Education

Enseignement : la formation en alternance va-t-elle s’éloigner de l’école ?

Formation : quel avenir pour l'alternance ?

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Aujourd’hui, deux filières de formation pour les jeunes à partir de 15 ans coexistent, avec des craintes du monde enseignant de voir ces filières techniques et professionnelles basculer entre les mains des entreprises et s’éloigner ainsi de l’école. Les syndicats du monde enseignant manifestent aujourd’hui à Namur où ils rencontrent le gouvernement wallon pour discuter de la formation en alternance.

L’évidence de l’alternance

En cuisine, Bryan écoute avec beaucoup d’attention les conseils de son professeur de cuisine.
En cuisine, Bryan écoute avec beaucoup d’attention les conseils de son professeur de cuisine. © RTBF

Dans les cuisines de son école, Bryan Cosa s’attelle à préparer le menu de midi : un hachis parmentier aux épinards. Cet apprenti cuisinier entame sa 7e année secondaire, une formation qu’il a choisi de faire en alternance, en Centre d’éducation et de formation en alternance (CEFA) : 2 jours à l’école avec des cours généraux comme histoire, géo, math, français… et les 3 autres jours de la semaine, dans un restaurant aux côtés d’un chef. Etre derrière les fourneaux, très vite, c’était une évidence pour lui :

Bryan Cosa, élève de 7ème année en Cuisine, Institut des Arts et Métiers de Bruxelles-ville.

"J’ai très vite senti que l’école classique, ça ne serait pas pour moi. Mais j’étais bon en cuisine et on a très vite décidé ensemble avec mon papa que je le ferai en CEFA. On apprend beaucoup plus que quelqu’un qui est à l’école tous les jours. Ce sont aussi d’autres manières de travailler. Chaque année, j’ai changé de patron, pour prendre justement des informations chez chaque patron différent. Et je sens qu’au fur et à mesure, on me fait confiance et on me donne des tâches à responsabilités comme faire du chaud. Ils me font évoluer"

Pour le professeur de cuisine, grâce à l’alternance, l’évolution de ses élèves s’observe de semaine en semaine :

Antonio Theodorakakis, professeur de cuisine - Institut des Arts et métiers de Bruxelles-ville.

"Ils sont plus posés et ils sont surtout plus calmes. Ils savent désormais quoi faire ! Nous, on leur donne une fiche technique et ils n’ont plus besoin d’explications. En général, ils comprennent directement.", explique Antonio Theodorakakis, professeur de cuisine à l’Institut des Arts et Métiers à Bruxelles.

D’une cuisine à une autre, en contrat rémunéré 24 heures par semaine, Bryan rejoint David Caron, chef d’un gîte auberge à Bruxelles. Ce chef est convaincu par l’alternance. Depuis 10 ans, il accueille au sein de son établissement des apprentis. Pour lui, c’est l’occasion de transmettre un savoir-faire, mais aussi former un apprenti motivé en vue de le recruter :

David Caron, chef du Gîte-Auberge Jacques Brel

"Vu les difficultés que nous éprouvons à recruter dans l’Horeca, on essaye d’avoir des gens qu’on forme sur le terrain, qu’on forme aussi vraiment dans nos valeurs. A partir du mois de juin, Bryan sera sur le marché du travail et c’est quelqu’un qu’on peut…" David hésite et allait dire "adopter" mais se ravise : "qu’on peut embaucher, quoi !", confie David Caron.

Entendre ceci ravit Bryan qui en sourit avec un petit espoir supplémentaire. "Ça fait plaisir d’entendre ça de la part du chef car l’an dernier, j’ai failli tout abandonner… Grâce à mes professeurs qui m’ont soutenu et à qui j’ai beaucoup parlé, je suis reparti plus motivé que jamais pour dans quelques années ouvrir mon propre restaurant. Mais avant, j’ai encore beaucoup de choses à apprendre", confie Bryan.

Comme lui, en Fédération Wallonie-Bruxelles, on compte plus de 6000 élèves en CEFA. "C’est une voie de formation peu connue, mais c’est selon moi, la filière d’avenir. Ça permet à un jeune de s’inscrire tout de suite dans un parcours professionnel, de mettre tout de suite les mains dans le cambouis et en termes d’orientation c’est très efficace. Cet équilibre école entreprise, c’est un échange de richesses entre le monde professionnel et le monde de l’enseignement. Et ce cadre scolaire est, selon moi, essentiel pour nourrir nos élèves des autres savoirs hors compétences professionnelles. Et je rappelle que le CEFA certifie et donne accès à un CESS. Il faut casser cette image de l’alternance comme le résultat d’échecs scolaires", décrit Sophie Hennart, la directrice de l’Institut des Arts et Métiers – Ville de Bruxelles.

Une formation en alternance alternative à l’école dans les Régions

Un centre régional de formation de l’IFAPME.
Un centre régional de formation de l’IFAPME. © RTBF

Direction Charleroi, dans un des centres régionaux de formation de l’Institut wallon de Formation en Alternance et des indépendants et Petites et Moyennes Entreprises (IFAPME) ; ici dans ce centre fraîchement rénové, des jeunes entre 15 et 18 ans suivent aussi une formation en alternance dans la vente. Leur programme : 1 jour au centre de formation avec des cours transversaux, des coachings et 4 jours en entreprise par semaine sous contrat d'alternance. Au terme de cette formation, ils peuvent décrocher une certification reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, mais pas de certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS). Pour ces jeunes, qui répondent à l’obligation scolaire, cette formation c’est comme repartir d’une page blanche après des années de galère à l’école.

Clara Gortebeke, 16 ans - 1ère année en vente - IFAPME

Clara Gortebeke, 16 ans, est en première année en vente : "L’école ce n’était vraiment pas ce qu’il fallait pour, en tout cas, ce que je voulais faire. Et depuis que je suis ici, je n’ai plus aucun stress scolaire. Je me sens bien !"

Tschelsie Kabeya, 17 ans - 2ème année en vente - IFAPME

Tschelsie Kabeya, 17 ans est en deuxième année en vente : "À l’école, j’avais beaucoup de blocages, parce que j’avais du mal à m’intégrer. Ici, les formateurs nous aident beaucoup plus, à apprendre à nous exprimer, à ne pas nous replier sur nous-mêmes, mais plutôt à nous ouvrir aux autres."

Le risque d’une concurrence

Deux filières d’alternance coexistent donc, d’un côté le CEFA et de l’autre les institutions régionales de formations comme l’IFAPME ou l’EFP à Bruxelles avec des programmes et des finalités assez similaires. Certains évoquent des formations qui font doublon, voire dénoncent une concurrence entre elles. Chacune défend son encadrement spécifique. "Ne venons pas dire que nous faisons des choses semblables. Nous avons des approches différentes avec des objectifs sociaux différents. Les deux offres coexistent, peuvent coexister, mais nous ne pouvons pas dire que c’est la même chose", estime Sébastien Schetgen, administrateur délégué du CPEONS, le Conseil des Pouvoirs organisateurs de l’Enseignement neutre subventionné.

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Raymonde Yerna - Administratrice de l'IFAPME.

Du côté de l’IFAPME, on dit ne pas vouloir se substituer à l’école. Avec 5000 jeunes âgés entre 15 et 18 ans en formation chez eux, l’institut wallon de la formation en alternance estime offrir une autre forme de formation qui répond aux exigences d’obligation scolaire en temps partiel.

"Nous ne sommes pas en concurrence, mais nous sommes complémentaires de nos collègues et même partenaires de l’enseignement", explique Raymonde Yerna – Administratrice générale de l’IFAPME. "Notre objectif, c’est vraiment d’offrir une alternative et des réponses à nos apprenants comme à nos entreprises. Ce que nous voulons à tout prix, c’est accrocher des jeunes pour qu’ils ne se retrouvent pas au bord du chemin parce que certains n’ont pas trouvé leur épanouissement à l’école et nous  participons activement au redéploiement de la Wallonie en mettant des jeunes au travail."

Sébastien Schetgen - Administrateur délégué du CPEONS - Conseil des Pouvoirs organisateurs de l'Enseignement neutre subventionné.

Du côté du monde de l’enseignement, une crainte subsiste. Sébastien Schetgen est Administrateur-délégué du CPEONS : "Un jeune en âge scolaire, nous avons le devoir de nous en occuper jusqu’à sa majorité pour lui offrir un parcours d’épanouissement avec des cours généraux et qu’il devienne l’adulte de demain. L'autre chose qui m’inquiète, c’est que demain, les filières techniques et professionnelles dans les métiers soient architecturées, soient dictées par le monde professionnel et que l’on ne forme plus des citoyens, mais des travailleurs qui répondent à une logique adéquationniste (sic) pour satisfaire les besoins du marché du travail ou d’une entreprise."

Malgré les divergences de vues, une conviction partagée c'est que la formation en alternance, c’est la filière et la solution de demain.

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