Economie

En plein marasme économique, la coupe du Monde est "un coup de boost pour les Argentins"

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Ce match a été aussi difficile que ne l’est la vie en Argentine” : ce témoignage d’un Argentin vivant en Espagne en dit long sur la situation de son pays. Inflation, dette massive, pauvreté : l’Argentine est engluée dans une crise économique sans fin. Alors, quand l’Albiceleste s’offre la Coupe du Monde, le pays jubile… Mais pour combien de temps ? On en parle avec Xavier Dupret, économiste à la Fondation Joseph Jacquemotte et spécialiste de l’Argentine.

"Les Argentins vivent mal aujourd’hui", concède Xavier Dupret. "Globalement 40% de la main-d’œuvre du pays est sur le marché informel du travail. Si on devait assimiler ces personnes comme étant des demandeurs d’emploi formels, le taux de chômage serait donc de l’ordre de 40%. Ces statistiques sont donc très préoccupantes."

Autre chiffre préoccupant : celui de l’inflation, qui risque d’afficher trois chiffres pour l’année 2022. "C’est un pays qui va s’installer dans une vraie forme de stagflation", note l’économiste spécialiste de l’Argentine. "Il va y avoir une croissance de 2 ou 3% par an – parce que le pays est encore jeune – avec un taux d’inflation qui va retomber un peu entre 50 et 75%. C’est très dur.”

Les tensions ou l’exode

Le pouvoir d’achat des Argentins est donc en chute libre, ce qui nourrit les frustrations sociales et l’insécurité. La société est d’ailleurs de plus en plus polarisée. D’un côté, on remarque l’émergence d’une force d’extrême droite parfois violente – en témoigne l’attentat manqué contre la Vice-Présidente de centre gauche Cristina Krichner, il y a deux mois.

Quant au centre gauche – qui représente 25 à 30% de l’électorat -, il se sent de plus en plus invisibilisé depuis que la même Vice-Présidente Cristina Kirchner a été condamnée à de l’inéligibilité pour fraude et corruption.

Face à ce contexte sous haute tension, certains optent pour une dernière issue : la migration. Les jeunes qualifiés sont en effet nombreux à vouloir quitter le pays, loin de l’avenir bouché qui leur est promis chez eux. Et l’Argentine étant un pays de migration européenne, la destination est souvent toute trouvée.

Une histoire compliquée

Bien qu’importantes, ces difficultés sont loin d’être inédites en Argentine. Le pays traîne derrière lui un parcours économique plutôt chaotique, avec pas moins de huit défauts de paiement de dettes au compteur. "Le pays a marché vers le sous-développement, en partie pour des raisons politiques et une instabilité interne”, analyse Xavier Dupret, économiste à la Fondation Joseph Jacquemotte.

Déjà en 2001, le pays était en proie à une crise économique majeure, atteignant le plus important défaut de paiement de l’histoire (100 milliards de dollars). Malgré les années et la succession de dirigeants, le marasme économique ne s’est pas résorbé.

Les Argentins célèbrent leur victoire
Les Argentins célèbrent leur victoire © Belgaimage

Et une dizaine d’années plus tard, en 2018, le pays a décidé d’emprunter 57 milliards de dollars au Fonds monétaire international (FMI). Un prêt que l’économie argentine n’a bien entendu pas pu supporter.

Depuis 2019, le nouveau président de centre gauche est d’ailleurs toujours en négociation avec le FMI sur l’adoption d’un plan d’ajustement. Plus de vingt ans après la crise de 2001, l’Argentine n’est donc toujours pas sortie de cette crise économique.

“Un coup de boost”

Face à cette dure réalité, l’ivresse suscitée par la Coupe du monde ne peut donc pas faire tort à la nation. Au moins d’un point de vue moral. "La Coupe du Monde est un coup de boost pour le moral des Argentins", reconnaît Xavier Dupret. "Economiquement, le moral est important. Et on reparlera encore de la Coupe du Monde dans les semaines à venir."

Ce sacre peut également lancer l’idée d’un soft power argentin, comme l’explique l’expert. "C’est vrai que vendre l’image des sportifs argentins, ça peut aider à situer le pays sur la carte, tant d’un point de vue des investissements que du tourisme."

Cette coupe du monde représente donc "une opportunité pour l’Argentine de regarder son histoire avec davantage d’optimisme", note Xavier Dupret.

Car malgré ses difficultés, l’Argentine reste un pays riche en matières premières : du blé, du soja, du gaz, du bétail… Ce qui manque à l’Argentine aujourd’hui, ce n’est donc pas ses ressources mais un secteur industriel. Certes, l’Argentine a pris du retard sur les autres puissances mondiales, mais "sans l’Argentine, les grands centres de l’économie mondiale auraient plus de mal à se nourrir", conclut l’économiste.

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