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Eric Weerts, kiné belge de retour d’Afghanistan : "beaucoup d’Afghans veulent fuir le pays et la famine"

Une Afghane et son bébé, dans un camp de déplacés à Herat. Des millions d’enfants sont menacés par la famine en Afghanistan.

© Hector RETAMAL / AFP

Eric Weerts connaît l’Afghanistan depuis près de 20 ans. Ce kinésithérapeute belge y a mené de nombreuses missions pour Handicap International. Devant l’avancée rapide des talibans au mois d’août, il a dû quitter précipitamment le pays. Mais il y est retourné en cette fin d’année et mesure la détérioration inquiétante de la situation, même s’il note aussi quelques signes encourageants.

"En y retournant, j’ai vu le changement, l’effondrement du système de santé, témoigne Eric Weerts. Seuls 20% des hôpitaux sont encore opérationnels. Les fonctionnaires ne sont plus payés. Il y a un embargo financier : l’aide internationale qui passait par le gouvernement est interrompue. Il n’y a quasiment plus d’échanges économiques entre l’Afghanistan et le reste du monde. Ça a un énorme impact non seulement sur l’économie, mais aussi sur le moral des personnes. Elles se sentent très isolées. La plupart des Afghans veulent fuir le pays."

Les prix augmentent

Les salariés non payés vivent sur leurs économies, qui s’épuisent d’autant plus rapidement que l’inflation sévit : "les prix, notamment de la nourriture, augmentent", explique le kiné. Il a pu constater que l’afghani, la monnaie locale, a perdu 14% de sa valeur durant les quelques semaines de son séjour.

"Vous imaginez, pour une famille, ça fait 14% de pouvoir d’achat en moins", dit-il. Il a également remarqué que cette pauvreté provoque "une recrudescence de la petite criminalité, des petits vols".


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"Ça a aussi un impact sur la santé mentale, poursuit le travailleur humanitaire. Si les chefs de famille deviennent vulnérables, leur futur devient incertain, cela crée de l’isolement. C’est encore pire pour les populations déplacées qui étaient déjà dans une situation de vulnérabilité. Ils vivaient au jour le jour. L’assistance disponible est insuffisante pour faire face à la détérioration des conditions de vie."

"Les gens se sentent plus libres de bouger"

Il y a tout de même une chose qui s’est améliorée avec l’arrivée des talibans : la sécurité. "La plupart des Afghans en parlent, remarque Eric Weerts : il y a moins d’hostilités, moins de combats, même s’il y a encore des tensions entre le groupe Etat islamique et les talibans. Il y a encore des attentats de temps à autre. Mais la couverture sécuritaire est globalement meilleure."

Et les Afghans en profitent : "Comme il y a désormais une autorité sécuritaire unique, la sécurité de base est là. Il y a moins de points de contrôle sur les routes et la circulation a augmenté. Les gens se sentent plus libres de bouger."

Les ONG sont les bienvenues

Le travailleur de Handicap International lui-même n’a pas subi de difficultés pour reprendre ses activités sous le régime des talibans : "j’ai constaté qu’il n’y avait pas de harcèlement contre les ONG de la part des autorités. Il y a même une demande de continuer à travailler qui est exprimée par les autorités locales."

Eric Weerts, dans le centre de revalidation de Kandahar.
Eric Weerts, dans le centre de revalidation de Kandahar. © Handicap International

Mais l’organisation n’est pas prête à travailler en Afghanistan à n’importe quelles conditions. "Nous restons vigilants. Nous surveillons si les femmes ont toujours le même accès aux soins. Nous ne voyons pas trop de changement pour l’instant."


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Une mesure adoptée ces derniers jours inquiète néanmoins Handicap International : les talibans ont annoncé que les femmes désirant voyager sur plus de 70 km devaient être accompagnées par un homme de leur famille proche.

"Ce pourrait être une raison qui nous pousserait à revoir notre présence, ou le type d’activité que nous assurons, s’il s’avère que les soins ne sont pas équitablement accessibles en raison de cette mesure. Nous allons l’étudier. Notre ligne de conduite, c’est l’accès aux soins pour tous et pour toutes."

Les talibans dans le flou

Eric Weerts remarque qu’il y a beaucoup de flou dans les mesures édictées par les talibans, et beaucoup d’incertitudes dans leur application. L’enseignement reste par exemple limité pour les filles. Mais Handicap International a pu maintenir sa formation en kiné, suivie à 60% par des femmes. "Nous avons dû faire des petites adaptations sur la manière dont les cours sont donnés, mais le programme éducatif et les activités continuent comme avant."

De même, des équipes mobiles mixtes sillonnent certaines provinces. "Dans une province, les autorités ne nous ont pas clairement autorisé l’accès. On a décidé d’arrêter nos activités à cet endroit, en attendant une clarification. En revanche, dans d’autres zones, nous avons augmenté nos activités en binôme homme-femme, sans rencontrer d’obstacle."

Pour le moment, le gouvernement ne répond aux aspirations ni de la population, ni des humanitaires qui acheminent l’aide

"Beaucoup de choses ne sont pas précisées, déplore Eric Weerts. Lorsque l’on veut connaître les dispositions d’importation ou les règles de reprise du travail, les réponses ne sont pas claires. Ils sont toujours en train de se concerter. Pour le moment, le gouvernement ne répond aux aspirations ni de la population, ni des humanitaires qui acheminent l’aide. Nous, nous ne prenons pas position en faveur d’un gouvernement ou d’un autre. Si les accès aux soins sont assurés comme avant, nous continuerons notre travail. Si ce n’est pas le cas, nous allons revoir nos modes opératoires."

Les priorités : le travail et la nourriture

Mais il est évident que les besoins sont énormes. "On fait face dans certaines régions à des famines, parce que les récoltes ne sont pas renouvelées cet hiver", s’inquiète Eric Weerts. Handicap International a dû adapter ses services à ces nouvelles urgences du terrain, en assurant des besoins de base comme le travail et l’alimentation.

D’une part, l’ONG imagine de nouvelles activités génératrices de revenus pour les populations : "Les habitants ont besoin de moyens pour acheter de la nourriture. Il faut organiser des travaux communautaires, pour lesquels les habitants sont rémunérés."


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Et puis, l’apparition de la famine exige une réponse rapide : "La malnutrition des femmes enceintes ou des nouveau-nés peut être source de handicap. Nous voulons intervenir le plus tôt possible, détecter les problèmes de développement et suivre ces enfants."

Pour faire face à ces nouveaux défis, l’ONG compte engager une centaine de nouveaux collaborateurs, en plus des 260 Afghans qu’elle emploie déjà.

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