Icône représentant un article video.

Santé & Bien-être

Faire la sieste au travail ? Aucune honte à avoir, les employeurs y trouveraient même intérêt

"Aménagez des endroits pour permettre à vos employés de faire une petite sieste en début d’après-midi, cela sera tout bénéfice pour votre entreprise !" Le message lancé aux employeurs par l’Association belge pour la recherche et la médecine du sommeil va susciter des débats. Car, autant la sieste est acceptée et même valorisée dans le cadre des vacances et de la vie privée, autant elle a mauvaise réputation sur le lieu du travail où il est plutôt mal vu de dormir, même quelques minutes, au milieu des collègues. Et pourtant, les sociétés sont de plus en plus nombreuses à considérer qu’un employé qui a bien dormi est un employé épanoui et efficace. Bientôt des coins sieste dans les bureaux et les entreprises ? Nous en avons testé un.

La sieste au travail, tout le monde y gagne !

Il est 13 ou 14 heures, vous sortez de la cantine, il vous reste quelques heures de travail avant de rentrer à la maison et vous avez soudain les paupières lourdes et une furieuse envie de piquer un petit roupillon ? C’est normal, les experts du sommeil vous le diront : entre midi et 15 heures, nos organismes ralentissent, nous ressentons une certaine somnolence, notre activité cérébrale a tendance à diminuer, c’est le même phénomène qui se produit en soirée avant la nuit et c’est de la biologie, tout simplement.

Le début d’après-midi est donc le bon moment pour faire une micro-sieste pour recharger les batteries, même sur le lieu du travail. De nombreux pays tolèrent cette pratique, voire l’encouragent, et pas seulement ceux du sud, comme les clichés le véhiculent. Au Japon par exemple, pays où la productivité n’est pas un vain mot, la sieste est ancrée dans la vie professionnelle et elle est considérée comme gage d’efficacité. Chez nous, on estime que les gens qui n’ont pas bien dormi perdent 55% de productivité et leur taux d’absentéisme serait 20% supérieur à la moyenne. Autrement dit, mal dormir chez soi peut avoir des conséquences au travail, pas seulement sur le bien-être mais sur les comptes de la société. Le mauvais sommeil d’un employé coûterait jusqu’à 2.500 euros par an à une entreprise.

A la Faculté de Lettres de Nantes aussi, une salle de sieste a été aménagée. Rêvez-vous de vous y assoupir ?
A la Faculté de Lettres de Nantes aussi, une salle de sieste a été aménagée. Rêvez-vous de vous y assoupir ? © Tous droits réservés

Inge Declercq est neurologue et experte du sommeil à l’hôpital universitaire d’Anvers, elle donne même des formations dans des entreprises et elle vient de publier un livre sur le sommeil, "Je veux dormir" (Editions Kennes), elle confirme l’intérêt de la sieste au travail : "il n’y a aucune raison de regarder la sieste d’un mauvais œil car, au contraire, elle va augmenter la performance. Quand on est somnolent, c’est-à-dire qu’on a les yeux lourds, qu’on est incapable de rester éveillé, qu’on a zéro énergie, c’est utile et même nécessaire de faire une mini-sieste car personne n’est efficace quand il est somnolent. Mais attention, il y a des règles et des limites. La sieste ne règle pas tout et il ne faut pas la faire n’importe comment. Et puis, elle ne convient pas à tout le monde."

Comment faire une bonne sieste ? Une experte nous livre le mode d’emploi

Une sieste mal faite peut faire pire que bien, voici donc les conseils d’Inge Declercq : "une sieste ne peut pas dépasser 20 minutes, grand maximum, et il est important de laisser 8 heures s’écouler entre la fin de la sieste et le coucher. Plus longue et plus tard sera la sieste, plus grand sera le risque de perturber le sommeil nocturne. Et dans ce cas, on dérègle la machine et on entre dans un cercle vicieux : mauvaise nuit, donc besoin de longue sieste en journée et c’est parti pour un cycle infernal."

Autres conditions pour une bonne sieste, le lieu et l’aménagement : "je conseille de ne pas faire sa sieste dans sa chambre, le lit est réservé à la nuit, on y dort longtemps, ne créons pas de confusion inutile. Idem pour l’obscurité, pas besoin de créer une ambiance nocturne, il n’est donc pas conseillé d’occulter le lieu complètement. Par contre, il faut le ventiler et bien s’hydrater après. Quelle position adopter ? Au travail, j’ai vu des gens dormir la tête sur le bureau ou même couché par terre. Le mieux est effectivement d’être allongé mais si possible pas dans un lit, synonyme de nuit. Mieux vaut une chaise longue ou un canapé."

Attention que la sieste ne convient pas à tout le monde. Il y a des personnes qui ont un sommeil perturbé la nuit et qui ne ferait qu’aggraver leur cas en dormant durant la journée. Et ce n’est pas la seule contre-indication : "Quand on est vraiment fatigué mais qu’on n’est pas somnolent, qu’on ne va pas pouvoir dormir, il est plutôt conseillé de sortir, de prendre l’air, de bouger et surtout de chercher la lumière du jour qui est très ressourçante."

« Plutôt que faire la sieste en cachette dans un parking, autant la faire confortablement »

Chez N-Side, une société informatique située à Louvain-La-Neuve, on a bien compris l’intérêt d’une courte sieste. Un coin spécialement dédié, une "nap room" comme on l’appelle, a été aménagé, c’est un box où l’on peut s’allonger, fermer le rideau et s’assoupir un bon quart d’heure. Maud Larochette, directrice financière et des ressources humaines, justifie l’initiative : "on s’est rendu compte que les gens en avaient besoin, notamment les jeunes parents qui ne passaient pas de bonnes nuits à la maison, et comme on est également convaincus que c’est bénéfique de déconnecter à certains moments, on a créé cette pièce il y a deux ans et c’est un succès, on l’a donc maintenue. Chez mon ancien employeur, certains collègues allaient faire des siestes en cachette, par exemple dans leur voiture au sous-sol, c’était inconfortable et donc ici on s’est dit, quitte à le faire, autant le faire dans de bonnes conditions. C’est autant pour le bien-être au travail que pour la productivité, même si bien sûr, ce n’est pas une simple sieste de 20 minutes qui va booster le rendement au travail, mais disons que c’est un outil parmi d’autres."

Quel a été l’accueil parmi le personnel ? Cécile Lapôtre est une des dernières collaboratrices à avoir rejoint l’équipe d’N-Side et pourtant elle a vite trouvé le chemin de la nap room : "j’y vais au moins une fois par semaine, ça dépend de la charge de travail et si j’en ai le temps mais j’apprécie beaucoup. Je le fais souvent en fin de matinée, je ferme à clé et je tire le rideau mais je ne mets pas de musique comme d’autres. Au début je mettais un réveil pour éviter de dépasser 20 minutes, ce qui me rendait vaseuse, mais ce n’est plus nécessaire, je me réveille automatiquement, parfois même avant. Je remarque que ça me fait du bien, je me sens plus concentrée, plus créative. Quand on m’en a parlé à mon arrivée, j’avais un peu peur du regard, du jugement des collègues, je me disais : 'que vont-ils penser de moi, je viens d’arriver et je dors déjà au travail', mais comme mon directeur le fait lui-même chaque jour, j’ai senti que c’était accepté. Et puis, c’est une entreprise jeune et moderne, la sieste n’est pas un tabou. Quand j’en parle dans mon entourage, ils n’en reviennent pas."

D’ailleurs, la pratique n’est pas toujours facile à implanter, elle rencontre parfois des réticences au sein même du personnel. Par exemple, dans les bureaux bruxellois d’Agoria, la fédération de l’industrie technologique, des sièges couchés avaient été placés il y a quelques années mais ils ont été retirés, faute d’utilisateurs. Les potentiels dormeurs n’osaient visiblement pas s’y endormir, de peur sans doute du regard prétendument désapprobateur des collègues ou de la direction.

« Notre sommeil est une batterie et elle se recharge gratuitement la nuit »

La sieste est donc un concentré de bienfaits, le professeur Johan Verbraecken du Centre multidisciplinaire du sommeil de l’hôpital universitaire d’Anvers ne dira pas le contraire : "une bonne sieste garantit que notre cerveau fonctionne mieux et nous rend plus alerte. La pression artérielle diminue et le rythme cardiaque ralentit, ce qui rend les gens plus détendus sur leur lieu de travail, ils sont aussi plus actifs et tout cela profite à l’entreprise."

Mais, insiste Inge Declercq, la sieste ne règle pas tout : "si on a absolument besoin d’une sieste tous les jours, il y a peut-être un problème de qualité du sommeil nocturne et il faut s’en soucier parce que c’est celui-là qui est prioritaire et qu’il faut soigner avant tout. Notre sommeil, c’est notre batterie interne. La recharger est gratuit mais il faut le faire durant la nuit. La véritable énergie de notre journée, nous la nourrissons la nuit."

"La sieste n’est pas là pour combler une dette de sommeil. Pas question de dire : 'je n’ai pas besoin de dormir beaucoup la nuit car je fais des siestes en journée', c’est une erreur qu’on risque de payer, poursuit la neurologue. Soigner son sommeil nocturne, c’est la clé de tout. Et ce sommeil, il a trois piliers qu’il faut respecter, la quantité, la qualité et le timing. La quantité, c’est entre 7 et 9 heures par nuit. En dessous, on est en manque, même si cela varie d’un individu à l’autre. La qualité, c’est un bon endroit, du silence et de l’obscurité, pas question par exemple de s’endormir dans le canapé devant la télé ou de consulter des écrans juste avant l’endormissement. Et puis, il y a le timing, un pilier souvent négligé mais important car nous avons toutes et tous un rythme biologique en partie encodé de manière génétique et il faut vivre en harmonie avec ce rythme."

Bref, n’hésitons pas à réclamer le droit à faire la sieste au travail, mais sans en abuser. Là-dessus, je me demande s’il ne serait pas temps d’aller méditer un peu dans mon canapé…

Inscrivez-vous à la newsletter Tendance

Mode, beauté, recettes, trucs et astuces au menu de la newsletter hebdomadaire du site Tendance de la RTBF.

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous