[EXCLU] Comment ChatGPT aide la line up de Dour ?

Récemment interviewé par Billboard pour discuter de Rihanna, Beyoncé et Harry Styles, ChatGPT s’installe doucement et durablement dans l’industrie musicale. L’intelligence artificielle générative a ainsi composé des mélodies " dans le style de Pink Floyd " pour un morceau des Killers produit par Shawn Everett. Auteur du pitch et du tracklisting d’un concept album (invitant notamment Rosalia) de Danny Wolf, l’agent conversationnel d’OpenAI ne limite toutefois pas son irrépressible influence à la création musicale même. ChatGPT donne ainsi un sérieux coup de boost, en matière de programmation de festivals, à Music Data Studio. La start-up fondée par Alex Stevens (aka le coprogrammateur de Dour) annonce-t-elle une ère d’événements programmés par des algorithmes, à la manière d’une playlist de suggestions à la Spotify ?

" Les gens ont peur des intelligences artificielles, car ils subissent les algorithmes. C’est compréhensible, car Instagram les bombardent par exemple de pubs basées sur leurs clics et leurs conversations tandis que Spotify les enferme dans des suggestions. Je suis le premier à me sentir piégé par cette tendance qui essaye d’influencer nos vies. " balaie d’un revers de la main Alex Stevens. " Certains craignent donc que si les festivals travaillent tous avec le même algorithme de programmation, ils finiront par aligner les mêmes affiches. Ce n’est pas vrai. Les line up de Dour, de Marsatac et des Francofolies de La Réunion (ndlr : programmés par Alex Stevens) en témoignent. Au final, le rôle de ChatGPT et des outils de Music Data Studio doit avant tout être vu comme celui un super assistant. ".

ChatGPT ne sait pas encore composer de morceau noise et psyché jubilatoire, ni même intéressant. En quatre mois à peine, la version 4 du chatbot le plus malin du monde a pourtant amélioré, la précision de ses réponses de 15 à 20 pc. dans tous ses domaines de prédilection. Technologie, écriture, histoire, maths, business, science ... Au-delà de son intellect brut, la grande force de cette I.A. générant du texte repose sur la convivialité de son traitement de langage naturel (ou Natural Langage Processing dans le jargon).

En pratique, on s’adresse donc à GPT-4 comme si on parlait à un proche, dans une fenêtre de chat. D’un " communiqué de presse de 2000 signes annonçant la première salve de noms d’un festival de rock indé avec humour " à " dix propositions de slogans pour une rave indoor ne servant que des alcools forts à Charleroi ", ses aptitudes menacent le métier de copywriter. D’autant qu’en cas de texte décevant, l’utilisateur peut lui demander de retravailler certains points précis du texte obtenu. Jusqu’à obtenir un ensemble d’une cohérence épatante.

Alex Stevens a lui d’abord capitalisé sur la puissance et la convivialité de ChatGPT pour traiter les 3 à 500 mails quotidiens qu’il a reçu l’an dernier, de septembre à décembre pendant la phase de programmation de Dour. Dans un premier temps, ce dernier a commencé à copier-coller ces messages dans ChatGPT pour lui demander de régurgiter leur contenu dans des tableaux Excell incluant notamment le nom de l’artiste, ses dernières actus, ses comptes de streaming et de réseaux sociaux officiels.

" Mais j’ai déjà passé cette phase et je suis en train d’automatiser tout cela. Cela me permet de structurer l’information qui arrive de manière brute par mail pour ensuite l’envoyer dans Music Data Studio. " détaille Alex Stevens. Le liégeois qui a été informaticien avant d’être programmateur de festival précise que " Si un agent me dit qu’un artiste va sortir un nouvel album et qu’il va tourner en 2024, ChatGPT va trouver cette info dans mon mail et l’encoder dans la base de données de Music Data Studio. Quand j’ouvrirai une fiche d’artiste, je trouverai alors toutes ces infos mises à jour depuis mon mail. Cela prenait un temps fou avant, lorsque je faisais ça manuellement ".

Trésor de guerre de Music Data Studio, sa data base alimente Bookr.fm, son application phare. Développé par Alex Stevens et une équipe de free-lance disséminée en France et en Espagne, ce couteau suisse digital aide le programmateur d’un festival, de la recherche de l’artiste à la confirmation de sa présence. En pratique, ce tableau de bord jongle entre carnet d’adresses, offres artistiques, articles de presse, liste des concerts et autres emplois du temps. Suivant 450 000 artistes, cet outil gère également le budget du festival et les offres de cachets d’artistes. S’il existe déjà depuis plusieurs années, la puissance de ChatGPT le dope.

Le second usage de ChatGPT par Music Data Studio effarera les technophobes puisqu’il aide à la programmation. Encore en développement, Music Curation AI permettra à terme de, par exemple, programmer un festival Metal à Liège en demandant à un chat bot, de lui pondre une line up dans un budget artistique de 20 000 euros, à une période de l’année donnée. Cette plate-forme, repose sur le formidable esprit analytique de l’I.A. d’OpenAI. Mais il ne pioche pas dans la base de données de la célèbre start-up californienne qui se limite à 2021. Une bonne chose, car une odeur de soufre éthique et légale plane sur ces data base sur lesquelles reposent ces I.A. génératives.

Si ChatGPT dévoile volontiers ses sources d’information majeures (institutions, milieu académique, Wikipédia, presse écrite de qualité, forum spécialisés et pondérés...), impossible de récupérer les références précises des infos qu’il déroule. La base de la tech de ChatGPT est en outre outsourcée au Kenya embauchant, à bas cout, des modérateurs lisant - pour l’entraîner - des textes sanglants, littéralement traumatisants. Notons enfin que l’Union Européenne devrait bientôt ratifier une loi forçant ChatGPT et consorts à divulguer le cœur des montagnes de données - protégées par le droit d’auteur - qu’ils utilisent.  

" La base de données de Music Data Studio est interne. En gros, c’est donc un mix entre 15 ans d’expérience de curation mélangé avec toutes les données que j’ai collectées ces 5 dernières années. Cela contient par exemple l’ensemble des dates d’une tournée d’un artiste (via une API de Bandsintown) ou encore des articles de 600 médias spécialisés et blogs. " souligne Alex Stevens. " Il y a aussi des flux Twitter comme celui de FIP Radio qui détaille tout ce qu’ils passent sur les ondes. Cela va assez loin car on peut y voir ces dernières années quels titres et le nombre de fois qu’ils l’ont joué. Les comptes Spotify du public de Dour m’ont aussi permis de créer un score de performance des fan base d’artistes qui y ont joué par le passé. ".

Se définissant comme une " plateforme exploitant la puissance de ChatGPT et la base de données de Music Data Studio ", le projet en chantier de Music Curation AI s’inscrit dans la lignée du travail historique d’Alex Stevens pour Dour. Le développeur qui avait créé, il y a 23 ans (!), les premières fonctions communautaires du site web du festival se dit toutefois dépité de voir que sa big data musicale reste souvent considérée comme " une espèce d’ultra top 100 numérique arbitraire et réducteur ". Et ce dernier de souligner que sa base de données reste un outil, qui lui a permis de saisir l’évolution de la drill (un sous genre du hip hop) sur le public de Dour. Le curateur de Marsatac note également que Jpeg Mafia n’aurait pas foulé le site du festival hennuyer en 2019 sans la data. Mais dire qu’on utilise ChatGPT dans le petit monde des festivals musicaux passe encore mal.

" Il faut faire de la pédagogie. Les gens ne comprennent pas de quoi il s’agit et sont très hypocrites. Je me suis fait flinguer dans Libé, face à des programmateurs de festival expliquant qu’ils ne regardaient jamais la data " poursuit Alex Stevens. " Ils se disaient artisans, tout en tapant des artistes aux cachets stratosphériques à leur affiche. J’ai donc du mal à croire qu’ils n’ont pas une idée de ce qui se vend bien et marche en salles. Il y a aussi quelque part, une espèce de conflit de génération. ".

Capable de réaliser des comparatifs de festivals, pour en dresser des bilans méta, ChatGPT se montre assez puissant dans ses analyses, y compris pour des événements indé. Lui demander s’il conseille le BRDCST festival de Bruxelles pour un public fan du Le Guess Who? d’Utrecht se solde par une réponse pondérée et bien argumentée. Evoquant notamment une " musique du monde entier repoussant les frontières de plusieurs genres ", l’agent conversationnel compile et liste en outre les avis positifs et négatifs de la presse spécialisée et généraliste. Le tout, en évitant de trop s’impliquer. ChatGPT a-t-il conseillé à Dour de programmer plus de rock en 2023 ?

" Non j’ai pris la décision seul ! J’ai par exemple programmé les Lambrini Girls directement après avoir écouté deux morceaux. Notwist n’a pas beaucoup de datas non plus, mais c’est un groupe que j’affectionne donc je me fais plaisir. Il y a aussi des moments d’illumination. Quand on te propose Cymande pour le samedi soir, juste avant Caribou avec un coucher de soleil à la clef, on fonce, sans regarder la data. " sourit Alex Stevens. " D’ailleurs, aucun artiste n’a été programmé par nos outils d’I.A. générative ! Par contre, le fait de pouvoir d’aller regarder les données sur Damso, Lompal ou Orelsan nous rassurent face aux énormes cachets qu’ils demandent ".