Chroniques

Engie au pays des singes

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Par Bertrand Henne

Faut-il que l’Etat Belge exploite lui-même les réacteurs nucléaires ? C’est la proposition que fait Engie à l’Etat Belge. Participer aux bénéfices, participer aussi aux risques. Si l’on prend le temps de se tourner vers l’histoire, cette proposition flirte entre le gâchis et l’insulte.

Le retour de l’Etat

L’Etat producteur d’énergie. Voilà une proposition d’Engie qui sur papier ne devrait pas déplaire tout à fait au PTB. De longue date, le parti marxiste juge que la privatisation du secteur était une erreur et exige une participation publique dans la production d’énergie. Bien sûr le PTB dénonce les conditions d’Engie. Mais il faut souligner le retour en grâce de l’Etat dans la production d’électricité. Un thème que le PTB porte de longue date.

Plus étonnant, à première vue, l’Etat producteur fait aussi son grand retour chez les libéraux. Georges Louis Bouchez adore se draper dans un discours viril et dire qu’il est prêt à ce que l’Etat force la main à Engie. Pourquoi pas en reprenant les réacteurs nucléaires. Il a plusieurs fois fait référence à ce qui est selon lui l’âge d’or de la politique énergétique Belge : l’époque ou Tractebel (aux mains de la Générale) jouissait d’un monopole de la production.

Or, ce qui est assez interpellant c’est qu’Engie, ne semble pas désintéressée d’un tel retour de l’Etat producteur. Dans la lettre que le groupe français a envoyée au Premier ministre, Engie propose un cofinancement des travaux de prolongation des deux centrales nucléaire. L’Etat deviendrait copropriétaire, coexploitant.

Participation aux bénéfices… Et aux risques

L’Etat et le nucléaire ne semblent pas pouvoir se trouver trop loin l’un de l’autre. En France, le nucléaire reste adossé en dernier ressort à l’Etat. En Allemagne, l’Etat a accordé une décharge de responsabilité aux exploitants pour la gestion des déchets au-delà de 24 milliards d’euros.

Selon Engie, l’Etat qui voudrait prolonger les réacteurs devrait donc d’une manière ou d’une autre prendre en charge une partie du coût du risque. Le risque d’une envolée des coûts de traitements de déchets (dont le sort n’a pas encore été décidé par l’Etat), les risques d’une envolée des coûts du démantèlement, le risque enfin d’une envolée des coûts de production liés à la sûreté nucléaire (ce dernier point n’est pas évoqué clairement). Ce dernier point est très important, car on voit qu’en France plus de la moitié du parc nucléaire est indisponible en bonne partie pour des problèmes de corrosion. De la part des exploitants, il y a une crainte grandissante que les exigences de sûreté engendrent des coûts non prévus.

Pour Engie si l’Etat veut du nucléaire pour assurer une production et maîtriser les prix alors l’Etat doit prendre sa part de risque. Et puis si l’Etat est coexploitant, on peut évidemment se dire qu’il évitera de se tirer une balle dans le pied en prenant des décisions trop strictes en matière de déchets ou de sûretés. Jouer un match avec l’arbitre dans son camp, ce n’est jamais perdu.

Insulte à l’histoire

Cette demande d’Engie répond à la demande (tardive) de l’Etat. Elle est logique. Sauf que pour la Belgique cette proposition est presque une insulte à l’histoire. Durant des années, Electrabel a été la vache à lait d’Engie. Les bénéfices du nucléaire, largement amorti depuis les années 2000, ont été engloutis par les actionnaires (français ou belges) plutôt que de faire baisser la facture du consommateur.

On ne peut pas vraiment en vouloir à Engie. L’Etat belge faible et divisé a laissé faire. Il n’y a qu’un mot pour résumer cette histoire : gâchis. Désormais, alors que la facture des déchets et du démantèlement s’approche, Engie revient vers l’Etat dans une forme d’éternel retour de l’adage “socialisation des pertes, privatisation des profits”. Gâchis

On peut difficilement reprocher à Engie d’être une entreprise privée. Et on peut difficilement lui reprocher de minimiser ses risques et de garantir ses bénéfices alors que l’Etat Belge est quasiment à genoux devant elle. Gâchis

Vous savez ce qu’avait dit Marc Eyskens, ministre des affaires étrangères, qui refusait de démissionner au début des années 90 après que ses services ont malencontreusement délivré un passeport à un terroriste recherché partout dans le monde (Walid Khaled du groupe Abou Nidal) ? “Dans n’importe quel autre pays, je démissionnerais, mais quand même pas dans un pays de singes comme la Belgique”. Engie est devenue maître de l’énergie belge car l’Etat Belge était trop divisé. Aucun intérêt supérieur ne parvenait à mobiliser les acteurs de la particratie belge de la fin des années 80 autour d’un dossier aussi stratégique, c’est ça le pays de singes dont parlait Eyskens en 91. Engie n’a connu que ça, un pays de singes. Les singes ont fait sa fortune. Il est donc normal qu’Engie continue de nous traiter comme des singes. Gâchis.

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