Economie

Épargne : le politique tordra-t-il le bras aux banques qui affichent une santé insolente ?

Épargne : le politique tordra-t-il le bras aux banques qui affichent une santé insolente ? Photo d'illustration.

© Getty Images

Par Rachel Crivellaro

Faut-il encore le rappeler, pour freiner une inflation galopante, la Banque centrale européenne (BCE) a augmenté progressivement son principal taux directeur de 0% jusqu’à l’été 2022 à 3,50% aujourd’hui.

Et les effets ne se sont pas fait attendre, les taux hypothécaires – jusque-là historiquement bas – ont grimpé jusqu’à plus de 3%. Las, on ne peut pas en dire autant du rendement de l’épargne qui continue à stagner. À quelques exceptions près, le taux offert par les banques pour les comptes d’épargne réglementés plafonne à moins de 1%.

Intervenir ou pas ?

Un grand écart que l’on regrette aussi au sein de la majorité. Les Verts et Vooruit ont dégainé des projets de loi visant à obliger les banques à faire un effort. Le principe - les grandes lignes – vise à lier d’autorité les taux d’intérêt des comptes épargne au taux de la BCE. Mais comme tout le monde ne partage pas cette approche au sein de la Vivaldi, avis a été demandé à la Banque nationale de Belgique (BNB).

Avis négatif

La BNB a rendu son avis vendredi dernier et le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est très réservée à l’idée d’imposer légalement une telle hausse qui pourrait fragiliser un secteur bancaire par ailleurs trop hétérogène – avec des tailles et une clientèle différente – pour se voir appliquer une politique d’intérêt unique.

L’institution craint qu’un tel lien n’engendre des "conséquences profondes sur la rentabilité, la gestion du risque sur les taux et la solvabilité des banques, et par extension sur la stabilité financière". Autrement dit, la BNB estime préférable de laisser les banques libres d’adapter leur taux d’intérêt des comptes épargne comme bon leur semble, convaincue qu’ils finiront par se rapprocher spontanément de celui de la Banque centrale européenne.

Rase campagne

Coté politique, on prend acte mais on n’entend pas en rester là. À un an des élections, pas question de laisser les épargnants en rase campagne. Le Premier ministre Alexander De Croo l'a affirmé ce lundi matin sur l'antenne de La Première. D’autant que les banques belges affichent une santé insolente, avec un taux de rentabilité de 4% plus élevé que la moyenne européenne. Et elles ne manquent pas de réserves. 

Selon les statistiques de la BNB, les banques disposent de 4000 milliards d’euros auprès de la BCE. Un montant sur lequel elles perçoivent aujourd’hui 3,25% d’intérêts. Et puis les dépôts des Belges demeurent très élevés. Début 2023 : plus de 300 milliards d’euros étaient logés sur les comptes d’épargne réglementés et 330 milliards d’euros sur les comptes à vue.

Deadline

Si, pour l’heure, le Fédéral penche plutôt pour laisser encore un peu de temps aux banques pour faire preuve de bonne volonté, ce délai n’en semble pas moins compté.

Dans une interview au Tijd, la secrétaire d’Etat au Budget, Alexia Bertrand (Open Vld) dit vouloir donner aux banques jusqu’à la fin du mois de juin pour relever leurs taux sur les comptes d’épargne. Faute de quoi elle n’exclut pas une intervention du gouvernement sur le taux minimum. "Je patiente encore jusqu’à la fin de ce mois. Mais s’il n’y a pas de réaction de la part des banques, tout est négociable, même la dernière étape : une intervention sur le taux d’intérêt minimum, sur la base d’une proposition adaptée" a-t-elle averti.

Même son de cloche du côté du 16. Le Premier ministre, Alexander De Croo, table certes sur une réaction imminente des banques. Mais lui aussi prévient, sans geste de leur part, le gouvernement interviendra. Le Fédéral n’exclurait pas alors de légiférer pour augmenter d’autorité le taux minimum légal d’intérêt de O, 11% des comptes épargne réglementés.

Les convoyeurs attendent

Reste que pour le moment, à quelques exceptions près, les banques se font attendre. Ce qui n’étonne pas Eric Dor, professeur d’économie à l’IESEG, School of Management à Lilles : "Sans doute que tôt ou tard, les banques vont bouger. Mais le processus est extrêmement lent. Entre autres à cause du fait que les banques ont actuellement beaucoup de liquidités excédentaires qui font qu’elles n’ont pas besoin de faire la chasse aux dépôts, elles n’ont pas besoin de débaucher d’autres clients d’autres banques en augmentant le rendement de leurs carnets d’épargne."

Et si le processus dure, le gouvernement risque bien de se retrouver au pied du mur, selon Eric Dor. "Dans ces circonstances-là, il y a évidemment des arguments en faveur d’une intervention législative pour augmenter quelque peu le taux minimum à payer. Le législateur pourrait accélérer le processus. Les données montrent qu’il y a une possibilité réelle d’augmenter le taux sur les comptes d’épargne sans que les banques soient déstabilisées".

Le compte à rebours a donc commencé pour les banques, mais aussi pour le gouvernement. Reste cette question : si d’ici la fin juin rien n’a changé, osera-t-il tordre le bras au secteur bancaire ?

BNB : intv de S. Van Ackere (vice gouverneur) s/ les comptes d'épargne (par R. Crivellaro) 31/05/2023

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