Week-end Première

Et s’il fallait consentir au monde plutôt qu’agir sur lui ?

Les penseurs grecs cosmogonistes choisissaient de consentir au monde plutôt que d’agir sur lui. Quels enseignements en tirer pour le monde d’aujourd’hui ? Les explications du philosophe Matthieu Peltier.

Matthieu Peltier a parfois l’impression que, la crise climatique s’aggravant, il devient chaque jour de plus en plus justifié pour nous, les humains, de tout remettre en question et de se réoffrir le luxe de se réinterroger sur des choses aussi basiques que notre rapport au monde.

En effet, n’est-ce pas justement dans notre rapport au monde que se situe la cause de toutes les destructions infligées à la nature ? L’homme moderne, semble-t-il, a fini par considérer la nature comme une gigantesque réserve de pièces détachées disponibles et utilisables pour assouvir ses rêves les plus fous.

Nous avons consommé les ressources, transformé le monde, échangé des espaces naturels contre des espaces bétonnés et provoqué ce que l’astrophysicien et philosophe français Aurélien Barrau appelle 'le plus grand défi de l’histoire de l’humanité'.

© Pixabay

S’assortir au monde

Si notre rapport au monde n’était pas celui de la domination et de l’asservissement, comment serait-il ?

Ce sont peut-être les penseurs grecs de l’Antiquité qui ont la clé. Eux pour qui le but d’une vie n’est justement pas de dominer le cosmos ou d’en prendre possession, mais bien plus de s’y assortir.

Comme dit l’auteur français Sylvain Tesson : "Nous n’avons qu’un monde et nous n’avons qu’une vie, ça ne fait pas beaucoup tout de même. Alors il faut en profiter. En profiter, c’est un terme de banquier. […] Il faut le consentir, dit Camus, ce qui est beaucoup plus beau que le profit. C’est-à-dire qu’il faut s’assortir au monde. Et ça, les Grecs sont tout nus, les bras ouverts, devant la pluie de lumière et c’est ce qu’on ressent de ces textes."

Cette idée de s’assortir au monde va donc à l’encontre de l’idée d’en jouir, d’en tirer du profit. S’assortir, c’est agir pour être en harmonie avec. Ce n’est pas simplement contempler, car la contemplation est passive. Alors que dans l’idée d’assortir, il y a une notion de 'musicalité'. Il s’agit de danser, mais en veillant à être bien en accord avec la musique.

Pour les Grecs, notre monde obéit à un équilibre, à un ordre au départ gagné sur le chaos, comme le rappelle le spécialiste de l’Antiquité Jean-Pierre Vernant. Pythagore parle de l’harmonie des sphères. Le monde est ainsi perçu comme un ordre cohérent qui répond à une musique générale. Dans ce contexte, notre rôle d’humain consiste justement à s’assortir à cette musique.

Les Grecs nous mettent donc en garde contre ce qui nuit par essence à cette harmonie, l’hybris, autrement dit, notre tendance humaine à la démesure, à l’excès, aux passions, qui sont des dispositions qui éloignent l’homme de son rôle principal : être à notre place dans le Tout.

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