Justement, à la RTBF, la diversité est inscrite comme un objectif dans le contrat de gestion. Pourtant, l’entreprise peine à diversifier son équipe de journalistes et les stéréotypes perdurent, comme quand Sara Brarou raconte ses premiers jours de stage à la rédaction du JT. "Le nombre de fois où des personnes passaient à côté de moi et me disaient : 'Ah tu es nouvelle ? Tu n’es pas chez Tarmac ?'".
Salwa Boujour est assez critique quant à la manière dont la RTBF essaie de diversifier ses équipes ; elle observe ce qu’elle appelle une "ghettoïsation". "La politique de diversité de la RTBF n’est pas optimale sur le terrain. On va inclure les personnes issues de la diversité, on va les engager mais on va les mettre dans certaines rédactions comme Tarmac ou Tipik. Les rédactions traditionnelles vont rester blanches. C’est un drôle de message qu’on envoie : les personnes racisées ne peuvent pas traiter l’information d’intérêt général ? Elles ne peuvent parler qu’aux jeunes publics ? La RTBF n’est pas la seule à faire ça, BX1 le fait aussi avec l’émission Rapologie, par exemple. Mais la RTBF jouit d’une grande audience, elle doit être exemplaire".
À la RTBF, une donnée supplémentaire est à prendre en compte : l’examen d’entrée des journalistes. Tous les trois ans environ, la rédaction organise un concours en plusieurs étapes éliminatoires. Les personnes qui réussissent ce concours peuvent travailler en tant que journaliste-pigiste et peut-être un jour, comme salarié. Cet examen comporte des critères d’entrée (comme un diplôme universitaire ou une expérience en tant que journaliste) et il laisse sur le carreau pas mal de journalistes. Sara Brarou en a fait l’expérience en 2021. Après un stage et quelques mois de piges, elle tente le concours. Elle échoue à la première étape : un QCM de culture générale et d’actualité (vous pouvez retrouver les questions des examens de 2021, 2018 et 2015).
"Ce QCM, il est fait pour les gens comme toi, qui sont blancs avec des parents blancs. Moi j’ai grandi à Bruxelles mais dans une culture flamande et marocaine. Je parlais arabe à la maison, je n’ai pas baigné dans cet univers que j’appelle 'belgo-belge', je n’ai pas été au Patro ou aux Scouts, je n’ai pas grandi avec la culture de la bière, … Et à l’examen, il y avait, par exemple, une question sur un événement folklorique de Bruxelles ou encore un bâtiment très précis à Liège. Je pense que dans mes résultats, tout ce qui était info internationale et nationale, j’ai géré. Je comprends complètement qu’on attend de moi que je connaisse un minimum de choses sur la culture belge et locale mais là, je pense que c’est un peu disproportionné".
Pourtant, Sara fait partie de ces profils qui ont "quelque chose en plus" que la majorité des journalistes blancs : une double voire une triple culture et les connaissances en langue qui l’accompagnent. Sara parle couramment le néerlandais, l’arabe, le français, l’anglais et se débrouille même en japonais. "En août 2021, quand il y a eu la chute de Kaboul, j’ai trouvé des témoignages d’afghans qui habitent en Flandre. C’est moi qui ai géré les ¾ des interviews en flamand et en arabe. Une autre fois, on avait reçu des images en japonais et j’ai été capable de les découper au bon endroit ".
Ses compétences, Sara les met aujourd’hui à profit ailleurs à la RTBF : elle est "social editor" pour plusieurs comptes d’info à destinations des Nouvelles générations (Mise à jour, Story Privée, Spit, OUFtivi, Les Niouzz, Rocky & Lily). "J’arrive à apporter ma plus-value journalistique avec l’équipe de Mise à jour (ndlr : l’équipe comprend deux journalistes et une social editor). Pour le ramadan, on a choisi de faire une vidéo pour se moquer gentiment de toutes les réflexions que font les blancs aux musulmans. On voulait sortir du classique 'Qu’est-ce que le ramadan ?'. Quand je suis allée à la salle de sport le lendemain, il y avait un gars, un Marocain, qui a commencé à me parler et à me montrer la vidéo alors qu’il ne savait pas que je travaillais pour ce compte. Il était trop content que la RTBF ait produit une vidéo sur le ramadan qui sortait des clichés et de la vision blanche habituelle. Une vidéo qui lui parlait à lui, sans préjugé".