En Flandre, les élèves devront désormais passer un test de langue en troisième maternelle

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Par Daphné Van Ossel

Dès la prochaine année scolaire, les élèves inscrits en troisième maternelle dans l’enseignement flamand devront passer un test de langue, en début d’année, entre le 10 octobre et le 30 novembre.

Ceux qui n’auront pas obtenu des résultats satisfaisants devraient bénéficier d’une attention particulière de la part de leur professeur jusqu’à la fin de l’année, afin de les aider à combler leur retard.

Retarder le passage en primaire

S’ils ne présentent toujours pas le niveau suffisant en fin d’année, le conseil de classe peut conseiller aux parents de retarder le passage en primaire. Si les parents refusent, l’enfant pourra passer en primaire mais devra suivre un parcours d’intégration linguistique pendant sa première année. Il s’agit, précise le décret, "d’activités éducatives intensives visant l’acquisition de la langue par immersion linguistique." Des activités qui peuvent être suivies à temps plein, pendant une année maximum, en primaire.

Une bonne connaissance du néerlandais est la clé de toutes les autres connaissances”, résume le ministre flamand de l’Enseignement, Ben Weyts (N-VA), qui rappelle que parmi les élèves inscrits en flamand en maternelle, un élève sur quatre ne parle pas néerlandais à la maison (ce chiffre est de 22% en primaire).

Le bilinguisme n’est pas vecteur de retard d’acquisition chez les enfants

Cette précision fait réagir Annick Comblain, chargée de cours en logopédie à l’Université de Liège et spécialiste du multilinguisme : “Le bilinguisme n’est pas vecteur de retard d’acquisition chez les enfants, les études le montrent ! Je peux déjà prédire les résultats de ces tests : ceux qui parlent néerlandais à la maison performeront mieux que les autres, mais ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas capables d’entamer un parcours scolaire ordinaire.


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Une grande variabilité d’un enfant à l’autre, à 5 ans

Par ailleurs, ajoute la logopède, à 5 ans, il y a encore une très grande variabilité interindividuelle, tant au niveau de la connaissance du vocabulaire qu’au niveau de la construction des phrases. C’est donc, selon elle, encore un peu tôt pour tester l’enfant, à moins qu’il n’y ait un problème considérable.

L’idée de faire éventuellement (avec l’accord des parents) redoubler l’élève qui ne réussirait pas le test, fait bondir Sandrine Grosjean, du mouvement "Changements pour l’égalité" : "La seule chose qu’un élève apprend avec le redoublement, c’est qu’il est nul. Plus il est jeune et plus ça le démolit. On pense souvent que dans les petites classes ce n’est pas si grave, mais l’enfant comprend bien que les autres continuent et pas lui."

La seule chose qu’un élève apprend avec le redoublement, c’est qu’il est nul.

"De plus, par le passé, on a vu que parmi les élèves qui avaient doublé en troisième maternelle, 25% avaient de nouveau raté une année entre la première et la quatrième primaire, donc c’est complètement contre-productif." Et puis, cela risque de toucher davantage des publics défavorisés, dont les familles sont plus éloignées des codes scolaires : les familles qui parlent une autre langue à la maison, mais qui sont plus aisées, pourront mettre en place des stratégies pour aider leurs enfants à rattraper leur retard.

Les modalités font donc débat, mais la nécessité d’aider les élèves qui en auraient besoin dans leur apprentissage de la langue scolaire n’est, elle, pas remise en question.


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Et du côté francophone ?

Côté francophone, on tente aussi de trouver des solutions. En 2019, la Fédération Wallonie-Bruxelles a également mis en place une sorte de screening, mais il y a une nuance : il ne porte pas sur la maîtrise de la langue française, mais plutôt sur ce qu’on appelle "le français comme langue d’apprentissage" (FLA).

Il ne faut pas partir sur des stéréotypes, sous-entendre que, lorsqu’on parle une langue étrangère, on ne réussit pas à l’école. Ce n’est pas vrai.

"Dans l’enseignement francophone, on dépasse certainement les 25% d’enfants qui ne parlent pas français à la maison", précise Nicole Wauters, auteure du livre “Langage et réussite scolaire”. "Mais il ne faut pas partir sur des stéréotypes, sous-entendre que, lorsqu’on parle une langue étrangère, on ne réussit pas à l’école. Ce n’est pas vrai. Certains réussissent très bien et, par ailleurs, beaucoup d’enfants qui parlent français à la maison ne maîtrisent pas le langage spécifique de l’école, qui comprend par exemple le vocabulaire propre au cours de géographie, de math, etc.

Un test non obligatoire…

C’est ce langage spécifique qu’on appelle “français comme langue d’apprentissage”. Et c’est donc celui-ci qui, depuis 2019, peut être testé dans les écoles. Nicole Wauters, ancienne inspectrice primaire, a participé à l’élaboration des tests : "L’idée était de construire un test pour évaluer, au sein d’une école, le pourcentage d’enfants qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue pour suivre les cours sans difficultés. Il peut donc s’agir de francophones ou d’allophones. Ce sont surtout des enfants qui viennent de milieux moins favorisés."

Selon le pourcentage d’élèves en difficultés, les écoles bénéficient, pendant deux ans, d’un budget pour engager des professeurs et des logopèdes supplémentaires pour aider ces enfants. Les tests ne sont pas obligatoires, c’est aux écoles de décider si elles les organisent, ou pas, et ce, de la deuxième maternelle jusqu’au début des secondaires.

Des moyens supplémentaires

"Sur le papier, précise Nicole Wauteurs, l’idée n’est pas d’engager des professeurs de remédiation qui donneraient des cours de français. Les titulaires de classe doivent être entièrement impliqués, ils doivent collaborer avec les 'instituteurs FLA' et les logopèdes. On peut imaginer que l’instituteur FLA prenne temporairement en charge un petit groupe d’élèves, lui enseigne la même matière que l’instituteur, mais en insistant plus sur le vocabulaire, par exemple. Dans un petit groupe, c’est plus facile.

Autre possibilité : une logopède peut venir observer les difficultés des élèves et conseiller les titulaires sur les mesures à mettre en place.

La mise en pratique est problématique

Ça, c’est pour la théorie. La mise en pratique est problématique, si pas “catastrophique”, selon Nicole Wauters. Le système n’est pas toujours facile à organiser et il n’est pas toujours bien compris : il y a effectivement des modules FLA qui prennent la forme de "simples" cours de remédiation. La pénurie de professeurs fait qu’on a engagé des jeunes instituteurs inexpérimentés, pas assez formés, comme instituteurs FLA. Et ils ont par ailleurs beaucoup été réquisitionnés pour remplacer des professeurs absents à cause de la pandémie…

Des formations sont en train d’être mises en place (tant pour la formation initiale que pour la formation continue) sur cette question du langage. Et par ailleurs, cette attention au langage a aussi été insérée dans les nouveaux référentiels qui accompagnent la mise en place d’un tronc commun de la 1re maternelle à la 3e secondaire, dans le cadre du Pacte d’excellence.

Le budget a explosé

Le but est de créer un cercle vertueux, de faire en sorte que tous les acteurs de l’enseignement comprennent que le langage de l’école a ses spécificités, qu’il n’est pas accessible à tous, et qu'ils fassent preuve de vigilance à cet égard.

Pour le moment, "on essuie les plâtres", mais le dispositif a le mérite d’exister et de mettre en lumière cette problématique. Le 1er juillet aura lieu une réunion d’évaluation, deux ans après les premiers tests. Au-delà de la mise en œuvre du dispositif, il faudra aussi, à un moment ou un autre, parler budget : les tests réalisés ont révélé des besoins considérables. "Les demandes des écoles ont été énormes, je pense qu’on a plus que doublé budget initial", s’exclame Nicole Wauters.

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