Belgique

Espionnage informatique, Russie… le service de renseignement militaire belge fait le point sur les menaces extérieures

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Par Romain Vandenheuvel

Dans son tout premier rapport annuel, le SGRS revient sur les grands thèmes de la sécurité extérieure de la Belgique, et plus largement de l’OTAN. Un rapport qui met en lumière plusieurs acteurs internationaux à surveiller de près.

Sur lascène des cyberattaques, la Russie a décroché en 2022 un rôle de premier plan. Selon le premier rapport annuel du SGRS (Service Général de Renseignement et de la Sécurité), le service de renseignement de l’armée belge, il est à craindre que les cyberopérations russes se poursuivent en 2023. Elles sont souvent effectuées en réaction à des déclarations politiques, à des livraisons d’équipements militaires à l’Ukraine ou encore aux sanctions économiques. Presque tous les pays de l’OTAN ont été la cible de ce type d’attaque.

Le rapport souligne dans le cas de la Russie une recrudescence des attaques par ransomware, c’est-à-dire la prise d’otage de données et la menace de les faire disparaître si une rançon n’est pas payée. Ces opérations ciblent autant lesentités ukrainiennes quecelles des membres de l’OTAN et permettent notamment à la Russie de rester sousle seuil de l’article 5.La difficulté dans les cyberattaques, c’est l’attribution : qui est à l’origine de cette attaque ?”, précise le vice-amiral Wim Robberecht, le patron du SGRS. Si les recherches ne sont pas suffisamment convaincantes et ne permettent pas de confirmer à 100% que c’est un Etat qui est à l’origine de l’attaque, le mécanisme de l’article 5 n’est pas enclenché.

En 2022, des logiciels malveillants ont permis au Kremlin de s’attaquer à des infrastructures physiques et à des systèmes de contrôle industriel. Une attaque russe sur le réseau électrique en Ukraine pourrait perturber la distribution électrique.”

Des opérations despionnages sont aussi effectuées par la Russie. " Des acteurs étatiques russes ont également été observés en train de mener une cyber reconnaissance contre des infrastructures critiques dans des pays occidentaux. Les analystes s’inquiètent d’une éventuelle attaque contre les infrastructures critiques occidentales si la guerre en Ukraine s’étend au-delà du théâtre ukrainien", peut-on lire dans le document du SGRS. La menace sur des infrastructures s’est déjà fait ressentir en Belgique, puisqu’en novembre 2022, un navire russe avait été repéré prêt des côtes belges. Le ministre en charge de la mer du Nord, Vincent Van Quickenborne, avait alors recommandé de rester vigilant face à ce type d’opération, surtout si le navire passe à proximité des parcs éoliens et des gazoducs. Les autorités avaient émis l’hypothèse que le navire cherchait à cartographier les infrastructures.

Pas seulement la Russie

A côté de la Russie, la position de la Chine dans le cyberespace préoccupe aussi le SGRS. Elle serait plus présente pour deux raisons en particulier. Tout d’abord, servir ses intérêts économiques, en ciblant les pays jouant un rôle particulier dans la nouvelle route de la soie (Belt and Road Initiatives), un ensemble de voies maritimes et ferroviaires entre la Chine et l’Europe, destinées aux échanges économiques. Ensuite, sur le plan géopolitique. Par exemple, beaucoup "d’hacktivistes" chinois ont mené des attaques contre Taïwan lors de la visite de Nancy Pelosi en août 2022.

A plus petite échelle, l’Iran s’est également fait remarquer sur le plan des cyberattaques. On lui attribue une série d'opérations cyber contre des membres de l’OTAN notamment contre l’Albanie. Des cibles ukrainiennes ont également subi des attaques d’un groupe sous le joug de l’Iran ce qui pourrait se traduire par une potentielle collaboration entre l’Iran et la Russie sur ce terrain-là, selon l’analyse communiquée par le service de renseignement militaire.

En parallèle des états, le SGRS constate un véritable business des cyber mercenaires. Ces organismes proposent leurs services pour espionner des cibles sur commande de client. Les profils des cibles sont variés : dissidents, journalistes, militants des droits de l’homme. Dans cette optique, certaines collaborations entre des cyberacteurs privés et des sociétés militaires privées, comme le groupe Wagner, sont à surveiller. L’affaire de Pegasus (un logiciel d’espionnage développé par une société israélienne) a marqué un tournant. “De cette affaire, nous avons tiré la leçon qu’une telle capacité existe et qu’elle est à disposition de l’acheteur”, précise Wim Robberecht. Certains acteurs ont alors demandé des contrôles de leurs appareils électroniques. Le vice-amiral prend le cas d’un journaliste qui écrivait des articles liés à l’Afrique. Il avait des doutes, et a donc demandé vérification. Nous avons eu confirmation qu’il était espionné.

C’est dans ce contexte général de menace qu’en 2022, le SGRS a officialisé le Cyber Command, une nouvelle composante de l’armée dédiée au cyberespace.

Le vice-amiral Wim Robberecht, patron du SGRS
Le vice-amiral Wim Robberecht, patron du SGRS © Belga

Une stabilité des menaces extrémistes 

Si une augmentationdes cyberattaques est à craindre, la menace terroristedevrait rester stable en 2023, toujours selon le rapport du SGRS. En 2022, plusieurs éléments comme l’élimination de plusieurs hauts cadres d’Al Qaïda et de l’Etat islamique, ou l’absence d’information concrète sur de potentielles opérations terroristes en Europe, vont dans ce sens. Il faut néanmoins rester vigilant, car l’intention de commettre des attentats est toujours présente. “En outre, des attaques et/ou revendications d’opportunité ne peuvent être exclues de même qu’un passage à l’acte d’une personne autoradicalisée. Une attaque perpétrée par une personne isolée représente d’ailleurs le scénario le plus probable, note le SGRS qui partage ainsi l’analyse de la Sûreté de l’État, son partenaire civil en matière de renseignement.

Avec le contexte économiqueactuel, l’extrémisme non-religieux nerisque pas de décroître en 2023. Les crises actuelles (inflation, guerre enUkraine, migration), et leurseffets sur la population, en particulier sur les catégories lesplus fragiles, risquent de favoriser l’émergence de mouvements de contestation que les groupes extrémistes, tant de gauche que de droite, chercheront à récupérer.Une situation que lapolarisation de la société et lafragmentationpolitique pourraient aggraver.

Le SGRS avait d’ailleurs été directement concerné par ce phénomène lors de l’affaire Jürgen Conings, qui a mené au renvoi du chef du service de l’époque. La SGRS avait reconnu des dysfonctionnements au sein de l’armée, notamment en ce qui concerne ses membres proches de l’idéologie extrémiste. Depuis lors, la vigilance a été renforcée. Ce mardi, la RTBF révélait le licenciement d’un militaire namurois qui avait des affinités avec l’extrémisme de droite.

Une nouveauté pour le SGRS

Ce rapport est une première pour le SGRS. Il découle d’une volonté avant tout de transparence. “Nous avons décidé d’abandonner cette tradition du secret et de nous ouvrir, de faire découvrir notre service au public”, dit le vice-amiral Wim Robberecht. Dans le document rendu public, le SGRS tient à présenter ses différentes missions. Il est chargé de rechercher et de traiter tout renseignement sur des activités qui menacerait l’intégrité du territoire belge ou de sa population.

L’organisme est aussi garant de la sécurité militaire (personnel et installation), de l’informatique, ainsi que la gestion des armes et munitions. Sur base de ses fonctions de renseignement, le SGRS a la capacité d’effectuer des enquêtes et de délivrer des habilitations et attestations. Les renseignements fournis peuvent aussi servir à la prise de décision des autorités, qu’elles soient politiques ou militaires. 

Les domaines de compétences s’étendent au potentiel scientifique et économique lié au secteur militaire, tout comme la sécurité des ressortissants belges à l’étranger et les activités des services de renseignement étrangers sur le territoire belge. Le SGRS est essentiellement composé de militaires, mais aussi de civils.

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