Présidentielle en France

En France, la course aux législatives commence : "Des élections d'une importance rarement connue depuis le suffrage universel"

© AFP or licensors

Par Lavinia Rotili

Il aura gagné la présidence, mais cela ne veut pas dire que sa campagne électorale est finie : Emmanuel Macron, élu pour un second quinquennat ce dimanche avec 58,54% des voix, devra affronter ce que ses rivaux et les médias appellent déjà "le troisième tour", à savoir, les élections législatives. 

Les Français voteront en effet pour rénover l'Assemblée nationale le 12 et le 19 juin et élire ses 577 députés, dont 11 qui représentent les Français hors de France. 

Selon le politologue Pierre Mathiot, directeur de l’Institut d’études politiques de Lille, il s'agit du premier défi du quinquennat"Le président Macron réélu n’aura réellement les cartes en mains et la capacité à agir sur les politiques publiques que s’il obtient une majorité absolue aux législatives les 12 et 19 juin. En 2017, le parti qu’il avait créé, La République en Marche, avait remporté la majorité absolue seul. On peut faire l’hypothèse que ce ne sera plus le cas." 

En effet, le candidat Macron ne part pas dans une position de force : il a remporté l'élection avec un score nettement plus bas par rapport à 2017 : 58,5%, contre 66% il y a cinq ans. Pour Pierre Vercauteren, politologue et professeur à l'institut de sciences politiques LouvainEurope de l'UCLouvain, "les résultats du premier et du second tour laissaient présager un vote de réaction plutôt que d'adhésion. Cela montre une profonde défiance des électeurs Français à l'encontre des politiques". 

Une question de timing

Dès lors, l'enjeu pour le nouveau président est crucial : le premier, résume le politologue, est d'obtenir une majorité à l'Assemblée nationale pour réaliser son programme. L'autre, sur le court terme, est de mettre en œuvre des décisions qui, dans un délai très court, répondent aux attentes et renforcent sa crédibilité. 

Le timing est donc essentiel. En cette année 2022, le délai entre les deux scrutins est légèrement plus éloigné, ce qui, selon certains observateurs français, pourrait éroder encore plus la base électorale du président. Une analyse que ne partage pas Pierre Vercauteren :"Ce délai peut profiter à Emmanuel Macron dans la mesure où il lui permettrait de lancer les premières mesures. Aussi, ce laps de temps permettra aux différents partis de trouver leur positionnement."

Du côté LREM, on adopte une posture de confiance : invité ce matin sur BFMTV-RMC, le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal affirmait que même si des leçons étaient à tirer de cette élection, il était convaincu que les Français allaient "donner au président de la République les moyens d'agir pour les protéger, avec une majorité" lors des législatives. 

La survie des partis traditionnels liée à ce scrutin

Si le parti du président a encore tout à prouver pour fidéliser les Français, l'enjeu est également important pour les autres partis. Pour Pierre Vercauteren, "on est face à des élections d'une importance rarement connue depuis l'élection au suffrage universel et ce, pour plusieurs partis."

"Alors que ce deuxième tour a été marqué par la polarisation entre deux camps, les élections législatives sont marquées par une pluralité de partis et chacun retrouve sa liberté d'action, analyse le professeur de l'UCLouvain.

Dans ce scénario, il est encore difficile de savoir quel positionnement adopterons les différentes factions. Pour le politologue, on peut s'interroger sur la manière dont les formations ayant obtenu un score très bas aux présidentielles comme le PS ou Les Républicains (LR) vont réagir. "Ils ne partent pas sans arguments : leurs résultats aux élections municipales montrent qu'ils gardent un ancrage local, mais est-ce suffisant pour limiter les dégâts et pour apparaître crédibles aux yeux des électeurs ? La question est fondamentale : leur survie en dépend." 

 
Eric Ciotti et Valérie Pécresse.
Eric Ciotti et Valérie Pécresse. © AFP or licensors

Par ailleurs, toutes ces formations historiques paraissent tiraillées entre les franges radicales et celles plus modérées : "Les Républicains oscillent entre la ligne d'Eric Ciotti, qui tend à la droitisation et voudrait attirer les électeurs d'Eric Zemmour, et celle de la candidate Valérie Pécresse, davantage centriste", note le politologue belge, en rappelant aussi l'importance du facteur Edouard Philippe. Le maire du Havre et ancien Premier ministre a fondé son propre mouvement, baptisé "Horizons" : sa capacité à se positionner à mi-chemin entre LR et LREM et à en capter des électeurs reste encore inconnue à ce jour. 

Il reste finalement à savoir si un rapprochement peut avoir lieu entre LR et LREM : alors que certains cadres du LR semblaient le prôner ce dimanche soir, leur président Christian Jacob a tenu à rappeler les différences qui opposent son parti à celui de Macron.

Le RN réticent au rapprochement avec Zemmour

Toujours du côté droit de l'échiquier, le tiraillement est fort aussi dans les partis d'extrême droite. Après la défaite de Marine Le Pen, Eric Zemmour n'a pas loupé l'occasion de rappeler qu'il s'agissait de "la huitième défaite pour le nom Le Pen", avant d'appeler à l'union entre son parti (Reconquête!) et le Rassemblement National en vue des législatives.

Pour les analystes, il est difficile de savoir si un rapprochement entre ceux deux extrêmes aura lieu.

"L'enjeu pour Marine Le Pen est de marquer l'essai en parvenant à avoir une forte progression. Pour Eric Zemmour, c'est de parvenir à monter en puissance. Il est difficile de prévoir s'ils vont s'allier : n'oublions pas qu'il s'agit de deux extrêmes droites différentes, qui divergent à la fois en termes de programme et d'électorat", recadre Pierre Vercauteren. "Eric Zemmour est plébiscité auprès d'un électorat bourgeois, alors que les électeurs de Marine Le Pen appartiennent à des classes sociales plus pauvres. Il ne faut pas non plus oublier que le vote pour l'extrême droite est, souvent, un vote de rejet à l'égard de Macron plutôt qu'un vote d'adhésion. Ce sont les études qui permettront de démontrer et confirmer si et à quel point le noyau dur de l'extrême droite s'est renforcé."

L'hypothèse du rapprochement paraît totalement balayée en ce lundi par plusieurs personnalités du RN, selon Le Monde : le premier a été Louis Aliot, maire de Perpignan. Ce matin, sur France Inter, il a critiqué durement Eric Zemmour : "Je ne m’attendais pas à une attaque de sa part le soir du deuxième tour. Je ne vois pas comment on pourrait faire une alliance en bonne et due forme avec Reconquête ! aujourd’hui."

Sur BFMTV, le porte-parole du RN Sébastien Chenu appelait à une "union des patriotes" plutôt qu'à une simple "union des droites".

Du côté gauche, la difficile recomposition 

Du côté de la gauche, la campagne est lancée. Pour Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième au premier tour, elle a commencé dès hier soir : saluant la défaite de l'extrême droite, il a appelé les Français à voter pour lui. "Le 12 et 19 juin en vous appelant à m’élire comme Premier ministre, je vous appelle en vérité à faire vivre un nouvel avenir en commun pour notre peuple", a-t-il déclaré en appelant "le bloc populaire à s'élargir".  

Sur France Inter ce lundi matin, Manuel Bompard, son directeur de campagne, confirmait, rapporte Le Monde, incitant les Français qui ont voté pour son candidat à refaire le même choix en juin, afin que l'Union populaire se qualifie dans 420 circonscriptions pour le premier tour.

Quant aux discussions pour élargir le bloc populaire aux socialistes, Bompard est formel : "La balle est dans leur camp". Tout en reconnaissant des divergences avec à la fois les socialistes et les Verts, il reconnait que des convergences existent.

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Mélenchon et le rassemblement : une stratégie électorale

Une alliance des gauches telle que la prône la France Insoumise, profiterait grandement au parti, selon Pierre Vercauteren : en analysant les résultats sur base de l'ancrage local, Mélenchon est moins fort qu'il a pu le paraître pendant la campagne présidentielle.

"Jean-Luc Mélenchon veut marquer l'essai du premier tour et progresser. Sa stratégie est celle de rassembler. Or, déjà ce matin, les différents partis de gauches sont divisés quant à un rapprochement possible avec les Insoumis.", remarque-t-il. 

De fait : le rassemblement autour de Mélenchon passerait mal auprès de la candidate PS et maire de Paris Anne Hidalgo, ou encore de Carole Delga, présidente de la région Occitanie, selon Le Monde. Pourtant, le premier secrétaire socialiste Olivier Faure, a bien réussi à faire voter un accord de principe pour discuter d'une éventuelle alliance avec la gauche, rappelle le quotidien français. À ce stade, difficile de dire si les divisions habituelles de la gauche empêcheront une fois de plus un rapprochement ou si, pour se sauver, les socialistes vont faire des compromis. 

Pour les écologistes, l'enjeu est différent. "L'alliance avec les Insoumis dépendra essentiellement de deux facteurs, estime Pierre Vercauteren. "Le premier concerne les négociations avec le parti d'extrême gauche : que peut obtenir Europe Ecologie les Verts de Jean-Luc Mélenchon? Le deuxième facteur tient aux discussions internes au sein des Verts. Les échanges entre la frange plus modérée et celle plus radicale peuvent être durs. Par ailleurs, le parti a également obtenu de bons résultats aux régionales et pourrait décider qu'il a intérêt à faire cavalier seul."

Entre ceux qui luttent pour leur survie et ceux qui cherchent à gagner en crédibilité, ces élections s'annoncent complexes. 
 
Face à la fragmentation des partis, les analystes craignent la "balkanisation" des votes, c'est-à-dire la distribution de votes à beaucoup de formations différentes: "Si balkanisation il y a, le risque est qu'un seul parti ne puisse pas obtenir la majorité parlementaire, craint Pierre Vercauteren. Cela conduirait à des négociations auxquels les Français ne sont pas habitués. Et, en cas de négociation, il sera question de savoir si la négociation sera avec LREM dans la majorité ou si une majorité opposée prendra le dessus."
 
La cohabitation pourrait également être difficile et soit renforcer la majorité présidentielle, soit renforcer les extrêmes. Mais pour l'instant, ces questions restent encore en suspens : la prochaine étape est de connaître les noms définitifs des candidats aux législatives, le 20 mai. Entre-temps, comme le veut la tradition, le Premier ministre présentera sa démission et sera rapidement remplacé. 

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