Éducateur socio-sportif, assistant social, entraîneur de foot. Yves cumule les casquettes. Toutes portées au sein de la même organisation : les City Pirates. Plus qu’un club de foot, il s’agit du pilier de nombreux jeunes Anversois, qu’ils viennent de Merksem, Deurne, Luchtbal ou Linkeroever.
Chez les Pirates, Yves ne forme pas ses jeunes à devenir footballeurs pros. Il les prépare à la vie en société, " difficile et douloureuse ". Surtout quand on est d’origine étrangère.
Ce racisme, il l’a vécu lui-même dans sa jeunesse et dans son club. De la part des joueurs et du public adverses. Mais aussi de la part de ses propres coéquipiers et supporters. Il a tout entendu. " Des blessures qui peuvent rester ouvertes toute une vie ".
15 ans plus tard, Yves ne voit pas d’évolution. Ses joueurs souffrent encore de cette même haine de l’autre. Il leur apprend à y faire face et à ne pas tomber dans le piège d’une réponse similaire.
Il bâtit des groupes mixtes : " des maghrébins, des noirs et des blancs ". Des équipes qui " reflètent la société " dans tout ce qui fait sa richesse. Aller au-delà des clivages, rassembler. Aux râleurs qui trouvent qu’ils en font trop, Yves adresse un message clair : " Nous nous arrêterons quand tout ça s’arrêtera ".
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Vous regrettez qu’en général, les entraîneurs ne protègent pas assez bien les jeunes victimes d’insultes racistes. Comment faut-il réagir lorsque ce type d’incident se produit ?
Quand j’étais jeune, et c’est toujours le cas maintenant, les coachs veulent surtout rester concentrés sur le match. C’est comme ça à tous les niveaux. Ils prennent quelques secondes pour te réconforter et te disent " N’écoute pas ces bêtises ". Les adversaires s’excusent aussi (parfois) et puis on reprend comme si de rien n’était. C’est très difficile. Quand il y a un événement comme ça, il faut porter le viseur au-delà du sport. Il faut montrer au joueur qu’on le prend en considération. Il faut aller lui parler, s’enquérir immédiatement de son état. Lorsqu’un joueur se blesse, on prend du temps pour le soigner et pour s’assurer qu’il est d’aplomb pour rejouer. Quand il est victime d’un acte raciste, on ne prend pas le temps de le soigner. Or, il le faut absolument.
Et après le match, que faire ?
L’autre acte primordial à poser, c’est qu’il faut à tout prix dénoncer l’incident. Il faut que ça se fasse entendre. Pour ce faire, on peut aller jusqu’à arrêter définitivement le match. Le joueur verra qu’on prend la problématique à bras-le-corps et ça permettra de sanctionner les fautifs. Ce genre de signal fort est nécessaire pour mettre fin au racisme.
Dans l’épisode, vous dites que les blessures peuvent rester toute une vie et qu’il faut mieux les soigner. Est-il vraiment possible de les soigner ?
Non, ce sont des blessures qui restent vraiment toujours au fond de vous. Le pire, c’est quand on ne vous croit pas. Cela arrive même en Pro League, comme lorsque le joueur de Charleroi Marco Ilaimaharitra a été victime d’insultes racistes à Malines il y a deux saisons. Il s’est plaint directement et on ne l’a pas écouté. Il a pleuré sur le terrain. C’est par la suite, après le match, que le problème a été soulevé. Il faut vraiment éviter de reporter le problème à plus tard : le fait d’être pris en considération tout de suite joue beaucoup dans la profondeur de la blessure. Et je parle là d’un match de haut niveau, donc imaginez comment ça se passe dans les échelons inférieurs et chez les jeunes…
Ce sont toutes ces blessures qui vous ont donné la force de dédier aujourd’hui un très large pan de votre vie à la lutte contre le racisme ?
Oui. Chacun est différent et encaisse les coups à sa façon. Certains décident d’arrêter le football et c’est une réaction tout à fait normale. D’autres tentent de se servir de ces expériences pour renforcer leur mental et s’endurcir. J’utilise mon vécu personnel pour parler de ce fléau. Et pour aider ceux qui ont vécu ou vivent la même chose que moi. Je veux rendre la vie des jeunes footballeurs d’aujourd’hui plus agréable que celle qui a été la mienne.
S’il y a un seul message que vous souhaitez que les jeunes passés par les City Pirates retienne, quel serait-il ?
Nous sommes TOUS les mêmes. Peu importe le sexe, le genre, l’origine, l’ethnie, l’orientation sexuelle : nous sommes tous la même chose. Il faut absolument passer au-dessus de tout cela.
Malgré les signaux d’alerte, le racisme continue d’exister et beaucoup regrettent le manque de réaction des fédérations. Selon vous, à quoi est dû cet attentisme ?
Les responsables des fédérations n’ont jamais dû faire face eux-mêmes à ces discriminations. Or, pour bien traiter un problème, il faut d’abord en être conscient. C’est quand on a été soi-même une victime qu’on peut comprendre ce que vivent les autres et qu’on a de meilleures idées pour solutionner le problème. Ce n’est pas de leur faute du tout, mais à partir du moment où il n’y a que des blancs au sein d’une fédération, c’est normal qu’ils n’arrivent pas à saisir l’ampleur de la détresse que connaît un joueur noir qui vient d’être victime d’un acte raciste.
La solution doit donc venir de la mixité. Il faut intégrer au sein des décideurs des personnes qui ont vécu des expériences discriminantes dans le passé, ainsi que des personnes qui ont de l’expérience pour s’occuper de ces problématiques. C’est là qu’on pourra réellement faire bouger les choses et, je l’espère, combattre plus efficacement ces discriminations.
Cette saison, il y a justement eu la création de la Chambre Nationale contre la Discrimination et le Racisme, dont vous faites partie. J’imagine que c’est le genre d’initiative qui vous réjouit.
Oui, totalement. C’est un organe qui va s’occuper de régler les cas de discrimination et de racisme à tous les niveaux du football belge. De la Pro League aux divisions amateures, en passant par les jeunes. Nous serons chargés de prononcer des sanctions, si la situation le demande.
Les membres de cette Chambre ont soit connu des moments très désagréables, tels que des insultes racistes ou homophobes, soit travaillé dans le secteur. Quand vous regardez la liste des membres, vous voyez directement qu’on est en plein dans la mixité. C’est ce passé qui va nous permettre d’agir plus justement et avec plus de poids.
Malheureusement, ce n’est pas le travail qui manque. A peine la saison commencée, on a été confrontés à plusieurs cas. Avec notamment des chants anti-wallons à Courtrai-Seraing. J’ose espérer que nous allons vraiment pouvoir faire évoluer les choses.