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En Guinée, "la honte doit changer de camp" face aux violences sexuelles

© CELLOU BINANI/AFP

Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Ce 27 septembre, Amnesty International publie un rapport concernant les violences sexuelles en Guinée. "Les victimes de violences sexuelles en Guinée se heurtent à la stigmatisation sociale, à un manque d’accès aux soins médicaux, ainsi qu’à d’importants obstacles à la justice", souligne l’organisation qui s’appuie sur des témoignages de femmes et de filles sur place.

Ce rapport est publié à la veille d’un procès historique, celui du massacre du 28 septembre 2009, au cours duquel soldats, policiers et miliciens ont tué plus de 150 manifestants et violé 109 femmes lors d’un rassemblement de l’opposition dans un stade de Conakry.

Mobilisation de la société civile

Plusieurs organisations guinéennes de défense des droits des femmes considèrent la diffusion sur les réseaux sociaux en 2015 d’une vidéo montrant une jeune femme nue, menacée par un couteau tenu par Tamsir Touré, alors chanteur populaire, comme "la goutte d’eau qui a fait déborder le vase", un "élément déclencheur" dans la mobilisation contre les violences sexuelles dans le pays.

A la suite de cette affaire, une manifestation de protestation avait été organisée le 4 novembre 2015 et plusieurs nouvelles associations ont vu le jour et ont interpellé les autorités au sujet des violences faites aux femmes et aux enfants.

En 2015, lors de l’affaire Tamsir Touré, la mobilisation avait poussé le ministre de la Justice et la ministre de l’Action sociale à réagir publiquement. En 2019 à la suite d’un viol collectif sur une femme par des militaires à Siguiri, un sit-in avait été organisé devant le ministère de la Défense par plusieurs organisations, finalement reçues par la Direction de l’information et des relations publiques des armées (DIRPA).

La même année, le 27 juin, une marche avait été organisée pour dénoncer les viols sur enfants, à la suite de laquelle un mémorandum présentant les préoccupations et recommandations des participants avait été déposé au ministère de la Justice.

En octobre 2020 les Amazones de la presse guinéenne, un collectif de femmes journalistes, ont interpellé par écrit les députés au sujet des viols sur mineures en formulant plusieurs recommandations.

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Amnesty International rappelle que l’année 2021 a été marquée dans le pays par de nouvelles mobilisations d’ampleur contre les violences sexuelles, notamment après le viol d’une fillette de 12 ans à Nzérékoré, et les viols qui ont mené à la mort de M’mah Sylla le 20 novembre. Dans ce contexte, plusieurs autres cas de viols et d’agressions sexuelles touchant des filles et femmes ont été rendus publics fin 2021.

© CELLOU BINANI/AFP
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"Les victimes et leurs proches nous ont dit à de nombreuses reprises que les terribles violences sexuelles qui leur ont été infligées sont exacerbées par le jugement de la société. Cependant, le silence entourant les cas de viol commence à se dissiper et la société civile s’emploie à dénoncer les violences sexuelles", déclare Samira Daoud, directrice régionale pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre à Amnesty International.

Des victimes souvent mineures

Selon les données fournies à Amnesty International, il existe une prévalence très majoritaire des viols commis sur des filles mineures de moins de 18 ans par des hommes majeurs. En 2020 plus de 75% des victimes étaient des mineures et près de 70% des auteurs étaient majeurs ; en 2019, 75% des victimes étaient des mineures et près de 65% des auteurs étaient des hommes majeurs. Les données de la Brigade spéciale de protection des personnes vulnérables (BSPPV) pour 2021 montrent que 33% des viols et agressions sexuelles enregistrés cette année l’ont été sur des victimes de moins de 13 ans.

Les inégalités de genre, les déséquilibres en matière de pouvoir et le mépris pour les droits humains sont souvent à la racine de ces actes odieux et empêchent les victimes de faire valoir leurs droits sexuels et reproductifs.

La maman d’une fillette victime de viol a parlé à Amnesty International de la stigmatisation subie par son enfant :"Une fois, j’étais partie à l’hôpital avec elle car elle ne se sentait pas bien lors de sa grossesse. On m’a demandé son âge, puis on m’a demandé si elle était mariée. Directement les gens ont su. L’un des médecins a dit : ‘Voilà c’est la petite qui a été violée’. Ça fait mal. Partout où elle passe, on ‘l’indexe’. Elle est tout le temps enfermée dans la maison, elle ne sort pas, elle communique difficilement avec les gens. Elle a envie de recommencer l’école mais ce n’est pas possible. Partout où elle passe les gens sauront que c’est elle. Elle est chez ma maman […] Tout le monde se méfie de nous maintenant. Même le tailleur chez qui on a l’habitude d’envoyer nos habits nous a chassées, en disant que nous sommes une famille problématique et que lui ne veut pas de problèmes. On a même envie de quitter le quartier."

Aicha Barry dont la fille de deux ans a été agressée sexuellement en 2020 par un voisin a dû quitter son domicile au terme d’une procédure judiciaire éprouvante et de pressions dans son quartier : "On habitait à Yimbayah à l’époque. Il a fallu qu’on déménage car il y avait trop de problèmes. Ma fille est petite, elle n’a pas forcément conscience de tout ce qu’il s’est passé, de ce que j’ai dû endurer. Il y avait tellement de pression, les voisins… Je ne pensais pas que j’allais m’en sortir."

"Ni justice, ni réparation"

"Les préjugés de la société concernant le viol en Guinée, qui dissuadent souvent de signaler ce crime et de porter plainte, laissent les victimes de ces atrocités sans soins médicaux, soutien psychosocial, ni aide juridique afin d’obtenir justice et réparation", a déclaré Marie-Evelyne Petrus-Barry, directrice régionale de l’IPPFAR.

"Les violences basées sur le genre sous toutes leurs formes sont reconnues comme des violations des droits humains par le droit et le système international des droits humains. Les inégalités de genre, les déséquilibres en matière de pouvoir et le mépris pour les droits humains sont souvent à la racine de ces actes odieux et empêchent les victimes de faire valoir leurs droits sexuels et reproductifs, et d’en bénéficier pleinement. En tant que défenseur·es des droits humains, nous devons tous et toutes prendre position et faire cesser ces actes inexcusables", ajoute-t-elle.

Elle a envie de recommencer l’école mais ce n’est pas possible.

Le pays a récemment renforcé son arsenal juridique. Depuis 2016, le code pénal punit le viol de cinq à dix ans d’emprisonnement et jusqu’à la perpétuité lorsqu’il a entraîné la mort de la victime. Malgré cette avancée et la création d’unités de police et de gendarmerie spécialisées afin de répondre aux cas de violences sexuelles, accéder à la justice en Guinée "reste une quête ardue semée d’embûches pour les victimes de violences sexuelles, tandis que les auteurs bénéficient souvent de l’impunité. Les autorités coutumières arrivent à faire pression en faveur d’arrangements extrajudiciaires menant à l’abandon des poursuites, ce qui est contraire à la loi et aux droits des victimes", écrit Amnesty International qui recommande des campagnes de préventions contre les violences sexuelles et l’adoption d’une loi générale sur les violences basées sur le genre dans le but de renforcer les capacités de la justice.

"Les autorités guinéennes se sont engagées à combattre les violences basées sur le genre et le viol. Nous les appelons à prendre des mesures concrètes afin de renforcer les efforts entrepris par l’État pour prévenir les violences sexuelles et garantir aux victimes l’accès aux soins et à la justice", ajoute Samira Daoud, faisant également référence aux instruments internationaux ratifiés par la Guinée à ce sujet dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des Femmes (CEDAW) en 1982, et le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples sur les droits des femmes en Afrique (Protocole de Maputo) en 2012.

En 2017, la Guinée s’est dotée d’une nouvelle Politique Nationale sur le Genre. En 2019, elle a adopté une stratégie nationale pour la promotion de l’abandon des mutilations génitales féminines et une loi sur la parité. La même année, le nouveau code civil a enregistré certaines avancées en matière de droits des femmes comme la reconnaissance de l’autorité parentale aux deux parents et la possibilité pour les femmes de choisir leur profession sans avoir l’autorisation de leur mari.

En 2020, une nouvelle Constitution a consacré la parité comme un objectif politique et social. "Néanmoins, malgré les efforts déployés sur le renforcement du cadre juridique, la mise en œuvre effective de ces mesures et réformes reste faible en raison de l’absence de mécanismes institutionnels, d’outils opérationnels fonctionnels et du défaut de sensibilisation et d’implication de la population. Ceci s’explique en partie par les défis liés à la coexistence du système juridique avec des coutumes et pratiques traditionnelles et religieuses discriminatoires", précise Amnesty International.

Un contexte troublé

Ces constats s’inscrivent dans un contexte politique trouble en Guinée au sein duquel les problématiques en matière de droits humains font écho à celles liées à la lutte contre les violences sexuelles, comme l’étouffement de la contestation de l’autorité, la restriction des libertés d’expression et de réunion pacifique ou encore l’impunité des violations des droits humains.

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Le 5 septembre 2021, le président de la République Alpha Condé, a été renversé par un coup d’État mené par des membres des forces spéciales de l’armée guinéenne, emmenées par le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya. Ces derniers ont créé le Conseil national du rassemblement pour le développement (CNRD) et instaurer un régime de transition.

Des dizaines de sympathisants de l’opposition ont été tués par les forces de défense et de sécurité lors de manifestations, et de nombreux militants pro-démocratie, opposants politiques et sympathisants de l’opposition ont été détenus arbitrairement, des violences également documentées par Amnesty International.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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