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Entre Etats européens, les outils de communication des secours sont incompatibles : "Broadway" va-t-il changer ça ?

Les outils de communication des sauveteurs et policiers ne sont pas compatibles entre Etats européens.

© AFP

A la caserne de la Protection civile à Crisnée, les inondations de juillet vont occuper longtemps les conversations. Les torrents d’eau, l’inadéquation du matériel, l’impuissance des sauveteurs… "Ce jour-là a remis en question toutes mes certitudes", confie le Colonel Nicolas Tuts en balayant des photos de déluge sur son téléphone.

Dans la longue liste du "jamais vu" de cette semaine de juillet, il épingle aussi ceci : pour la toute première fois, la Belgique a enclenché un mécanisme européen d’appel à l’aide, "RescEU". La Belgique avait déjà mis à disposition d’autres Etats du matériel ou l’expertise de sa protection civile via ce mécanisme, lors de catastrophes. Mais l’officier n’avait encore jamais imaginé qu’un jour la Belgique appellerait elle-même à la rescousse.

Cela s’est pourtant produit la nuit du 14 au 15 juillet. Impuissants face à L’ampleur de la crue et la violence des courants, les équipes de secours belges ont enclenché cet appel aux protections civiles des 26 autres Etats de l’Union européenne. Et la réponse a été rapide.

"La demande a été acceptée par l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas, la France" explique le Colonel Nicolas Tutus. "Ces moyens, on peut les estimer à un total de 350 personnes et entre 40 et 60 bateaux. Donc on a eu une aide assez importante."

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Les recevoir "5 sur 5"?

Mais comment mettre ces collègues Italiens, Autrichiens, Néerlandais et Français à pied d’œuvre dans l’urgence, alors que leurs talkies-walkies, leurs réseaux de communication… ne sont pas compatibles avec ceux des collègues belges ?

"Les moyens de radio télécommunication ne sont pas compatibles d’un Etat européen à l’autre. Il faut savoir que par exemple en Belgique, nous avons le réseau 'Tetra' organisé par la société Astrid : ce sont des moyens de télécommunication par radio pour les services de secours, des Talkies-Walkies, mais la France, notre voisin, a une autre norme par exemple".

Nicolas Tuts explique que cette barrière technique a été contournée pendant les inondations en envoyant un officier de liaison belge sur le terrain aux côtés des équipes européennes. La communication passait par lui via le réseau belge Astrid ou via les GSM qui fonctionnaient encore.
Ces officiers de liaison permettaient aussi aux sauveteurs étrangers de trouver leur chemin dans les zones inondées : le GPS n’était d’aucun secours.
Les équipes internationales ont également pu s’insérer dans les opérations belges parce qu’elles s’entraînent parfois ensemble lors d’exercices européens de protection civile, explique encore l’officier.
Tout cela a permis de contourner l’obstacle du Talkie-Walkie en juillet, dit le Colonel Tuts, mais "ce ne serait pas un luxe de rendre ces systèmes compatibles ! La Belgique est un petit pays. Régulièrement ici, en province de Liège, on a des renforts des Pays-Bas ou bien d’Allemagne dans le cadre d’opérations plus 'classiques' comme des renforts incendie".

Broadway à Bruxelles

Dans le quartier européen de Bruxelles, une équipe travaille précisément sur cet objectif-là : fluidifier les communications entre les polices, les services de secours et d’urgence des Etats de l’Union européenne.
Marie-Christine Bonnamour en fait partie. Elle est Secrétaire générale de l’association "Public safety communication Europe", qui regroupe les forces de sécurité publique de l’UE : des ministères, des forces de police, des agences de protection civile, des ONG comme la Croix rouge, mais aussi des industriels qui travaillent dans le secteur et des instituts de recherches technologiques.
Cette association est financée par la Commission européenne pour chercher comment rendre compatibles les systèmes de communications de première ligne dans l’Union.

Elle a lancé le projet "Broadway", auquel se sont déjà joints 11 Etats de l’UE (la Belgique, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la France, la Grèce, l’Italie, l’Irlande, les Pays-Bas, la Roumanie et l’Espagne.)

La première étape pour ces Etats, avant toute chose, sera de moderniser leurs propres systèmes de communication nationaux. Ils doivent d’abord tous passer du bon vieux Talkie-Walkie à une technologie qui permette, exactement comme les smartphones de tout un chacun, de se transmettre également des photos, des vidéos de scènes de catastrophes ou des cartes géographiques.

Moderniser d'abord

"On est tous sur la 3G, la 4G, et bientôt la 5G" dit Marie-Christine Bonnamour en montrant son téléphone portable. "Mais ce n’est pas le cas des services d’intervention. Ils ont encore leurs Talkies-Walkies, leurs radios qui sont plutôt de la 2G et ils n’arrivent pas à s’échanger ces fichiers. Donc chaque état est en train de développer sa propre stratégie pour migrer et augmenter leur propre système".

Dans un second temps, ils rendront compatibles leurs systèmes modernisés.

"Le projet Broadway va créer la 'couche Européenne' commune à tous ces systèmes nationaux, pour que chaque Etat avec son propre système puisse permettre à ses sauveteurs, ses policiers, d’intercommuniquer avec des collègues dans un autre pays. Ou leur permettre, quand ils changent de pays, de maintenir le lien avec le commandement ou le centre de contrôle dans leurs propres pays. Donc l’idée, en fait, est de ne plus sentir le passage des frontières quand on est en intervention".

Pas d’interruption de réseau pendant une poursuite policière

Suite aux échanges avec les services de terrain, l’association "Public safety communication Europe" a dressé une liste de besoins et l’a été soumise aux industriels européens. Exemple : il ne faut pas que des services de police en pleine poursuite de terroristes connaissent une interruption de réseau aux abords d’une frontière.

Sur base de ces exigences, des consortiums d’industriels et de petites entreprises de l’Union européenne ont élaboré des solutions technologiques. Aujourd’hui, il reste deux consortiums en compétition, qui planchent sur leur solution clef sur porte. Leurs "pilotes" seront testés l’an prochain et celui qui convaincra le plus pourra ensuite être acheté par des Etats européens, pour une possible entrée en utilisation vers 2024-2025.

Parce qu’aux contraintes techniques s’ajouteront encore des freins politiques. Puisque la technologie permettra un échange plus fluide d’informations en dehors des frontières, quelles informations parfois sensibles ces Etats laisseront-ils circuler ?

"Il faudra effectivement des règles de gouvernance" confirme Marie-Christine Bonnamour. "Il y a des accords existants de coopération entre Etats. Donc il faudra toujours partir sur un cadre, voir ce qu’on peut y changer ou pas. Et puis il faudra aussi bien se mettre d’accord, si on passe des marchés publics ensemble, sur la répartition des coûts entre Etats par exemple… Donc tout un travail reste à faire."
Ce chantier, s’il aboutit, aura pris une petite décennie.

"Il faut des professionnels de part et d’autres des appareils"

Entre ses véhicules de la protection civile, le Colonel Tuts salue le projet Broadway, mais avec une réserve : "L’outil fait un quart du chemin… Les trois quarts du chemin, ce sont les exercices internationaux".
Pour bien communiquer dans l’urgence, insiste-t-il, rien de tel que des humains qui se connaissent de part et d’autres des appareils, qui ont une connaissance commune des procédures voire qui ont déjà travaillé ensemble. Cet officier plaide donc pour réinvestir dans le personnel en Belgique comme on investit dans cette technologie.


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