Guerre en Ukraine

Énergie, défense, automobile : quel est l’impact des sanctions occidentales contre la Russie ?

Énergie, défense, automobile : quel est l’impact des sanctions occidentales contre la Russie ?

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La Russie est officiellement entrée en récession cet automne. Ce ressac économique est largement dû aux lourdes sanctions occidentales prises après l’invasion de l’Ukraine. Mais on est loin d’assister à un effondrement de la Russie et Vladimir Poutine parvient toujours à financer son effort de guerre. De quoi remettre en question l’efficacité de ces sanctions ?

Les sanctions occidentales visent notamment à asphyxier le secteur énergétique russe, la principale source de financement de l’effort de guerre du Kremlin en Ukraine.
Les sanctions occidentales visent notamment à asphyxier le secteur énergétique russe, la principale source de financement de l’effort de guerre du Kremlin en Ukraine. © GettyImages

Des sanctions occidentales lourdes

Les pays occidentaux ont un objectif clair. Il est résumé en une phrase sur le site du Conseil européen, l’institution qui représente les Etats membres de l’Union européenne. Les sanctions sont "destinées à affaiblir la base économique de la Russie, en la privant de technologies et de marchés essentiels et en réduisant considérablement sa capacité à faire la guerre (en Ukraine)".

En neuf mois, les Européens ont adopté 8 paquets de mesures restrictives :

  • embargo complet sur le charbon,
  • embargo partiel sur le pétrole (qui entre en vigueur ce lundi 5 décembre),
  • interdiction d’exporter vers la Russie des technologies de pointe et du matériel dans des secteurs clés comme la défense,
  • l’énergie ou l’aviation,
  • gel des réserves de devises étrangères de la Banque centrale russe,
  • isolement de plusieurs banques russes du système financier international,
  • etc.

"Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe", assurait Bruno Le Maire, le ministre français de l’Economie en mars dernier. A cette même époque, l’Institut de la Finance Mondiale, l’association qui réunit les grandes banques et institutions financières internationales, annonçait une contraction de l’économie russe de près de 15% de cette année.

Mais cet écroulement ne s’est pas produit.

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La manne des hydrocarbures russes

L’économie russe a mieux résisté que prévu. A Moscou, les autorités se sont attelées à réduire au maximum l’impact des sanctions occidentales. Par exemple, grâce à l’action de sa Banque centrale, la Russie a évité une crise financière. Mais si la Russie tient le coup, elle le doit avant tout à ses exportations d’hydrocarbures.

© RTBF

Selon le décompte de l’organisation CREA (Center for Research on Energy and Clean Air), les ventes de pétrole, de gaz et de charbon ont rapporté la somme colossale de 246 milliards d’euros à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022. A eux seuls, les pays de l’Union européenne en ont acheté pour plus de 122 milliards d’euros. Les sanctions occidentales n’ont pas mis à mal les revenus de la Russie qui peut donc continuer à financer sa guerre en Ukraine.

Mais ça ne veut pas dire que ces sanctions sans effet à court, moyen et long terme.

Une économie russe de plus en plus opaque

Les chiffres officiels communiqués par la Russie révèlent quelques signes de faiblesse. Pour le troisième trimestre consécutif, l’économie russe est dans le rouge. La baisse a été de 4,1% entre juillet et septembre. Sur l’ensemble de l’année 2022, le recul sera de 3,5%, à en croire Rosstat, l’agence russe des statistiques. Mais dans le même temps, la Russie affirme être toujours en situation de plein-emploi. Quant à l’inflation, elle dépasse les 12% sur un an mais serait en baisse depuis plusieurs mois, à en croire Moscou. Autrement dit, la situation serait sous contrôle.

Mais les chiffres publiés correspondent-ils à la réalité ? Dans une étude approfondie publiée en juillet dernier sur l’impact des sanctions occidentales contre la Russie, des chercheurs de l’université de Yale affirment que "depuis l’invasion de l’Ukraine, les communiqués économiques du Kremlin sont de plus en plus triés sur le volet, éliminant sélectivement les données défavorables pour ne publier que celles qui sont plus favorables".

Le pouvoir russe a fait des statistiques économiques une arme de propagande

Une opacité confirmée par Agathe Demarais, directrice des prévisions mondiales de l’Economist Intelligence Unit, le centre de recherche indépendant du magazine The Economist. "Il est extrêmement difficile aujourd’hui d’avoir une idée précise de l’état de l’économie russe précisément parce que le pouvoir russe a fait des statistiques économiques une arme de propagande. On le voit très bien puisque le Kremlin bloque l’accès à un certain nombre de statistiques notamment pour ce qui concerne le commerce extérieur mais également la situation du secteur financier, c’est-à-dire des banques. "

Une économie russe en récession

Cela étant, l’opacité n’est pas totale. En se basant sur les indicateurs communiqués par Rosstat, Agathe Demarais fait une première analyse : "Pour le mois d’octobre, on constate que l’économie russe va mal. Le PIB russe, c’est-à-dire la taille de l’économie russe, est un peu plus de 4% inférieur à ce qu’elle était il y a un an, donc avant le début de la guerre.

Les sanctions ont un impact

"On voit également que la production industrielle, dont la production de gaz et de pétrole, a diminué de 3% en un an et les ventes de détail, c’est-à-dire la consommation des ménages russes, ont chuté de 10% également en un an. Donc, les sanctions ont un impact significatif. L’économie russe s’achemine vers une récession d’environ 4% cette année et également l’an prochain, ce qui est intéressant parce que d’habitude une économie qui est en récession rebondit l’année suivante. Mais là, elle va rester en récession".

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Plonger la Russie en récession, c’est bien un des objectifs recherchés par les Occidentaux. "Les sanctions contre une économie qui est aussi grande que celle de la Russie, on parle de la 11e économie mondiale, ne peuvent pas provoquer un effondrement de l’économie ", explique l’économiste française. "Ce n’est pas possible, c’est une économie qui est beaucoup trop importante. En revanche, ce qu’elles peuvent faire, c’est compliquer la possibilité pour la Russie de financer la guerre puisqu’en provoquant une récession et un déficit des comptes publics,

à un moment, le Kremlin va devoir faire des choix entre financer les programmes sociaux ou financer la guerre en Ukraine

La Russie privée de technologies occidentales

Parmi les sanctions occidentales, il y a l’interdiction d’exporter vers la Russie des technologies de pointe et des pièces détachées. Et là, les effets se font déjà ressentir avec des industries lourdement touchées. "Le manque d’accès à des composants occidentaux et notamment à des semi-conducteurs a fait chuter la production de véhicules de 64% en octobre par rapport à ce qu’elle était l’an dernier", constate Agathe Demarais. "Les voitures russes aujourd’hui n’ont plus d’ABS, plus d’airbags. Elles manquent de tout. C’est le retour à la Lada."

Les industries russes les plus touchées sont l’automobile (ligne bleue) et l’aviation (ligne orange). Le départ de constructeurs automobiles étrangers et le manque de pièces occidentales ont fait chuter la construction de véhicules automobiles de 95% en m
Les industries russes les plus touchées sont l’automobile (ligne bleue) et l’aviation (ligne orange). Le départ de constructeurs automobiles étrangers et le manque de pièces occidentales ont fait chuter la construction de véhicules automobiles de 95% en m © RTBF

Les mêmes conséquences sont observées dans le secteur de l’aviation et, dans le futur, la pression va également augmenter sur le secteur énergétique, analyse Agathe Demarais qui vient de publier "Backfire", un livre (en anglais) qui analyse la réaction de pays frappés par des sanctions américaines. "Les entreprises russes du secteur énergétique n’ont plus accès aux financements occidentaux et aux technologies occidentales. Pour l’instant, les champs pétro-gaziers russes ont encore des réserves. Mais ces réserves vont s’épuiser et,

À long terme, il sera difficile pour la Russie de développer de nouveaux champs d’hydrocarbures, notamment dans l’Arctique parce qu’ils coûtent très cher et ils nécessitent des technologies occidentales

Quant à l’impact sur le complexe militaro-industriel, il est très difficile à estimer. "Pour ce qui concerne les informations publiques dont on dispose, a priori la Russie vit sur ses stocks de missiles qui sont en train de diminuer et elle aura beaucoup de mal à refaire ses stocks", avance prudemment l’économiste française.

Un horizon économique sombre

L’avenir économique s’annonce difficile pour la Russie. Les sanctions occidentales vont venir aggraver des faiblesses préexistantes comme une démographie déclinante, une croissance et une productivité faibles. Agathe Demarais pointe une autre faiblesse à venir : "La Russie, c’est un producteur d’énergie majoritairement, c’est un tiers de l’économie russe. La transition mondiale vers les énergies renouvelables va pénaliser les perspectives à long terme de l’économie russe. En plus, depuis la guerre en Ukraine, les Européens se détournent des hydrocarbures russes à grande vitesse".

Pour l’économiste Agathe Demarais, "la transition mondiale vers les énergies renouvelables va pénaliser les perspectives à long terme de l’économie russe".
Pour l’économiste Agathe Demarais, "la transition mondiale vers les énergies renouvelables va pénaliser les perspectives à long terme de l’économie russe". © RTBF

La Russie doit trouver des alternatives au marché européen. Si la chose est assez simple pour le pétrole, au lieu de s’arrêter dans les ports européens, les tankers chargés de pétrole russe prendront le chemin de l’Asie, ce sera plus difficile pour le gaz qui est essentiellement transporté par gazoduc. "Ça nécessite la construction de gazoducs, ce qui prend du temps et requiert du financement", souligne l’économiste.

Pékin va faire attention à ne pas dépendre du gaz russe

"Pour l’instant, la Russie n’a qu’un gazoduc vers la Chine. Elle aimerait en construire un deuxième. Mais on voit que la Chine n’est pas vraiment pressée. Pékin va faire attention à ne pas dépendre du gaz russe. Et en jouant la montre, les Chinois savent qu’ils pourront obtenir des bons prix pour ses importations de gaz si la Russie est un peu plus désespérée dans les mois et les années à venir."

Les potentiels effets à venir des sanctions occidentales

Les sanctions occidentales n’ont pas encore eu les effets escomptés. La Russie a encore suffisamment de moyens issus du gaz et du pétrole. Mais cette manne risque bien de se tarir à moyen terme. A plus courte échéance, l’inflation et la récession, qui touchent de plein fouet la population russe, pourraient provoquer du mécontentement social. C’est là aussi un objectif des Occidentaux.

La population russe semble continuer à soutenir le pouvoir

"L’idée, avec cette hausse de l’inflation est d’inciter le peuple russe à faire pression sur le Kremlin pour qu’il change de politique vis-à-vis de l’Ukraine. Maintenant, on constate que la majorité de la population semble continuer à soutenir le pouvoir. Cela traduit un contrôle très strict des médias en Russie. La propagande russe est à peu près la seule chose autorisée sur les chaînes de télévision et de radio russes. Alors, évidemment la société n’a pas accès à l’information indépendante et soutient le pouvoir."

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