Et cet effet est aussi malheureusement observé pour des comportements qui affectent d’autres que soi. Les séries de profanations de cimetières juifs en sont une illustration selon Vincent Yzerbyt : "des profanations parfois commises par des personnes qui étaient très loin d’être des Nazis mais qui ont reproduit ces comportements, sans doute aussi attirés par l’effroi et le scandale que cela générait", souligne-t-il. Le professeur en psychologie sociale cite également le phénomène des jets de pierres mortels depuis des ponts d’autoroutes mais aussi, dans un tout autre style, l’opposition au port du masque au moment de la crise du Covid. Car les médias "donnent à voir tout un répertoire de comportements", poursuit Vincent Yzerbyt, et pour des êtres aussi sociaux et doués pour l’imitation que le sont les humains, la " preuve sociale ", comme l’appellent les chercheurs, est constamment recherchée. Par tout un chacun mais encore plus particulièrement par des personnes en difficulté dans leur existence ou tout simplement en recherche d’eux-mêmes et d’une sorte de voie à suivre. "Ce n’est pas forcément quelque chose de raisonné ! Mais c’est le mécanisme le plus courant de création de comportement", complète le psychologue néo-louvaniste.
Obligation d’informer et responsabilité sociale du journaliste
Malgré eux, les journalistes sont donc susceptibles d’inciter à commettre les comportements dont ils rendent compte, même quand ils les condamnent. Faudrait-il dès lors systématiquement passer sous silence toutes les conduites répréhensibles afin de ne pas propager de mauvaises idées dans la société ? Pour Marc De Haan, journaliste, philosophe et actuel président du Conseil de déontologie journalistique, ce serait manquer à la première mission du journalisme qui est de relater les faits : "à partir du moment où il y a un fait avéré, on ne va certainement pas le taire !" avance-t-il.
Surtout que de nos jours, l’information, ou la rumeur, circulent de toute façon bien souvent sur les réseaux sociaux avant que la presse ne s’en empare. Dans le cas qui nous occupe, les signalements de piqûres sauvages ont d’ailleurs chaque fois été relayés dans un premier temps par les organisateurs des événements concernés via leurs réseaux sociaux. "C’est donc légitime d’en parler et c’est même un devoir pour la presse d’informer sur ce phénomène à mon avis. Mais il faut mettre cela en balance avec la responsabilité sociale du journaliste, qui est également l’un des fondements de la déontologie, et donc tâcher de mesurer l’impact de ce que l’on fait et tenter de prévenir d’éventuels effets pervers", détaille le philosophe.
La question ne serait donc pas tant de savoir s’il faut parler ou non d’un sujet que de savoir de quelle manière en parler : "c’est le type d’information où on ne pas se permettre d’être sensationnaliste, ça certainement pas, mais, au-delà de ça, même flou ou incomplet", estime Marc De Haan. Et cela passe notamment par la nécessité de ramener constamment le phénomène à sa juste proportion, en citant le nombre de cas avérés par exemple. Mais aussi en rappelant bien les zones d’ombre qui subsistent. Selon Marc de Haan, dire ce que l’on ne sait pas encore est tout aussi important que de dire ce que l’on sait : "il faut aller suffisamment loin pour que le lecteur, l’auditeur ait conscience de ce qui reste un point d’interrogation", insiste-t-il. Le but étant d’éviter une psychose collective et le risque pour le public de surinterpréter une information qui ne serait pas complète. C’est aussi toute la difficulté de faire la différence entre "fait divers" et "fait de société", la frontière entre les deux étant souvent poreuse et pas si évidente à tracer, ni pour les journalistes, ni pour leur public.