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Féminicides : en Espagne, 4 femmes tuées en seulement 24 heures la première semaine de l’année

Sur un mur, en plein centre de Barcelone, des militants ont inscrit le nom des 49 femmes assassinées en Espagne en 2022.

© Henry de Laguérie

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Par Henry de Laguérie avec Maurizio Sadutto

Un constat à la fois dramatique et inquiétant : depuis plusieurs semaines, l’Espagne fait face à une recrudescence des féminicides. Après un mois de décembre noir qui s’est soldé par 12 assassinats, 4 femmes ont été tuées en seulement 24 heures la première semaine de l’année. L’Espagne a fait de la lutte contre les violences de genre une priorité nationale mais en dix ans, le nombre d’assassinats n’a presque pas baissé et c’est tout un pays qui s’interroge.

Je me suis levée, j’ai séché mes larmes et je me suis dit que c’était terminé et que je devais sortir de là !

Sur un mur, en plein centre de Barcelone, illustré en en-tête de cet article, des militants ont inscrit le nom des 49 femmes assassinées en Espagne en 2022. Bientôt, il faudra donc ajouter Eva-María, Hayate, Belén et Nina, les premières victimes de 2023.

Irene Lopez, qui se définit comme une survivante raconte : "Je le revis à chaque fois. Et je m’identifie à ces femmes assassinées ces derniers jours."
Irene Lopez, qui se définit comme une survivante raconte : "Je le revis à chaque fois. Et je m’identifie à ces femmes assassinées ces derniers jours." © Henry de Laguérie

Irene Lopez se présente comme une survivante. Elle aurait pu faire partie de cette liste macabre. Pendant des années, elle a vécu sous l’emprise d’un mari violent : "Je le revis à chaque fois." confie-t-elle, "Et je m’identifie à ces femmes assassinées ces derniers jours. Ça me glace le cœur dès que j’apprends ces tristes nouvelles."

Comme beaucoup de victimes, Irene s’est sentie coupable pendant longtemps : "J’ai tenu et supporté tout cela par manque d’estime de moi-même. C’est ce qui m’a conduit à quémander de l’amour autant d’années. Ça a été très dur, jusqu’au moment où j’ai eu un déclic. Et finalement, je me suis levée, j’ai séché mes larmes et je me suis dit que c’était terminé et que je devais sortir de là !"

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Si ce genre de drames continue de se produire, alors quelque chose ne fonctionne pas bien.

Dans un pays pionnier en Europe dans la lutte contre les violences machistes, cette vague de féminicides interroge et fait la une de l’actualité. Le Ministre de l’Intérieur a réuni une cellule de crise avec toutes les polices du pays.

Pour la porte-parole du gouvernement, Isabel Rodriguez, la situation est préoccupante : "Si ce genre de drames continue de se produire, alors quelque chose ne fonctionne pas bien. Il est de notre devoir de réviser tous les protocoles." Parmi les pistes explorées : un recours beaucoup plus systématique au bracelet électronique pour les hommes violents et ce, dès le dépôt d’une plainte.

On ne peut pas se décourager ! Ça doit nous donner plus de force. Il faut persévérer.

Francisca Verdejo est juge au tribunal spécialisé dans les violences de genre de Barcelone, une juridiction unique en Europe.
Francisca Verdejo est juge au tribunal spécialisé dans les violences de genre de Barcelone, une juridiction unique en Europe. © Henry de Laguérie

Francisca Verdejo est juge au tribunal spécialisé dans les violences de genre de Barcelone, une juridiction unique en Europe. Ce rebond des assassinats n’invalide pas la stratégie de l’Espagne : "On ne peut pas se décourager !", martèle la juge. "Ça doit nous donner plus de force. Il faut persévérer : je suis convaincue qu’on est sur le bon chemin. Je continue de penser que notre loi intégrale contre les violences de genre adoptée en 2004 est une référence internationale."

Mais la magistrate, expérimentée et aguerrie le concède, chaque féminicide est un échec pour toute la société : "On ressent de la frustration, de la rage et de l’impuissance de ne pas avoir pu intervenir avant et éviter que ces femmes soient lâchement assassinées."

L’Espagne est un pays qui protège l’intégrité de la femme.

Ouvert il y a 3 mois, le restaurant She Bistro à Barcelone fait travailler des femmes victimes de violence. Malgré les derniers assassinats, le modèle espagnol obtient des résultats, explique Ana. Employée en cuisine, cette jeune maman colombienne a été battue par son mari. Elle bénéficie aujourd’hui d’une protection de l’État, comme près de 55.000 femmes en Espagne : "Les autorités ont toujours été là. Elles m’ont dit qu’en tant que femme maltraitée j’avais des droits, que je pouvais réclamer des aides, que je pouvais étudier… J’ai toujours été très bien informée. L’Espagne est un pays qui protège l’intégrité de la femme."

Aujourd’hui encore, Ana est suivie et accompagnée par des professionnels. Et elle se reconstruit dans ce restaurant, devenu un refuge parmi tant d’autres dans un pays entièrement mobilisé contre la violence faite aux femmes.

Sur le même sujet : extrait du JT du 13/01/2023

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