Historiquement, notre pays ne brille pas une culture tactique particulière. La "petite" Belgique a quelques moments incroyables à son actif : une finale pleine de suspense à l’Euro 1980 perdue en toute fin de match contre l’Allemagne de l’Ouest de la "girafe" Horst Hrubesch, un mémorable parcours à la Coupe du monde 1986 au Mexique qui se termine à la 4e place, battue en demi-finale par le meilleur joueur du monde de l’époque, l’Argentin Diego Maradona. Ces exploits portent la patte de Guy Thijs, sélectionneur national qui jouait de façon immuable : un 4-4-2 solide porté par une génération de joueurs de haut niveau (Vandenbergh, Vander Elst, Gerets, Vercauteren, etc.)
30 ans plus tard, la Belgique a surfé sur une autre génération dorée, les Kompany, Hazard, De Bruyne, Lukaku, Courtois, Witsel, Fellaini. Une équipe faite d’individualités qui jouent les premiers rôles dans les plus grands championnats. Sous la direction de Roberto Martinez, la Belgique est devenue une "belle" équipe à regarder, avec la volonté de posséder le ballon, le faire tourner pour trouver la faille, avec des techniciens soyeux balle au pied. Si déjà en 2014 et en 2016, les Diables rouges avaient déjà réalisé plusieurs jolies séquences, l’épopée russe de 2018 fait de la Belgique l’une des plus belles nations du monde foot et place fermement, et pour 3 ans, notre pays à la première place du classement FIFA.
En 2021, on doit admettre que la Coupe du monde n’est plus qu’un souvenir. L’équipe caméléon qui pouvait, selon les périodes, tenir le ballon ou le laisser à l’adversaire pour mieux le contrer, s’est transformée en équipe poussive, incapable d’imprimer un rythme à la rencontre. Les relais à l’intérieur du jeu en 2018, avec Witsel, Dembélé, De Bruyne ou Hazard se sont transformés en longs ballons vers Romelu Lukaku. Les fulgurances de Jeremy Doku n’ont pas suffi à renverser l’Italie.
Plus globalement, tout au long du tournoi, les statistiques montrent une Belgique avant tout efficace et pas très spectaculaire, à l’inverse de sa réputation. Contre la faible Russie, les Diables tirent 7 fois au but, pour 4 frappes cadrées, 3 buts et 1.56 "Expected goal". Pour juger la qualité d’une occasion créée (ou concédée), il existe le concept suivant : "Expected Goals" (xG) ou "buts attendus". Suivant la position du tireur, un modèle mathématique permet de déterminer la probabilité qu’il y ait un but (en très résumé, plus de détails ici). Il existe plusieurs modèles, nous utiliserons celui d’infogol. Plus le xG est élevé, plus le nombre et la qualité des occasions est élevée, plus l’équipe peut s’attendre à marquer. Cette statistique permet d’évaluer la prestation offensive et défensive d’une équipe sans tenir compte du score.
Contre la Russie, le match s’est donc terminé à 1.56 xG en faveur des Diables contre 0.34 xG pour les Russes. Cela signifie que la Belgique a bien contrôlé l’attaque russe. Et qu’en marquant 3 buts pour 1.56 xG, elle a été efficace : peu d’occasions mais qui rentrent. Contre le Danemark, ce constat d’efficacité s’est accentué : 1.99 xG pour les Danois pour un seul but encaissé par les Belges, contre 0.82 xG en faveur des Diables pour deux buts inscrits. Le résultat du match contre la Finlande est conforme à cette statistique : 1.98 xG pour les Diables pour deux buts marqués. Face au Portugal, la Belgique concède 1.37 xG et n’en génère que 0.26 xG : c’est donc une victoire face à un adversaire qui a plus souvent tiré au but (19 contre 5), qui a eu le plus la possession (57% contre 43%) mais qui a été bien contenu par la défense belge : ces occasions lusitaniennes étaient nombreuses mais de mauvaise qualité. Le but de Thorgan Hazard, lui, est un authentique exploit : le modèle lui donne une probabilité de but de 3%.
Défendre un but et laisser l’initiative à l’adversaire portugais, c’est une chose. Être incapable de résister au pressing italien, ne pouvoir construire des actions si ce n’est des contre-attaques éclair et subir le jeu en espérant un exploit du trio Doku-Lukaku-De Bruyne, c’est le renoncement que les Diables ont été forcés d’effectuer en ¼ de finale. L’identité de jeu qui a forgé la réputation de la génération dorée a dû céder face aux assauts d’une Italie conquérante.
Face à la Squadra, les Diables ont touché leur plafond de verre. À peine 46% de possession, 4 frappes (contre 10), moins de passes tentées, moins de taux de passes réussies, moins de distances parcourues (106,087 km contre 112,603 km), moins de courses dans les 30 derniers mètres adverses : la Belgique a été proprement éliminée par une Italie beaucoup plus joueuse que dans les dernières compétitions internationales. Les xG sont mêmes flatteurs pour les Belges : 1.86 xG contre 2.23 pour l’Italie. Mais c’est oublier le penalty transformé par Lukaku qui vaut seul 0.8 xG. Les Diables n’ont pas existé en première mi-temps et n’ont été pas assez bons en 2e mi-temps, incapables de s’en sortir par le jeu qui les avait portés si haut en Russie. Plus globalement, ce constat vaut pour l’intégralité de la compétition. Et les Expected goals montrent que la Belgique est à sa place, parmi les 8 meilleurs pays du continent, mais pas plus haut.