53 ans en arrière : le 12 décembre 1969 avait lieu un attentat meurtrier qui allait faire plonger tout un pays dans une décennie instable, parsemée d’actions violentes, ce qu’on appellera plus tard les années de plomb.
Ou pour le dire dans la langue originale : Gli anni di piombo puisque c’est en Italie que ça se passe.
Les années 70 y seront rythmées tragiquement par une longue série d’attentats, d’assassinats et d’enlèvements. Et le point de départ de tout cela a lieu le 12 décembre 1969. Il y a foule en fin d’après-midi en plein cœur de Milan, Piazza Fontana à 500 mètres de la célèbre cathédrale. Une bombe explose dans le hall de la banque nationale de l’agriculture.
Le bilan est lourd, 16 morts, 88 blessés. Dans les minutes qui suivent le carnage de Milan, trois autres bombes explosent à Rome avec heureusement un bilan moins tragique : 16 blessés et aucun décès.
Ce jour-là, l’Italie bascule dans la violence politique, elle ne le sait pas encore mais elle en a pour dix ans.
Une violence d’extrême gauche avec notamment les brigades rouges et aussi une violence d’extrême droite avec des groupes tels que l’Ordre nouveau.
Sait-on aujourd’hui qui était derrière l’attentat de Milan du 12 décembre 1969 ?
Oui mais on peut dire que la manière dont l’enquête a été menée n’a pas contribué à amener la sérénité dans la société italienne et a au contraire aggravé les choses et la perception des citoyens que les autorités n’étaient pas à la hauteur voire carrément complices.
Dès le lendemain de l’attentat, beaucoup d’observateurs et de commentateurs désignent l’extrême-droite. Pourtant, la police de Milan incrimine immédiatement les milieux anarchistes de gauche. Pire : durant un interrogatoire au poste de police, un militant anarchiste tombe d’une fenêtre du quatrième étage et se tue, engendrant les soupçons que l’on devine.
Trois ans plus tard, le commissaire de police de Milan qui l’avait interrogé est assassiné devant chez lui par des militants d’extrême gauche. Quant à l’attentat de Milan il avait bien été perpétré par un groupe d’extrême droite appelé ordre nouveau.
Que cherche l’extrême-droite ?
C’est ce qu’on appellera la stratégie de la tension censée faire adhérer les citoyens à un besoin de davantage d’autorité. On peut faire le parallèle avec ce qui vient de se passer en Allemagne sauf qu’ici en 2022 le groupe a été démantelé avant de passer à l’action. Les militants de " reichburger ", citoyens du Reich sont nostalgiques d’un passé glorieux fait d’ordre, d’autorité et de supériorité.
C’est un peu pareil pour les militants italiens d’extrême droite des années 70 avec la particularité qu’ils craignent plus que tout le péril rouge dans un pays où le parti communiste était le principal parti de gauche. L’attentat le plus terrible commis par l’extrême droite fut celui de la gare de Bologne du 2 août 1980 : 85 morts et 200 blessés.
Quelles différences avec l’extrémisme de gauche ?
Au contraire des bombes dans les lieux publics de l’extrême droite, l’extrême gauche privilégie les attaques ciblées. A elles seules, les brigades rouges revendiquent 86 meurtres, policiers, magistrats, personnalités politiques dont le leader de la démocratie chrétienne Aldo Moro exécuté après 55 jours de captivité.
Aldo Moro qui s’apprêtait à gouverner avec le parti communiste, un compromis historique inacceptable pour ces militants. Ces militants des brigades rouges et autres étaient convaincus d’une complicité des forces de l’ordre avec les milieux d’extrême-droite.
Certains faits peuvent leur donner raison. Ainsi, un officier des carabinieri de Bologne a été condamné pour entrave à la justice dans l’enquête sur l’attentat de la gare. Beaucoup de commanditaires d’attentats ne furent jamais condamnés. Mais cela a aussi alimenté tous les fantasmes et en tout cas beaucoup d’éléments restent à prouver, comme par exemple une hypothétique implication de la CIA derrière cette stratégie de la tension de l’extrême-droite.
L’Italie ne fut pas la seule à devoir faire face à des attentats durant les années 70 ou 80. On pense à la rode armee fraktion en Allemagne ou encore chez nous aux tueurs du Brabant.
Qu’est ce qui fait la spécificité de l’Italie ?
D’abord, la durée : une bonne dizaine d’années entre la fin des années 60 et le début des années 80. Ensuite l’intensité : on dénombre des centaines d’actions violentes et d’attentats, puis cette violence émane de deux camps, au point que certains historiens parlent d’une guerre civile de basse intensité.
Enfin, il y a la spécificité italienne : des structures étatiques faibles avec un système judiciaire et policier déjà sous la pression de la mafia.
Quoi qu’il en soit, le rappel de ces années de plomb italiennes relativise une fausse perception des choses largement répandue, celle de la nostalgie de jours heureux. Non, la société n’était pas moins violente il y a quelques dizaines d’années.