Monde Europe

Espagne : guerre de l’eau autour de la production des fraises andalouses

© Belga

Par Olivier Hanrion

C’était un paysage bucolique mêlant dunes, forêts et lagunes. Un paradis pour les colonies d’oiseaux migrateurs. Un espace naturel inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. C’est aujourd’hui un quasi-désert où cigognes et flamants roses se font rares. Le parc naturel de Doñana en Andalousie au sud de l’Espagne n’est plus que l’ombre de lui-même. "Doñana est dans un état critique […] Depuis deux ans, il n’a quasiment pas plu. Or, les agriculteurs locaux continuent à puiser d’énormes quantités d’eau dans les nappes phréatiques", soupire Felipe Fuentelsaz, coordinateur des projets "agriculture et eau" pour le WWF Espagne, auprès de l’AFP.

Les agriculteurs pointés du doigt sont les producteurs de fraises. C’est le produit agricole le plus exporté par l’Espagne. Un fruit qui l’année dernière a rapporté quelque 583 millions d’euros aux producteurs espagnols. D’immenses plantations se sont installées aux abords du parc. Elles pompent illégalement l’eau dans les nappes phréatiques et assèchent la réserve. Les responsables politiques de la Communauté autonome d’Andalousie ont choisi de passer l’éponge. Un projet de loi est examiné par le parlement régional. Il pourrait entraîner la légalisation de 1500 hectares de cultures, irrigués pour la plupart par des puits clandestins dans la province de Huelva, première région exportatrice de fraises en Europe.

L’irrigation des fraises au cœur de la campagne électorale en Andalousie

Le débat a animé la campagne pour les élections locales en Espagne. D’un côté le Parti populaire (PP) au pouvoir dans la région, soutenu par l’extrême droite (Vox), à la manœuvre pour régulariser les cultures illégales. De l’autre le gouvernement central de Pedro Sánchez (PSOE) qui dénonce le "négationnisme climatique" de ses adversaires. Un duel qui a franchi les Pyrénées.

La préservation du parc naturel de Doñana provoque aussi des tensions en Europe. A commencer par le Parlement européen où les groupes du PPE (centre droit) et des sociaux-démocrates s’accusent mutuellement de manœuvres politiciennes. La Commission européenne aussi se mêle au débat. Virginijus Sinkevičius, le Commissaire européen en charge de l’Environnement, a rencontré les représentants du gouvernement andalou pour les mettre en garde contre les effets désastreux sur l’approvisionnement en eau dans la région si la loi était finalement approuvée. Une mise en garde qui vient après que l’Espagne a déjà été condamnée par la Cour européenne de justice en 2021 pour avoir ignoré l’utilisation intensive de l’eau dans le parc et ne pas avoir su protéger les zones naturelles à préserver.

Loading...

Mais c’est peut-être les consommateurs allemands qui finiront par avoir le dernier mot. Cette semaine, l’ONG Campact, qui organise régulièrement des campagnes en ligne, a lancé une pétition pour appeler les consommateurs allemands à boycotter les "fraises de la sécheresse". L’association demande aux supermarchés de retirer de la vente les fraises andalouses "car le vol illégal d’eau menace de détruire l’environnement". Plus de 150.000 personnes ont déjà signé cette pétition.

Une campagne qui agace les producteurs de fraises espagnoles

L’Allemagne est la principale destination des fraises de Huelva. Pour l’association interprofessionnelle de la fraise Interfresa, c’est une campagne insidieuse et nuisible. Selon elle, les producteurs de fraises de la région n’exploitent pas d’eau illégalement. Les fraises de Huelva sont conformes aux protocoles internationaux les plus exigeants. Mieux encore, l’industrie locale de la fraise serait une référence pour de nombreux pays dans l’utilisation efficace et économe de l’eau. Pour enfoncer le clou, Interfresa sort la calculette. La fraise de Huelva, c’est 120.000 emplois directs et indirects et le secteur pèse 8% dans le PIB andalou… Bref, circulez il n’y a rien à voir.

80% des fraises produites dans la région de Huelva partent pour l’exportation
80% des fraises produites dans la région de Huelva partent pour l’exportation © AFP or licensors

Jusqu’à présent l’appel au boycott n’a pas eu de grandes répercussions dans les habitudes de consommation des Allemands. Mais les producteurs sont inquiets pour 2024. C’est aujourd’hui que se négocient les commandes pour l’année prochaine. Contacté par le quotidien El Pais, le WWF en Allemagne constate que les supermarchés allemands commencent à demander à leurs fournisseurs des certifications qui prouvent que l’eau utilisée pour la culture des fruits n’est pas puisée illégalement. La chaîne EDEKA, l’un des poids lourds de la grande distribution allemande organise même des contrôles inopinés dans les exploitations agricoles.

La guerre de l’eau vient de faire une nouvelle victime : la réputation des fraises espagnoles dans l’Union européenne.

Sur le même sujet (JT du 15/09/2022) :

Espagne : Des puits clandestins aux graves conséquences

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Sur le même sujet :

La culture de la fraise sous serre assèche une zone exceptionnelle dans le sud de l'Espagne (JF Herbecq 02/06/2023)

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous