Le phénomène s’observe dans les tribunaux et les associations, les victimes de l’exploitation sexuelle sont de plus en plus jeunes. Souvent, c’est le même schéma qui se répète. Une jeune fille, en décrochage scolaire et/ou familial, attirée par l’argent facile, séduite par un jeune homme qu’elle considère comme son petit ami. Sans s’en rendre compte, elle va glisser vers la prostitution et rétrocéder ses gains à cet homme.
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Début octobre, une affaire de ce type est jugée devant le tribunal correctionnel de Liège. Sur le banc des prévenus, trois jeunes hommes qui auraient prostitué des jeunes filles dont des mineures de moins de 14 ans. À leurs côtés, deux femmes majeures, également prostituées. On leur reproche d’avoir "coaché" les nouvelles recrues et d’avoir organisé leur prostitution.
Un engrenage : d’un shooting photo à la prostitution
Me Philippe Zevenne est l’avocat d’une de ces jeunes filles : "Toute la question dans ce dossier, c’est de savoir si ces jeunes filles sont entrées dans la prostitution de leur plein gré ou si elles ont été forcées par d’autres". Ce n’est pas la première fois que l’avocat intervient dans ce type d’affaires. Il remarque : "Aujourd’hui, la valeur étalon, c’est l’argent. Il faut montrer sur les réseaux sociaux qu’on gagne de l’argent et, finalement, peu importe d’où vient cet argent".
L’exploitation ne se fait désormais plus toujours par la contrainte et la violence. C’est ce qu’observe Jean-Pierre Jacques, avocat de Myria, le centre fédéral de lutte contre la traite et le trafic des êtres humains : "Aujourd’hui, il s’agit d’une contrainte et d’une violence économique". Il explique l’engrenage : "Il y a une relation de confiance, une relation affective avec un jeune homme. Il propose de gagner de l’argent par le biais de photos. D’abord des photos très chastes, puis en sous-vêtements, puis dénudées. Tout se fait par paliers jusqu’à arriver à la prostitution". Il est alors souvent trop tard pour faire marche arrière.
Rompre avec l’emprise
Et c’est ce qui rend le travail des associations très difficile. L’emprise s’est installée progressivement. Ces jeunes filles n’ont pas toujours conscience d’avoir été exploitées sexuellement par celui qu’elles considèrent comme leur petit ami. Ou par la bande urbaine qui leur a permis d’exister, d’avoir de la reconnaissance.
Sébastien Biaudelle est le directeur d’une association active dans l’aide aux mineures victimes d’exploitation sexuelle. Pour des raisons de sécurité, nous ne dévoilerons pas le nom de cette association qui dispose d’ailleurs d’un numéro de téléphone délocalisé ainsi que d’une boîte postale délocalisée. "Pour aider ces jeunes filles, il faut commencer par une rupture. Dans notre centre, elles n’ont pas accès à leur téléphone, l’usage des réseaux sociaux se fait de manière encadrée et, dans un premier temps, il n’y a pas de sortie à l’extérieur", énumère-t-il.
Le parcours au sein de l’association dure entre six mois et un an selon les profils. L’approche est pluridisciplinaire. Les jeunes filles sont entourées de psychologues, d’assistants sociaux pour les démarches administratives, de criminologues pour les démarches juridiques, de psychomotriciennes pour réapprendre les limites de leur corps. Les jeunes filles développent également au sein du centre un projet d’avenir. Un projet qui doit être suffisamment solide pour ne pas retomber dans le cercle vicieux à la première difficulté.
Difficile de détecter le phénomène
Pour les services de police, il n’est pas aisé de détecter ces phénomènes avant qu’il ne soit trop tard. Sur Internet, il est très facile de créer un profil pour proposer des services. Et puis la prostitution a glissé des vitrines vers de lieux plus anonymes comme des garages, des campings, des hôtels ou encore des appartements loués à ces fins. Un phénomène qui s’est d’autant plus accéléré avec la crise sanitaire lorsque les lieux de prostitution traditionnels ont dû fermer leurs portes.
Pour sensibiliser sur cette problématique, la police fédérale lance aujourd’hui une campagne de sensibilisation. Eric Garbar, commissaire de police judiciaire et chef du service central traite et trafic des êtres humains : "Le but, c’est de sensibiliser les potentielles victimes aux dangers que représentent de mauvaises rencontres qui pourraient les amener tout doucement vers une activité de prostitution qu’elle soit spontanée ou bien contrainte", précise-t-il.
Cette campagne de sensibilisation sera diffusée sur tous les médias de la police fédérale, mais aussi dans des lieux de passages stratégiques comme les gares de Bruxelles-Midi, Anvers et Liège.