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En Italie, la victoire de Giorgia Meloni fait craindre un recul des droits des femmes et des minorités

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Par Caroline Bordecq, correspondante en Italie pour Les Grenades

Après la victoire de son parti de droite radicale Fratelli d’Italia aux élections italiennes, Giorgia Meloni pourrait devenir la prochaine première ministre. Une perspective qui fait craindre aux féministes un recul des droits des femmes et des minorités.

Ce dimanche 25 septembre, l’Italie a tourné une nouvelle page de son histoire. Le parti de droite radicale Fratelli d’Italia a remporté les élections législatives anticipées, avec 26% des suffrages. Permettant ainsi à la coalition des droites – rassemblant La ligue de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi – d’obtenir une large majorité au Parlement (44%).

Cette nette victoire pourrait propulser la cheffe de file de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, au poste de Première ministre, une première pour une femme dans l’histoire politique italienne. Le pays serait alors dirigé par une droite située à l’extrême de l’échiquier politique.

Il pourrait y avoir des batailles très fortes si les droits devaient être attaqués.

Un risque pour les droits des femmes

Pour Elisa Ercoli, présidente de Differenza Donna, une association qui lutte contre les violences faites aux femmes, ce nouvel équilibre politique est un risque pour les droits des femmes. "On a vu au niveau international que les souverainistes partent du corps des femmes pour imposer une politique traditionaliste de leurs gouvernements", s’inquiète-t-elle. En Pologne, par exemple, l’avortement est presque totalement interdit depuis 2021.

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Avec l’arrivée de Fratelli d’Italia au pouvoir, l’une des inquiétudes porte justement sur l’accès à l’avortement. Lors de sa campagne, si Giorgia Meloni a assuré qu’elle ne toucherait pas la loi 194 (qui autorise l’IVG), Elisa Erdicoli estime qu’"elle n’en a pas besoin. Dans un contexte où l’objection de conscience est si élevée, c’est facile de limiter la loi sans la modifier". En effet, en Italie 65% des gynécologues sont objecteur-trices de conscience, c’est-à-dire qu’ils ou elles refusent de pratiquer les IVG au nom de leur moral ou de leurs croyances, imposant à certaines femmes un véritable parcours du combattant pour avorter.

Pour appuyer son propos, la féministe met en lumière la politique menée par Fratelli d’Italia dans les régions où le parti gouverne. En 2021, la région des Marches (Italie du centre), où 70% des médecins sont objecteurs-trices de conscience, a éliminé la possibilité d’effectuer les avortements médicamenteux dans les plannings familiaux, ce qui oblige les femmes à se déplacer dans les hôpitaux, sachant que dans cette région certains d’entre eux ont 90% de médecins objecteur-trices, et retarde donc leur prise en charge. En Belgique, où l’avortement est sorti du Code pénal en 2018, des femmes ont également témoigné des complications liées au délai légal de douze semaines pour avorter.

Défense d’une société traditionaliste

Dans la lignée des partis souverainistes européens, Giorgia Meloni défend une société traditionaliste. En 2019, elle avait d’ailleurs participé à un congrès mondial ultra-conservateur sur la famille traditionnelle, à Vérone. "Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis Italienne, je suis chrétienne et vous ne me l’enlèverez pas", avait-elle scandé lors d’un meeting la même année, s’attaquant à ce qu’elle appelle "le lobby LGBT". Un discours devenu célèbre notamment pour son remix techno.

Mais là encore, Giorgia Meloni assure ne pas vouloir toucher la loi permettant l’union civile entre les personnes du même sexe. "C’est une loi assez inoffensive car elle ne permet pas l’adoption pour les couples homoparentaux, ou ne simplifie pas l’adoption de l’enfant du ou de la partenaire", analyse Giorgia Serughetti, chercheuse en philosophie politique à Milan. Toutefois, la chercheuse ne serait pas surprise de voir émerger des mesures limitant les droits des personnes LGTBQI +. Elle imagine, par exemple, une interdiction pour les communes d’enregistrer des couples homosexuels comme deux parents d’un enfant.

L’Italie est déjà un pays où il n’est pas facile de vivre en tant que gay, lesbienne ou d’origine étrangère.

Quant aux migrant·es, "l’agenda est clair : un contrôle sévère des frontières. Les règles d’accès à la citoyenneté italienne ne seront pas non plus améliorées", assure la chercheuse.

Plus qu’une grande rupture sur les droits civiques existants, Giorgia Serughetti s’attend à des mesures symboliques "qui rendront la vie plus difficile aux femmes et aux communautés LGBTQI +, qui renforceront l’idée du retour à une identité hétérosexuelle, italienne, etc., tout en conservant cette image modérée que Giorgia Meloni a réussi à se construire surtout auprès des interlocuteurs internationaux", résume-t-elle.

L’Italie a "les anticorps pour repousser un vrai danger autoritaire"

Ainsi, peu de risques dans l’immédiat de voir surgir en Italie un modèle calqué sur la Hongrie ou encore la Pologne (dont les dirigeants sont proches de Giorgia Meloni), assure la chercheuse. De plus, "le pays a une Constitution solide, des organismes de contrôle, elle a les anticorps pour repousser un vrai danger autoritaire", rassure Giorgia Serughetti.

Sans compter le tissu militant féministe diffus dans la société italienne. "Il pourrait y avoir des batailles très fortes si les droits devaient être attaqués", analyse à son tour Olivia Guaraldo, professeure de philosophie politique à Vérone. La manifestation organisée ce mercredi 28 septembre par le collectif Non Una Di Meno à l’occasion de la journée internationale du droit à l’avortement en est un bon exemple.

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Ainsi, à court terme, plus qu’un risque de dérive autoritaire "le vrai thème c’est le climat qu’on va respirer dans le pays", assure Giorgia Serughetti. Pour la chercheuse, si les choses ne vont pas radicalement changer – "l’Italie est déjà un pays où il n’est pas facile de vivre en tant que gay, lesbienne ou d’origine étrangère", explique-t-elle – les personnes très hostiles aux homosexuel.les, aux migrant·es, ou encore aux femmes "se sentiront plus autorisées à faire du bruit, à être plus agressives", continue la chercheuse.

Un climat qui s’était déjà fortement ressenti lorsque Matteo Salvini était ministre de l’Intérieur (2018-2019). À l’époque, les inquiétudes face à une escalade de la xénophobie et des épisodes de violences racistes en Italie étaient même remontées jusqu’aux Nations Unies.

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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