Au début de l’année 2021, de nombreux témoignages de violences sexistes et sexuelles ont émergé dans plusieurs hautes écoles et universités belges, avec les hashtags #BalanceTonFolklore et #FolkloreComplice.
Les étudiantes dénoncent plus spécifiquement les abus dans les cercles étudiants, le harcèlement sur les campus et les viols, notamment en rentrant de soirées. Le Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB) constate que "de nombreuses réactions sont hostiles ou inadaptées ; […] affiches arrachées, désolidarisation du mouvement, lancement de campagne de sensibilisation dans des termes maladroits et inappropriés".
Les chiffres d’Amnesty enfoncent le clou : 33% des jeunes pensent que la violence à l’égard des femmes n’est pas forcément un délit ; 1 homme sur 2 estime qu’une victime peut être en partie responsable de son agression ; 91% des jeunes de 12 à 21 ans qui ont eu une relation amoureuse ont déjà été victimes d’actes de violence entre partenaires. "Le milieu universitaire est un microcosme et la guindaille encore davantage ; il n’y a pas de raison que ceux-ci soient épargnés des mêmes rapports de force et dysfonctionnements que connait le reste de la société", souligne le CFFB.
Les universités réagissent
Face à cette mobilisation, l'ULB a lancé pour cette rentrée académique une campagne d'éducation au consentement, intitulée "Si c'est pas oui, c'est non". "Sans consentement réel, il n'y a pas de fête. Nos campus doivent être des lieux sûrs", a déclaré la rectrice de l'ULB, Annemie Schaus, dans un communiqué. Plus globalement, un plan de lutte contre les violences sexuelles et sexistes a été mis en place. Au-delà de la campagne de sensibilisation, il comprend le lancement, à la rentrée, de formations de comitardes et comitards des cercles reconnus, des délégués d'associations étudiantes et des agents de sécurité de l'ULB au consentement. À terme, l'objectif est de dispenser ces formations à toute la population étudiante. Le centre d'accompagnement et de soutien dans les risques de harcèlement envers les étudiantes et étudiants, "Cash-e", mis en place en septembre 2020, va aussi être renforcé de trois personnes. Ce centre aide en toute confidentialité celles et ceux confrontés à des situations de harcèlement (moral ou sexuel), d'incivilité, d'intimidation ou de pressions psychologiques. Le but est également que le centre prenne en charge les signalements de violences sexuelles et il œuvre à un protocole de prise en charge des auteurs et autrices présumés.
Nos campus doivent être des lieux sûrs
L’UCL a également réagi avec une deuxième campagne "Tolérance zéro pour le harcèlement et les agressions sexuelles", lancée en septembre 2021. L’UCLouvain annonce renforcer sa cellule de lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles, l’organisation d’une formation en ligne, accessible à l’ensemble des étudiant·es et membres du personnel, l’organisation d’un colloque qui réunira, en 2022, des expert·es et personnalités politiques, pour sensibiliser et impliquer les établissements d’enseignement supérieur. L’université parle encore d’une application, "App’Elles", qui sera également prochainement accessible pour permettre à toute personne d’alerter et de faire appel à de l’aide auprès des autorités compétentes en cas de situation d’insécurité ou de danger, ainsi que la création de podcasts natifs, Les louv.es, qui parleront des violences sexuelles dans l’enseignement supérieur.
Politisation de la question
Et ce n’est pas tout. Deux jeunes déput·ées de la Fédération Wallonie-Bruxelles se sont aussi emparé·es de cette question : Rodrigue Demeuse (Ecolo) et Margaux De Ré (Ecolo) ont déposé au Parlement, avec d’autres membres de la majorité (Gwenaëlle Grovonius (PS) et Hervé Cornillie (MR)), un projet de résolution pour lutter contre le harcèlement dans l’enseignement supérieur et universitaire. "Nous avons commencé à nous intéresser à cette question au début de la législature avec les deux sensibilités et casquettes qui sont les nôtres, pour Rodrigue l’enseignement supérieur et pour moi les droits des femmes", résume Margaux De Ré.
"A ce moment-là, l’omerta commençait à se lever dans les écoles d’art avec la page instagram Paye ton rôle qui donne la parole aux victimes de professeurs agresseurs. Puis le mouvement BalanceTonFolklore a démarré. Il y a aussi eu l’article des Grenades sur le harcèlement moral d’un professeur dans une université, un article qui mettait des mots sur les rapports de pouvoir au sein des établissements d’enseignement supérieur. Tout cela a permis de faire comprendre l’enjeu de la politisation de cette question. A partir de cela, nous avons commencé à rencontrer des actrices et des acteurs de terrain. On s’est rendu compte que le harcèlement sexuel ou moral recouvrait de tas de situations très différentes et que parfois les responsabilités de celles et ceux qui devaient agir n’étaient pas claires : quand c’était du harcèlement sur le campus, les universités étaient d’accord d’agir, c’était plus complexe quand cela avait lieu lors de moments de guindaille hors du campus ou, par exemple, lorsqu’un directeur de thèse reçoit une étudiante à son domicile privé", continue-t-elle.
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"On remarque que ces violences, notamment quand elles viennent des professeurs, peuvent te faire rater ton année, et vont impacter toute ta vie, au niveau des conséquences psychologiques mais aussi parce que tes professeurs sont parfois tes futurs employeurs", explique Rodrigue Demeuse. "Cela s’ajoute aux autres craintes des étudiant·es, qui ne vont pas oser dénoncer les faits par peur de représailles sur leur vie professionnelle. On a reçu des témoignages en ce sens. On fait le constat que le système tel qu’il est aujourd’hui ne protège pas assez les étudiant·es."
On s’est rendu compte que le harcèlement sexuel ou moral recouvrait de tas de situations très différentes
Un constat également fait par Unia, le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, qui a publié un rapport en mars 2021, intitulé "Renforcer le cadre légal pour lutter contre le harcèlement dans l’enseignement supérieur en Fédération Wallonie-Bruxelles". En mai 2021, c’est au tour de l’ARES, l’Académie de recherche et d’enseignement supérieur, de publier ses mesures de lutte contre la violence et le harcèlement dans l’enseignement supérieur. "Pour l’instant, certains établissements ont mis en place des dispositifs, d’autres pas, certains dispositifs de lutte contre le harcèlement restent méconnus. Ils ne sont pas obligatoires. Les étudiant·es ne sont donc pas traité·es de la même manière selon l’établissement dans lequel ils et elles étudient. Les étudiant·es nous ont confié leur inquiétude d’un lien étroit entre le dispositif mis en place et l’établissement, qu’il n’y ait pas d’indépendance et qu’au final la personne qui dénonce soit pénalisée, si le professeur harceleur l’apprend par exemple. Comment faire confiance ?", précise Rodrigue Demeuse.
Manque de chiffres
S’est posée la question du manque de chiffres sur le harcèlement sexuel et moral dans les hautes-écoles et universités. Il existe des chiffres à l’étranger : selon des études réalisées en Australie et aux États-Unis, 25% des étudiantes dans l’enseignement supérieur ont subi des violences sexistes et 20% des étudiant·es ont été victimes de harcèlement sexuel. Les personnes les plus touchées sont les femmes (les étudiantes sont deux fois plus touchées que les hommes et ont trois fois plus de risques d’être agressées pour des motifs sexuels) et les personnes LGBTQIA+ (qui sont 45% à rapporter des problèmes de harcèlement). L’étude australienne montre que 6 % des victimes seulement ont porté plainte. "Pour nous, c’est le point zéro de la résolution : il faut une étude quantitative et qualitative en Belgique sur ce sujet", observe Margaux De Ré.
Outre le lancement d'une étude afin de récolter des chiffres, le projet déposé au Parlement prévoit plusieurs pistes, notamment faciliter le dépôt des signalements dans chaque établissement et en dehors, en imposant à chaque établissement de l’enseignement supérieur de créer, quand ce n’est pas déjà fait, un dispositif de référence et d’offrir une voie de recours externe ; adopter un cadre légal spécifique pour mieux protéger les étudiant·es ; informer et sensibiliser les établissements, le personnel et les étudiant·es, au sujet du harcèlement. Le vote au Parlement aura lieu le 13 octobre.