouvais plus le voir. Je sentais bien que son moral descendait de jour en jour, au point que je demande si un psychologue pouvait le voir. Le psychologue ne parlait pas français. La communication n’était pas possible. Pour la logopédie, pareil. Il n’y avait pas de logopèdes qui parlaient français."

Est-ce que ça peut avoir des conséquences sur la santé physique des patients ? Certainement.

Pour alerter sur cette situation, le docteur Lesire a envoyé une lettre à L’Ordre des Médecins de Liège et à la Commission Médicale Provinciale. Elle a été approuvée par huit autres médecins de la région.

"Est-ce que ça peut avoir des conséquences sur la santé physique des patients ? Certainement. Nous avons eu un patient qui s’était cassé la hanche. Il est resté comme ça, avec sa facture de hanche non traitée, pendant plusieurs semaines à Tongres ", rapporte Dr Jean-Pierre Lesire, médecin à Glons depuis 33 ans. Deux semaines auparavant, un de ses patients a encore été confronté à un problème similaire.

Les services d’urgences doivent être bilingues dans tous les hôpitaux à Bruxelles. Ce n’est pas le cas en Wallonie et en Flandre. "Ce que je crois, c’est qu’on a perdu malheureusement, des deux côtés de la frontière, la connaissance de l’autre langue.", regrette Eric Christiaens, directeur de l’AZ Vesalius.

Conscient du problème, l’hôpital, admet qu’il y a parfois des difficultés de communication avec les patients. "On essaie d’y palier en proposant des cours de français à tous nos infirmiers, infirmières et à nos médecins", soutient le directeur.

En cas d’urgence vitale, c’est la rapidité qui prime et donc la proximité avec l’hôpital. A noter que, depuis février 2023, des dérogations sont possibles pour les services ambulanciers agréés 112 dans le Brabant Wallon, le Hainaut et la province de Namur. Les ambulanciers peuvent emmener un patient vers un hôpital qui n’est pas le plus proche, à condition de ne pas dépasser 10 minutes supplémentaires. Une dérogation comme celle-ci en province de Liège permettrait aux habitants de Glons et Roclenge-sur-Geer d’être transférés vers un hôpital en Wallonie.

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