À l’occasion de la sortie en salle mercredi 14 décembre dernier de son nouveau long métrage, "Les Huit Montagnes", on a eu la chance de discuter avec l’un des plus grands réalisateurs belges du Nord du pays, Felix Van Groeningen. L’homme derrière les chefs-d’œuvre que sont "La Merditude des choses", "The Broken Circle Breakdown", "Belgica" ou encore "My Beautiful Boy", nous revient avec une histoire d’amitié entre deux garçons, l’un montagnard et l’autre citadin. Quatre saisons d’une relation sur plusieurs années, magnifiées par la toute-puissance d’un troisième protagoniste singulier, la Montagne.
On a parlé de son rapport à la musique dans son cinéma et on est revenu un instant sur sa collaboration avec les Frères Dewaele sur le film "Belgica", sorti il y a déjà quelques années maintenant, et qui soulignait déjà tout le génie et la créativité des deux frangins.
Hello Félix ! Quel rapport entretiens-tu dans ton cinéma avec la musique ?
J’aime beaucoup utiliser la musique dans mes films, ça prend une place assez importante. Dans deux de mes films, The Broken Circle Breakdown (2012) et Belgica (2016), la musique fait partie intégrante de l’histoire. Entre-temps, j’ai fait deux films où j’ai également utilisé pas mal la musique, de façon assez importante mais d’une manière différente : je n’ai pas composé la musique pour les deux derniers films mais j’ai travaillé avec celle déjà existante.
Pour "Les Huit Montagnes", on a choisi la musique de Daniel Norgren. Au départ on lui avait demandé s’il était d’accord de composer la musique pour le film et il n’a pas voulu donc on a utilisé la musique de ces 5 disques. C’était très libérateur de savoir qu’il n’y avait que ce matériel-là avec lequel on allait travailler, qu’on savait qu’on fonctionnerait qu’avec ça et que ça marcherait. Ça donnait au film une certaine fraîcheur et une originalité.
Qu’est ce qui t’a touché, ému dans la musique de Daniel Norgren ?
Il y a plein de raisons qui font que ça match : l’atmosphère par exemple qui pour moi retranscrit l’âme du film sans qu’on le sache à l’avance. Daniel est Suédois, il habite loin de la ville, il s’inspire de la nature, il va faire de longues promenades, il enregistre des sons pour après en faire des morceaux… Ce sont des thématiques totalement liées au film.
Il a aussi une voix incroyable qui est très "haute", aiguë pour une voix d’homme, qui peut s’apparenter à une voix d’ange… Ça a quelque chose de très fragile et vulnérable. Il a ce je-ne-sais-quoi très juste qui colle parfaitement à notre histoire.
Dans "Les Huit Montagnes", j’ai l’impression que la musique à une place plus secondaire, voire presque accessoire… Comme si le décor prenait assez de place pour ne pas ajouter trop de musique… Tu es d’accord avec ça ?
Si tu le sens comme ça… (rires). Je pense pourtant que la musique y a quand même une place assez grande… Il y a des gens qui ont trouvé que dans My Beautiful Boy (2018) il y en avait trop. Peut-être qu’ici c’est plus "dans" l’histoire, ça ne l’accompagne pas et ça fonctionne pour moi. Ça reste mystérieux le pourquoi ça match et c’est ça que j’aime bien. Dans le film il y a quatre ou cinq très grandes chansons de Daniel utilisées à des endroits où ça ne devrait pas nécessairement fonctionner… et c’est ça qui est fascinant aussi.
On ne s’est pas consciemment dit "tiens, on devrait en mettre un peu moins", je pense qu’il y a des moments justement ou ça prend quand même de la place. Juste sur la fin, je me souviens qu’on a décidé d’enlever des morceaux parce qu’on s’est dit que ça pourrait être de trop et on ne voulait pas avoir ce sentiment.
En 2016, sortait le film "Belgica", référence au nom d’un bar de Gand dans le film. Je pense que c’est d’ailleurs inspiré d’une histoire de famille, c’est ton papa qui tenait un café là-bas aussi ?
Oui mon Papa a commencé le café "Charlatan" en 89 et l’a revendu en 2000 à deux frères. Donc le film, c’est une combinaison de l’histoire de ces frères, d’histoires que j’ai vécues et de mémoires de café.
Un film construit autour de la musique, où celle-ci est omniprésente. Tu as décidé de t’entourer des frères Dewaele pour la bande-son du film, c’était une évidence pour toi ?
Oui, ça devait être avec eux. Je leur en ai parlé dès le début. J’avais déjà travaillé avec eux sur mon premier long métrage et puis je les connais depuis toujours, ce sont des amis. Ils ont accepté directement et ça a été une collaboration fantastique.
La musique dans le scénario était omniprésente, on cherchait à montrer comment on évolue d’un petit bar à une discothèque, de concerts live à de la musique techno et électronique. On avait déjà cette idée d’évolution mais eux, ils ont dit "ok, chaque morceau qu’il y a dans le film, chaque groupe, on veut les créer, on ne veut pas travailler avec des groupes existants. On veut avoir l’idée et tout créer. " C’était un échange fabuleux et beaucoup de plaisir.
J’ai vraiment pu sur cette expérience sentir leur créativité en tout, je ne l’oublierai jamais.
Comment s’est construit le film ? Ont-ils participé au processus de construction dès le scenario ?
Ça s’est construit petit à petit, ils ont aimé et compris l’idée et à sa concrétisation ils ont commencé à travailler. Ça a pris énormément de temps car ils ont dû tout préparer avant le tournage du film et ils ont également retravaillé toute la musique par la suite pour en faire un disque.
T’arrive-t-il encore de collaborer, de faire appel à eux et leurs conseils ?
Oui mais ils sont toujours super occupés (rires) ! Mais quand on a leur attention ça va facilement. Ils ont de l’énergie pour tant d’autres projets que ce n’est pas sûr de les attraper. Donc je dirais que oui, ça m’arrive encore de leur demander conseil mais ce n’est pas la chose la plus facile.
"Topical Dancer", l’album de Charlotte Adigéry et Bolis Pupul est classé par la presse nationale et internationale parmi les meilleurs albums de 2022. Je sais qu’ils se sont rencontrés sur le tournage de Belgica. Qu’est-ce que ça t’inspire ce genre de nouvelle ?
Oui ce sont les frères Dewaele qui ont fabriqué ce groupe, "The Shitz"…Ah non attend, Charlotte arrive à la fin elle, dans un autre groupe encore… (rires), je confonds !
…Mais oui c’est beau ! Mais c’est Stephen et Dave qui les ont produits, supportés et c’est grâce à eux qu’ils travaillent ensemble. Ils font totalement partie du succès.
C’était évident de choisir le cinéma pour toi plutôt que la musique ? Toi qui as baigné dans ce monde, qu’est ce qui t’a poussé à choisir cet art-là plutôt que l’autre ?
Non je n’ai jamais eu le talent pour la musique. Je pense avoir vécu longtemps avec ce rêve de faire de la musique mais je ne suis jamais arrivé à bien jouer quelque chose, à être DJ. Et puis ma vie était plutôt dans le visuel, très jeune je fabriquais des histoires, j’aimais beaucoup la photo. Je me suis dirigé vers le visuel plutôt que de m’obstiner à trouver ma voie dans la musique.
Est-ce que tu suis encore ce qui se passe sur la scène musicale Gantoise ? Est-ce que tu es toujours proche de l’émulation artistique de ta ville d’origine ?
Non malheureusement, peut-être quand dans le futur un peu plus mais je suis parti de Gand depuis longtemps. J’ai habité à Anvers, puis avec mes films je suis longtemps parti à Los Angeles, avec le dernier film en Italie… Mais là j’ai déménagé et j’espère me rattacher un peu à ma ville natale.