Guerre en Ukraine

Fermeture des ports européens aux bateaux russes : quels enjeux pour l’Union européenne ?

L’Union Européenne va-t-elle fermer ses port(e) s aux bateaux russes ?

© FRANCOIS LO PRESTI / AFP

Par Arthur Parzysz

Malgré les sanctions déjà prises par l’Union européenne contre la Russie, les bateaux russes ne sont pas encore sujets à une interdiction d’entrée dans les ports européens. Alors que les 27 se sont dits prêts à sanctionner de nouveau l’ogre russe, quels enjeux représenterait une telle mesure pour l’Union européenne ?

Le 28 février dernier, le Royaume-Uni prenait la décision d’interdire dans ses ports les navires battant pavillon russe ou détenus par toute personne liée à la Russie. Cette interdiction, décidée par les Secrétaires d’État aux transports et affaires étrangères Grantt Shapps et Elizabeth Truss, faisait partie d’un nouveau paquet de sanctions destiné à "restreindre les intérêts économiques de la Russie". Surtout, elle faisait suite à l’appel du Président Ukrainien Volodymyr Zelensky à interdire la Russie de "tous les ports" et "aéroports du monde" en représailles à l’invasion de l’Ukraine.

Bien que le Parlement européen ait voté une motion non contraignante appelant, notamment, à la fermeture des ports européens aux navires russes, la Commission et le Conseil, de leur côté, rechignent pour l’instant à prendre une telle mesure. Pourquoi ? Tentatives de réponses.

 

Contrairement à ce que l’on peut penser, la Russie ne représente donc pas une grande force de transport maritime.

La recherche d’un impact proportionnel

Début mars, une source gouvernementale française confiait à l’agence de presse Reuters que l’Union Européenne travaillait "sur des sanctions supplémentaires contre la Russie" et que la fermeture des ports aux bateaux russes était une possibilité, avant de préciser que toute nouvelle mesure devait impacter le pays visé "proportionnellement beaucoup plus" que les économies de l’Union. C’est peut-être justement cette recherche de proportionnalité qui a retenu l’UE d’agir jusqu’ici.

Car en termes de poids total de marchandises, la Russie était, devant le Royaume-Uni et les États-Unis, le premier partenaire de l’UE en matière de transport maritime au deuxième trimestre 2021. Ainsi, selon Eurostat, les échanges de l’UE avec la Russie ont représenté 14% du total du transport maritime extracommunautaire à cette période. La Russie possède donc une part importante dans la tarte européenne des échanges maritimes. Une telle restriction aurait donc aussi ses conséquences sur l’économie du continent.

A contrario, "le transport de containers pour la Russie ne représente qu’1.5% du commerce mondial", explique Bart Jourquin, ingénieur commercial et docteur en économie (UCLouvain). "Contrairement à ce que l’on peut penser, la Russie ne représente donc pas une grande force de transport maritime. Il n’est donc pas sûr qu’une telle mesure leur fasse vraiment mal", analyse-t-il.

Cette situation, qui s’explique en partie par le fait que plus de la moitié de la marine marchande soviétique est restée dans d’autres pays (dont l’Ukraine) à l’effondrement de l’URSS, est aussi accentuée par le fait que "près de 60% du transport maritime russe consiste en du cabotage, c’est-à-dire des bateaux qui vont de ports russes en ports russes", ajoute Bart Jourquin.

La recherche d’un consensus

En termes de commerce avec la Russie, "le poids d’une telle décision ne serait pas le même pour tous les États-membres européens non plus", analyse Louis le Hardÿ de Beaulieu, professeur à l’Institut de sciences politiques Louvain-Europe. À cet égard, l’Allemagne pourrait être fortement touchée, elle qui a eu comme premier partenaire commercial maritime la Russie en 2021. L’an passé, ce sont ainsi plus de 24 millions de tonnes de marchandises que les deux pays ont échangées via la mer. Cela représente 9% du total des marchandises qui arrivent dans les ports allemands. "Il est donc clair que pour certains pays, la mesure peut paraître plus sensible que pour d’autres".

Sur ce dossier cependant, et à l’image du Royaume-Uni, "un État-membre pourrait agir seul", nuance celui qui est aussi membre de l’Académie Royale de Marine de Belgique. "Mais une telle mesure a bien sûr plus de poids si elle est prise au niveau européen. Au sein du Conseil, on préférera donc certainement attendre que la pression devienne trop grande pour que tout le monde soit d’accord de prendre la décision. De manière à éviter de fragiliser le consensus actuel qui reste fragile."

L’Europe est dépendante de la Russie pour le gaz et le pétrole

La recherche d’autonomie énergétique

"Par contre, nuance Bart Jourquin, s’il y a un segment dans lequel une interdiction d’entrée dans des ports pourrait vraiment faire mal aux Russes, c’est dans le domaine énergétique. Mais cela voudrait dire qu’on déciderait d’arrêter les tankers russes. Or, l’Europe est dépendante de la Russie pour le gaz et le pétrole." Manière de dire que l’Europe pourrait ainsi se tirer une belle balle dans le pied.

Car si, au troisième trimestre de 2021, 77% des importations de gaz européen transitaient par gazoduc, les 23% restants étaient fournies sous forme de gaz naturel liquéfié transporté par bateau. Ensuite, même si une partie du pétrole russe transite vers l’Europe dans des pipelines, l’organisation "Transport & Environment" avance qu’"environ 70 à 85% du pétrole brut importé de Russie est expédié à partir de ses ports occidentaux sur la mer Baltique et la mer Noire et, en plus petits volumes, à partir de ses terminaux dans l’Arctique […]".

Un problème qui ramène donc, une fois de plus, à la dépendance énergétique européenne vis-à-vis de la Russie. Dépendance contre laquelle la Commission souhaite lutter, en réduisant de 2/3 sa dépendance au gaz russe d’ici la fin 2022 et en devenant indépendant de tous les combustibles fossiles russes "bien avant 2030". C’est en tout cas ce qu’elle a annoncé le 9 mars.

La recherche de clarté

Reste enfin la question de la mise en œuvre d’une interdiction d’entrée pour les navires russes. Si du côté de la Commission européenne, on nous dit que la prise de cette sanction ne serait pas quelque chose d’"extrêmement compliqué", sa mise en place pourrait représenter "une grande quantité de travail", explique Louis le Hardÿ de Beaulieu. Des difficultés qui se sont déjà vues au Royaume-Uni où, quelques jours après la décision gouvernementale, les opérateurs portuaires britanniques ont exprimé leur inquiétude de ne pas avoir reçu de liste précise des vaisseaux russes à refuser. Leur crainte principale ? Laisser entrer un navire par erreur ou créer un conflit contractuel en se trompant dans son filtrage.

"Pour être efficace, il faut alors une vision très claire de ce qu’on veut atteindre avec nos sanctions et posséder une liste des navires visés, conclut Louis le Hardÿ de Beaulieu. Si tel n’est pas le cas, on renvoie alors la responsabilité aux autorités portuaires. Dans tous les cas, ça ne reste pas simple car il peut y avoir un écran sur l’identité juridique des bateaux. Un bateau peut très bien battre pavillon sous un certain drapeau, mais être la propriété d’une entreprise d’un autre pays. Donc c’est possible, mais ça demande une grande quantité de travail…"

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