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En République de Bosnie, des élections qui remettent les nationalistes aux affaires

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Les Bosniens ont voté dimanche dans un climat de crise marqué par les menaces sécessionnistes, les divisions ethniques croissantes et les craintes de nouvelles turbulences.

Les électeurs se sont rendus aux urnes pour désigner entre autres les trois membres de la présidence collégiale de la Bosnie, les députés du Parlement central et une série de représentations locales.

Le scrutin concernait donc les assemblées de la République, et celles des deux entités fédérées : la Fédération de Bosnie Herzégovine, qui regroupe Croates (catholiques) et Bosniaques (musulmans), ainsi que la République serbe.

A l’image de l’organisation administrative et politique du pays, ce multiple scrutin était complexe. "Il faut savoir que, comme la Bosnie-Herzégovine est un État qui est divisé en deux entités administratives, les électeurs ont renouvelé non seulement les institutions nationales, c’est-à-dire la présidence et le parlement national, explique Aline Cateux, chercheuse au laboratoire d’anthropologie prospective de l’université de Louvain-la-Neuve et correspondante dans les Balkans pour le journal Le Soir, mais aussi les institutions de chaque entité : donc les présidents, les parlements des entités et les assemblées cantonales dans la fédération de Bosnie, qui est l’une des deux entités de cette république de Bosnie-Herzégovine."

République serbe: Milorad Dodik ne veut pas céder

Entre menaces sécessionnistes des Serbes orthodoxes, frustrations des Croates catholiques qui ne veulent plus cohabiter avec les Bosniaques musulmans et rêves "d’Etat citoyen" de nombre de ces derniers, beaucoup craignent pour l’intégrité même du pays pauvre des Balkans.

Et c’est donc à plusieurs niveaux que les résultats de ces élections risquent de créer des tensions dans le pays.

En République serbe (RS) tout d’abord, deux leaders serbes rivaux ont revendiqué la victoire.

La Commission électorale poursuivait son décompte des voix tard dans la nuit dimanche, mais l’ennemie jurée de Milorad Dodik, Jelena Trivic, une universitaire professeure d’économie, a proclamé tôt sa victoire dans la course à la présidence de la République serbe, l’entité serbe du pays fracturé. "C’est la victoire du peuple", a-t-elle lancé avant de descendre dans les rues de Banja Luka, le chef-lieu de la RS, pour la célébrer. "Cela ne doit pas représenter ma victoire personnelle mais plutôt une victoire de la RS".

Milorad Dodik, qui vise un troisième mandat à la présidence de la RS, a rejeté la revendication de sa rivale. "J’ai remporté le poste de président de la RS", a-t-il dit, en accusant le camp d’en face de manquer de "sérieux". "La tendance garantit absolument que le candidat du SNSD, c’est-à-dire moi, a gagné l’élection".

Milorad Dodik, le représentant serbe sortant de la présidence collégiale, a multiplié ces derniers mois les menaces sécessionnistes qui lui ont valu des sanctions de Washington et de Londres, tout en répétant que la Bosnie était un pays "raté".

Jelena Trivic, leader du parti du progrès démocratique en République serbe de Bosnie
Jelena Trivic, leader du parti du progrès démocratique en République serbe de Bosnie © AFP or licensors

Milorad Dodik, qui vise un troisième mandat à la présidence de la RS, a rejeté la revendication de sa rivale. "J’ai remporté le poste de président de la RS", a-t-il dit, en accusant le camp d’en face de manquer de sérieux. "La tendance garantit absolument que le candidat du SNSD, c’est-à-dire moi, a gagné l’élection".

Milorad Dodik, le représentant serbe sortant de la présidence collégiale, a multiplié ces derniers mois les menaces sécessionnistes qui lui ont valu des sanctions de Washington et de Londres, tout en répétant que la Bosnie était un pays "raté".

Règlements de compte violents possibles, mais pas de sécession

"La Commission nationale électorale n’a toujours pas publié de chiffres officiels concernant la présidence de la République serbe, réagit Aline Cateux. Très vite, Jelena Trivic qui était la principale opposante à Dodik, et qui a fait une campagne extrêmement virulente, s’est proclamée vainqueur de ces élections". Le problème, poursuit la chercheuse, c’est "qu’il y a fort peu de chances que Dodik concède la victoire".

"Il y a une grande différence entre Dodik et Trivic, poursuit Aline Cateux, Dodik, ce n’est pas vraiment un homme politique, c’est un businessman, un profiteur de guerre ; il a essentiellement fait sa fortune à partir de là. C’est quelqu’un qui a construit son empire sur la corruption et sur les business, et qui est lié aux groupes mafieux de la République serbe issus de la guerre. Trivic, c’est une enfant de la guerre, et c’est quelqu’un qui est éduqué, mais qui a tout de même grandi dans une République serbe ultranationaliste, et elle est elle-même nationaliste, elle a déjà dit qu’elle soutiendrait de toutes ses forces la politique de la Serbie. Mais elle fait de la lutte contre la corruption son élément numéro un et en cela elle traite Dodik de traître".

Mais cette querelle électorale risque-t-elle d’accentuer les tensions séparatistes en République serbe ? Aline Cateux n’y croit pas, même si une exacerbation de la violence interne à la RS pourrait être à l’ordre du jour.

"On est dans une entité où les règlements de compte politiques sont extrêmement violents, et autour de Dodik il y a quand même des groupes mafieux, y compris des groupes armés. On pourrait aboutir à une situation de tension extrêmement forte à Banja Luka. Mais on peut estimer que les tensions liées à la sécession vont être mises entre parenthèses pour un petit moment, vu le désastre que les Russes sont en train de subir en Ukraine".

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Fédération de Bosnie Herzégovine: "Une réforme électorale discriminatoire"

C’est sans doute au niveau de la Fédération de Bosnie Herzegovine, la seconde entité de l'Etat de Bosnie, regroupant Croates (catholiques) et Bosniaques (musulmans) que les conséquences de ces élections vont être les plus problématiques. Plus particulièrement, au niveau de l’élection des représentants de chacune des communautés à la présidence tripartite de l’Etat de Bosnie.

Depuis des mois, les Croates expriment haut et fort leur mécontentement face aux règles électorales, qui les amènent à partager une fédération avec les Bosniaques, et tous les partis croates réclament une entité propre ou une modification des règles électorales. Celles-ci permettent aux Bosniaques largement majoritaires démographiquement au sein de l’entité commune d’élire de fait le membre croate à la présidence collégiale. Les Croates réclament aussi de nouveaux mécanismes pour choisir leurs représentants à la chambre haute de la fédération, ce que refusent les Bosniaques.

Et c’est ce que justement, le Haut représentant de la Communauté internationale, Christian Schimdt, qui possède un pouvoir discrétionnaire à plusieurs niveaux en Bosnie, a tranché dimanche, en plein décompte des voix des élections.

Les règles ont été changées, pour se conformer aux revendications croates… Au risque de mettre en péril des résultats parfois difficiles à imposer. Et aussi, estime Aline Cateux, au risque de casser toute possibilité pour l’Etat bosnien, particulièrement pour l’entité croato-bosniaque, de dépasser ses tensions nationalistes. "C’était un moment historique, il s’agissait d’un vote qui pourrait mettre deux candidats sociaux-démocrates à la présidence tripartite du pays (pour les Croates et les Bosniaques, respectivement les deux modérés Zeljko Komsic et Denis Becirovic, ndlr), et c’est la première fois depuis la guerre que les partis nationalistes bosniaques perdent le poste de président bosniaque. Il s’est donc passé des choses extrêmement importantes dans la Fédération de Bosnie Herzegovine. Et c’est extrêmement cruel de voir que, au moment ou l’électorat bosnien se prononce enfin pour un "État citoyen", le Haut représentant de la Communauté internationale se charge de leur couper l’herbe sous le pied, en promulguant une réforme électorale discriminatoire".

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