Faut-il évaluer les enseignants et éventuellement les licencier en cas de mauvaise évaluation ? Les syndicats sont vent debout contre le projet de la ministre Caroline Désir. Ils vont à nouveau la rencontrer aujourd’hui sur le sujet. Mais c’est un bras de fer qui dure en réalité depuis plus de 30 ans.
Vieille question
Depuis la fin des années 80, cette question s’est posée de manière aiguë : les enseignants doivent-ils rendre des comptes à la société ? Jusqu’à quel point sont-ils responsables du taux important d’échec et de la faible efficacité de l’enseignement ?
Ce débat s’est ouvert fin des années 80, très vite après la communautarisation, face aux mauvaises performances de l’enseignement francophone et son coût comparativement élevé face aux autres pays. Mais ce débat s’est refermé, gelé. Les années 90 ont été marquées par les grandes grèves des enseignants suite aux problèmes budgétaires de la Communauté. Le débat sur la responsabilité des enseignants s’est alors figé. Plus aucun ministre n’a vraiment osé rouvrir cette boîte de Pandore et affronter les syndicats sur cette question. Jusqu’à Joëlle Milquet et son Pacte d’excellence, où la question de la responsabilité des enseignants a été à nouveau posée, parmi des tas d’autres questions, et avec la participation de presque tous les acteurs de l’enseignement autour de la table.
Logique de contrat
Que dit le Pacte d’excellence, aujourd’hui porté par Caroline Désir ? Il est prévu que les écoles se dotent de plan de pilotage. C’est-à-dire -et c’est une petite révolution- que les écoles soient quelque part sous contrat, un contrat d’objectif, avec le pouvoir subsidiant, la Communauté française. Et dans cette logique de contractualisation, il est prévu que la direction évalue les profs par rapport aux objectifs du contrat. En cas d’avis défavorable, il peut y avoir des sanctions et éventuellement un licenciement.
Les syndicats émettent beaucoup de critiques. D’abord, que l’évaluation existe déjà, via l’inspection (mais elle est très limitée). Qu’il est déjà possible de licencier un prof nommé (même si c’est quand même très, très compliqué), qu'il y a un risque d’arbitraire avec cette procédure, qu’on risque de décourager encore une profession en pénurie… Enfin, certains pointent aussi une logique néolibérale qui serait à l’œuvre, une logique de performance, d’autoritarisme.
Efficacité
Les syndicats, vent debout, refusent que la logique de contractualisation descende jusqu’aux enseignants eux-mêmes. Pourtant, cette question est ouverte depuis plus de 30 ans. Elle n’était pas posée par des personnalités néolibérales adeptes du culte de l’évaluation. En 1990, François Martou, président du MOC, le mouvement ouvrier chrétien, disait sur un plateau de la RTBF : "Je ne suis pas sûr que les enseignants, qui sont un peu individualistes, sont bien au courant de leur performance. Trop d’enseignants pensent qu’un bon enseignement c’est aussi des échecs. C’est jamais leur faute quand un étudiant rate. La question n’est pas de culpabiliser les enseignants, mais de retrouver un contrat positif entre la société, les orientations budgétaires et la qualité de l’enseignement".
Qualité, performance, contrat, efficacité, responsabilité, les mots de François Martou ont traversé 30 ans de vie politique pour résonner aujourd’hui dans le Pacte d’excellence. A l’époque, ses déclarations s’étaient pourtant attiré les foudres virulentes de Régis Dohogne, le patron de la CSC enseignement. Et c’est lui, le syndicaliste, qui avait gagné.
Après des années de grèves, ce qui a triomphé comme vision c’est que les enseignants n’étaient responsables, en aucune manière, de la faible efficacité de l’enseignement francophone, qu’au contraire la qualité dépendait de la quantité de profs et de leurs conditions de travail. Le bras de fer actuel n’est pas le début d’un conflit. C’est, peut-être, la fin d’un très long débat entamé dès la fin des années 80.