Au sein des Kerels courtraisiens, il campe le puncheur-passeur : dans la forme de sa vie, il sort pourtant d’une période noire. Il évoque Teddy Teuma, le petit pont, Robert Pires, le Ronaldo brésilien, l’arrogance cuir au pied, Zizou et la passion de Luka Elsner. Mais aussi l’OM, le racisme, Fortnite, la Coupe d’Afrique des Nations, Raymond Goethals, un but lobé du rond central, Clinton Mata et les pénos-Panenka. Et forcément… les cœlacanthes. Faïz Selemani passe " Sur le Gril ".
A Courtrai, on entend presque les cigales. Avec son accent marseillais qui met du soleil dans chaque phrase, Faïz Selemani aligne les buts (6) et les assists (4), en ce début de saison-canon qui place son KVK aux approches du top 5. A 27 ans, le Franco-Comorien touche les premiers dividendes d’une carrière en dents de scie.
" C’est vrai que la Flandre, ça change de Marseille… mais j’aime bien " sourit l’attaquant des Kerels. " Les gens ici sont carrés mais chaleureux : les supporters m’ont fort manqué pendant ces longs mois de huis clos, c’était carrément l’horreur de jouer dans des stades vides. Le foot, c’est du partage ! Mais dès que j’ai l’occasion, je redescends sur Marseille voir ma mère et mes proches. Et j’en profite pour filer au Stade-Vélodrome ! Mon cœur, c’est l’Olympique de Marseille : je rêve toujours d’y jouer un jour ! Pourquoi ne pas rêver ? (clin d’œil) Le PSG ? Pas question ! Jamais ! Même si, dans un monde idéal, on m’y propose un contrat ! Et puis, si le PSG me convoite, ça voudrait dire que j’ai aussi le niveau de l’OM, non ? (rires)
Et d’ajouter avec un brin de mauvaise foi : " Tout ce qu’on a dit sur les années Tapie et les matches arrangés, ce sont des trucs de jaloux ! (clin d’œil) Raymond Goethals ? C’est qui ? Ah oui, le Belge qui nous a amené la Ligue des Champions… Moi, je suis plutôt des années Gerets. "
"Souvent, les clubs n’en ont rien à foutre de nos rêves…"
Faïz Selemani vit actuellement sur son petit nuage : libre de contrat en fin de saison, il vient de prolonger à des conditions qui, dit la rumeur, ferait de lui… le plus gros salaire de l’histoire du KVK. Mais il sort surtout de longs mois de galère.
" Le plus gros contrat du club ? Je ne sais pas, je ne connais pas le salaire des autres (clin d’œil). Mais il était temps que ce cauchemar se termine : je vivais avec… 1.300 euros par mois. Avec une femme et un enfant à charge, c’était juste l’enfer. Car depuis que j’ai perdu en justice le litige avec mon ex-club, l’Union Saint-Gilloise, on prélevait chaque mois sur mon salaire de quoi payer les indemnités (NDLA : 520.000 euros…). J’ai découvert le côté obscur du foot, qui n’est qu’un monde d’argent. On m’avait promis à l’Union de me laisser partir en fin de saison 2019… Puis les dirigeants ont mangé leur parole et ont bloqué mon départ… alors qu’il avait des offres concrètes de Caen et de Courtrai. Les supporters saint-gillois m’en ont voulu et m’ont traité de Judas… Mais la vraie version, c’est que des promesses m’ont été faites et n’ont jamais été tenues. En fait, les clubs n’en ont rien à foutre de nos rêves ! (sic) Mais cet épisode va me servir : j’étais un Bisounours, perdu dans un gros business. Maintenant, c’est fini ! "
S’ensuit alors le mémorable épisode de la vidéo tournée par Selemani au Centre d’entraînement unioniste à Lierre. Des vigiles empêchent le Franco-Comorien de pénétrer sur le site, la police est alertée : le joueur filme tout et poste la vidéo sur les réseaux sociaux.
" C’était de la folie : je n’ai frappé, ni insulté personne, et on me traitait comme un pestiféré ! Les autres joueurs étaient présents, ils peuvent témoigner… Mais je ne veux plus en parler. J’ai tout donné pour ce club que j’adorais et dont les supporters sont formidables. J’ai encore des contacts avec des joueurs de l’époque, notamment mon grand pote Teddy Teuma. Ca m’a fait du mal d’être chahuté par le stade quand j’y suis revenu avec Courtrai. Mais je comprends : les supporters ne savent pas tout… Aujourd’hui, je suis très bien à Courtrai. Une clause de départ dans mon nouveau contrat ? Euh non, on n’a rien mis par écrit… On s’est dit avec les dirigeants que, si en fin de saison, une offre satisfaisait toutes les parties, on trouverait bien une solution. Ca y est, j’ai encore été naïf ! " (Il rigole)
"Luka Elsner a fait de moi une bonne personne"
Celui que les folkloriques supporters unionistes surnommaient parfois… Salami (!) a retrouvé à Courtrai Luka Elsner : celui qui avait fait de lui le meilleur attaquant de D1B, en duo avec Percy Tau. Même si le Franco-Slovène a depuis rallié Sclessin… avec dès samedi, des retrouvailles au programme !
" Luka est le meilleur entraîneur que j’ai connu dans ma carrière : c’est un vrai passionné de tous les sports, il ne laisse rien au hasard. Il a fait de moi un meilleur joueur… et surtout une meilleure personne. Car à l’époque, j’avais tendance à m’énerver pour des broutilles. Il m’a beaucoup parlé, il m’a présenté un préparateur mental : aujourd’hui, je ne suis plus le même homme, je n’ai plus de colère en moi. A Courtrai, on a été surpris par le départ de Luka au Standard, car on n’a rien vu venir… mais je respecte son choix. Et puis… peut-être qu’il va me recruter au Standard ! (Il éclate de rire) Non, je rigole ! Samedi à Sclessin, je ferai le job pour Courtrai… mais si je marque, j’aurai un petit pincement au cœur pour Luka. " (clin d’œil)
Passé sous la férule de Karim Belhocine, le successeur d’Elsner, Faïz Selemani reste libre de développer son jeu d’improvisation, depuis son flanc gauche fétiche. Un jeu imprégné de la juste touche… d’arrogance.
" Cela fait partie du foot de chercher son adversaire, on est aussi là pour faire le spectacle. J’adore les passements de jambes et les petits ponts… même si je sais que ça énerve les défenseurs en face. Mais je ne dois pas essayer avec Clinton Mata : lui, c’est vraiment le meilleur en Belgique ! Y a intérêt aussi à ce que mes petits ponts fonctionnent… sinon c’est le coach qui m’engueule ! (rire) Mon rêve, c’est de marquer un but lobé depuis le centre du terrain : j’ai essayé en Equipe Nationale contre le Maroc… et ça a presque marché ! (clin d’œil) Avec Teddy Teuma, du temps de l’Union, on avait vu sur YouTube le pénalty marqué en deux temps par Johan Cruijff avec les Pays-Bas. On s’est alors dit : ‘Au prochain péno en match, on le fait !’ C’est arrivé, on s’est regardés… et on l’a fait, sans jamais avoir répété ! Le coach râlait après-coup… mais on avait réussi ! (Il éclate de rire) Mais c’est vrai que Thierry Henry et Robert Pires avaient raté avec Arsenal… Contre Genk aussi, en Coupe, je fais la Panenka lors des tirs au but : un joueur de Genk avait fait pareil juste avant, et ça m’avait énervé... Du coup, le stade a explosé et on était qualifiés ! Quel souvenir ! "
"Fier de porter ce maillot des Comores"
Grand fan de Ronaldo (" Mais R9, le Ronaldo brésilien ! ") et forcément de Zizou le Marseillais, Selemani a grandi sous les cigales du Midi… Mais sportivement, il défend les couleurs des Comores. Classement FIFA : 132e, entre le Turkménistan et le Rwanda. Emblème : le… cœlacanthe.
" Le cœlacanthe est un petit poisson très ancien, qui ressemble à un dinosaure… Non, ça ne se mange pas : c’est une espèce protégée ! (Il rigole) Je n’avais jamais vu mon pays avant d’être appelé en Sélection, mais j’y ai été accueilli comme un roi : quel engouement ! Je suis très fier de porter ce maillot : aux Comores, les conditions de vie sont très dures, alors si on peut apporter un peu de joie… D’ailleurs, pour la toute première fois de notre Histoire, on s’est qualifiés pour la Coupe d’Afrique des Nations (NDLA : en janvier prochain, dans une poule avec le Maroc, le Ghana et le Gabon), et on compte bien jouer notre carte à fond. Je ne parle pas la langue, mais dès que je retourne chez ma mère, elle me fait le plat national. Du riz et du poulet… mais avec des assaisonnements qu’on ne retrouve que là-bas : c’est trop bon ! Un rappeur local a même fait une chanson à mon nom (Il commence à chantonner…) et tout le public suit… Wow ! "
En cette période qui marque aussi le retour de certains débordements supporters en Pro-League, Selemani regrette certains dérapages.
" J’ai subi une fois le racisme, avec l’Union à Malines : un type a commencé à me lancer des cris de singe, j’étais stupéfait mais ça n’a pas impacté ma prestation. Ce sont vraiment des imbéciles qui font ça… alors qu’ils ont des joueurs black dans leur propre équipe ! Je ne sais pas si on pourra changer ça un jour, mais il faut aller plus loin que les petites campagnes qu’on mène actuellement : il faut sanctionner plus sévèrement. Un joueur comme Mboyo avait tenu tête à des supporters, et je trouve ça très bien. Pelé est comme mon grand frère : il pense de qu’il dit et il dit ce qu’il pense, il est toujours cash. C’est ce qui manque dans le monde du foot : des gens cash, des joueurs cash, des dirigeants cash. Moi, je n’aime pas les gens qui tournent autour du pot ou qui font de fausses promesses : je préfère qu’on me dise les choses en face… même si on n’est pas du même avis. C’est comme la critique : si j’ai été nul, je n’ai aucun problème à ce qu’on me le dise… à condition que ce soit argumenté. D’ailleurs, si je suis nul, je suis le premier à le savoir et à le reconnaître. " (sourire)
"Je vise le top !"
Showman sur le terrain, grand amateur de jeux vidéos (" A l’Union, on se faisait des séances de Fortnite jusque tard la nuit avec Teddy Teuma et Roman Ferber, ça m’a d’ailleurs causé des soucis de couple, tellement j’y jouais… " rigole-t-il), Selemani n’a plus de souci pour boucler ses fins de mois. En attendant, à 27 ans passés, de poursuivre peut-être sa carrière plus haut ?
" Je suis très bien à Courtrai, et je remercie le club pour son soutien dans ces mois difficiles. Après, on verra ce qui se passera…. Jouer dans un club du top belge ? Pourquoi pas ? Bruges, Anderlecht, Gand, Genk, Anvers, le Standard : ce sont tous de grands clubs, non ? (clin d’œil) On verra en temps utile… et j’irai au plus offrant ! (Il éclate de rire) Non, n’écris pas ça ! C’était juste pour déconner… "
Sans dec ?