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Ezra Collective : Le jazz en grandes formes !

Ezra Collective vient de signer l'un des meilleurs albums de jazz de l'année.

© Aliyah Otchere

Depuis quelques années, le jazz se renouvelle au croisement des continents et des traditions. Modèle du genre, le nouvel album d’Ezra Collective se veut ouvert d’esprit et protéiforme. Mené à la baguette par Femi Koleoso, héritier de Tony Allen et nouveau batteur de Gorillaz, le collectif londonien vient d’enregistrer l’une des références de l’année.

Le deuxième album d’Ezra Collective traverse les frontières du jazz sans passeport ni œillère. Libre, touche-à-tout et décomplexé, "Where I’m Meant To Be" prolonge pourtant les mythes et légendes du genre avec un soin tout particulier. Sa pochette, déjà, revisite celle du fameux "Underground", chef-d'œuvre publié en 1968 par Thelonious Monk. "J’ai ce disque dans ma collection", s’emballe Femi Koleoso, batteur et pilier du groupe anglais. "C’est un objet culte ! Pour la musique, bien sûr, mais aussi pour son visuel complètement fou. On y voit Thelonius fumer une cigarette dans une sorte de bunker nazi. Il a pris le contrôle des lieux, confisqué toutes les armes et ligoté un soldat dans un coin. Là, seul dans cette zone de retranchement, il se dresse derrière son piano. Pour une raison qui me dépasse un peu, j’associe cette image au confinement... Sans doute parce que j’avais l’impression d’être coincé, sans issue ni alternative. Au début, je voulais recréer la pochette de Thelonious Monk dans ma chambre. Mais elle était trop petite pour organiser le shooting photo. J’ai donc reconstitué ce décor dans un studio." L’endroit mis en scène sur la pochette du nouveau Ezra Collective n’existe donc pas dans la vraie vie. "Cela dit, j’envisage d’ouvrir un petit club de jazz qui ressemblerait à ça. Si l’occasion se présente, je l’ouvrirais au nord de Londres, dans mon quartier, à Enfield."

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Les dieux du jazz

Dans la capitale anglaise, Einfield est le repaire de la famille Koleoso. "Mes parents sont originaires du Nigéria. Ils sont arrivés à Londres à la fin des années 1980, juste avant ma naissance", indique Femi. "Le Nigéria est un pays magnifique. Mais vivre et travailler là-bas, c'est extrêmement compliqué... Ma mère a eu l'opportunité d'obtenir un poste d'infirmière en Angleterre. Mon père l'a suivi. Il travaille comme scientifique dans le biomédical. En marge de son métier, il est pasteur dans l’église de notre quartier." Le lieu tient une place à part dans l’histoire du batteur. "C’est là que j’ai appris à frapper sur des cymbales. À six ans, je suis devenu le percussionniste attitré de la paroisse." Élevé dans le rythme et la foi, Femi Koleoso s’enflamme bientôt pour les dieux du jazz. "C’était une obsession", dit-il. "À un moment, je me suis pris de passion pour les disques de Charles Mingus. Le problème, c’est que personne n’écoutait ça à l’école." Après les cours, l’ado déplace alors ses fixettes musicales le long de la Tamise. Là-bas, entre County Hall et Waterloo Bridge, le complexe du Southbank Centre abrite les activités des Tomorrow's Warriors : une association qui s'engage à défendre la diversité, l'inclusion et l'égalité dans les arts à travers le jazz.

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Tomorrow's Warriors never die

"J'ai appris le jazz au contact des programmes d'accompagnement mis en place par les Tomorrow's Warriors", explique Femi Koleoso. "Je dois mes connaissances au cofondateur de l'association, le contrebassiste Gary Crosby." Chaque week-end, le batteur se perfectionne ainsi en compagnie de son frère TJ et d’autres jeunes impliqués dans le programme des Tomorrow's Warriors. Le claviériste Joe Armon-Jones, le trompettiste Ife Ogunjobi et le saxophoniste James Mollison deviennent ses meilleurs potes, mais aussi les membres officiels d’un nouveau projet : Ezra Collective. "J’ai fondé ce groupe en 2012", retrace Femi. "À l’époque, ma seule ambition était de jouer de la musique avec mes potes. Je voulais enregistrer des morceaux qui seraient susceptibles de plaire à mes parents. L'éventualité de me produire à l'étranger avec ce collectif ne m'a jamais effleuré l'esprit..."

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Petit-déj’ avec Steve McQueen

Dix ans après sa formation, Ezra Collective joue les premiers rôles. De Melbourne à Los Angeles, de Bruxelles à Oslo, de Glastonbury au North Sea Jazz Festival, tout le monde veut voir le collectif anglais en action. À commencer par Steve McQueen. Réalisateur de films à succès ("Shame", "Twelve Years a Slave", "Widows"), ce dernier se met en tête d’organiser une fête orchestrée par Ezra Collective. "Un jour, je reçois un SMS de ma manageuse : Le réalisateur Steve McQueen adore ta musique. Il voudrait te rencontrer. Serais-tu partant pour prendre un petit-déjeuner avec lui ?" Quelques jours plus tard, entouré de pots de choco et de marmelades, Femi Koleoso boit un café à la table du réalisateur anglais. "Il nous a invité à jouer, puis c’est devenu un proche. Je le considère que mon oncle. Nous bavardons souvent ensemble. Au cours d’une discussion, je lui ai d’ailleurs confié que je ne comprenais pas pourquoi les gens accordaient autant d'importance à la musique d'Ezra Collective. Chez moi, c'est une pensée récurrente. Je souffre du syndrome de l'imposteur. Là-dessus, Steve McQueen m’a parlé des musiciens noirs, dans le Londres des années 1920's. Tous ces oubliés de l’histoire ont participé à l’émergence du jazz en Angleterre. Puis, il a ajouté : "C'est pour cette raison que tu es censé être là où tu es aujourd’hui". Le titre du nouvel album, "Where I'm Meant To Be", vient de là."

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Tony Allen, prof particulier

Enregistré aux côtés de Kojey Radical, Emeli Sandé, NAO ou Sampa The Great, le deuxième album d’Ezra Collective repousse les frontières du jazz aux confins du reggae ("Ego Killah"), du rap ("Life Goes On"), de la salsa ("Victory Dance"), mais aussi de l'afrobeat ("Welcome to my World"). Au début du morceau "No Confusion", la voix du regretté Tony Allen revient de l’au-delà pour déclarer "I'm playing jazz my way !". Parfait résumé des intentions d’Ezra Collective, ce sample est un hommage appuyé à l’une des figures sacrées de l’afrobeat. "En tant que batteur, je considère Tony Allen comme mon père spirituel", confie Femi Koleoso. "Un soir, alors que je venais de terminer un concert dans un bar, un pote m'envoie un message sur mon portable. Il voulait connaître le nom de mon batteur préféré. Sur le coup, je ne pige pas pourquoi il me pose cette question mais, naturellement, je lui réponds "Tony Allen". Quelques secondes plus tard, il me renvoie une photo de lui au fond du bar en compagnie de Tony Allen. C'est comme ça que je l'ai rencontré." Cette nuit-là, les deux musiciens nouent une relation privilégiée. "Tony est devenu mon prof de batterie. Entre mes 19 et mes 21 ans, je montais chaque mois dans un bus pour prendre des cours, chez lui, à Paris. Je le connaissais depuis une dizaine d’années quand il est décédé. Sa disparition m’a bouleversé."

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Feel Good Inc.

Invité à participer à un concert organisé à la mémoire de Tony Allen, Femi Koleoso monte sur scène aux côtés des proches du batteur nigérian. Parmi ceux-ci se trouve un certain Damon Albarn. "Nous avons fait connaissance", indique le patron d’Ezra Collective. "Nous avons causé football, musique et cuisine. Puis, à la fin de la soirée, il m’a proposé de rejoindre son groupe. Très honnêtement, je pensais qu'il parlait de son projet solo. Ce n'est qu’en arrivant dans le local de répétition que j’ai compris l'énormité de sa proposition." Nouveau batteur de Gorillaz, Femi Koleoso parcoure désormais le monde en compagnie des personnages inventés par Jamie Hewlett et Damon Albarn. "En août 2021, j’ai joué mon premier concert avec Gorillaz à la O2 Arena de Londres. C’était comme un rêve de gosse. Émotionnellement, c'était un moment intense, quasi surréaliste. Ma chance, c'est que Damon est, lui aussi, impliqué dans plusieurs projets. Il y a Blur, ses concerts en solo et Gorillaz. Cela me laisse du temps pour tourner avec Ezra Collective. J’ai énormément appris en travaillant avec Damon Albarn. Pour lui, un concert se joue toujours à 100 %. Que ce soit devant vingt personnes ou une foule de 80.000 festivaliers. Je lui dois cet état d'esprit. Puis, grâce à Damon, je ne vois plus la simplicité comme une forme de paresse créative. Surtout, ce que j'aime dans sa façon de voir les choses, c'est l’absence de restriction. Hip-hop, soul, funk, rock, reggae, jazz ou pop : il faut écouter son cœur, ses intuitions. Désormais, je mets tout ça en pratique chez Ezra Collective." Avec brio.

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