Cinéma

Festival Pink Screens : “Lingua Franca”, tout en retenue

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Présenté en ligne par le festival Pink Screens, le troisième long-métrage d'Isabel Sandoval met en scène l'expérience d'une femme trans avec une remarquable sensibilité.

Il y a une grande retenue dans l'approche d'Isabel Sandoval. Si grande qu'on ne réalise pas immédiatement les enjeux anxiogènes qui se jouent dans son nouveau film "Lingua Franca". Lorsqu'on rencontre sa protagoniste, Olivia (incarnée par la réalisatrice elle-même), celle-ci semble mener une existence relativement paisible : elle vit dans l'appartement new-yorkais d'une femme âgée souffrant de démence, dont elle prend soin avec une touchante bienveillance. Ce n'est qu'après un certain temps qu'on apprend qu'Olivia, qui est originaire des Philippines, vit dans une peur constante d'être déportée. Progressivement, on apprend également qu'elle est une femme transgenre, qui préfère ne pas le crier sur tous les toits dans l'Amérique de Trump (le film a été produit en 2019).

Si ces éléments mettent un certain temps à faire jour, c'est parce qu'Isabel Sandoval préfère d'abord mettre l'accent sur d'autres aspects de sa personnalité. La situation précaire qui est la sienne joue évidemment un rôle majeur dans la narration (une anxiété diffuse traverse le film), mais le personnage existe aussi indépendamment de son genre et de ses origines. Femme désirée et désirante que la caméra n'objectifie jamais, elle est un personnage complexe que le film approche avec une remarquable nuance, révélant avec douceur les différentes facettes de sa personne.

Comme plusieurs critiques trans n'ont pas manqué de le souligner, "Lingua Franca" est une belle démonstration de l'intérêt et de l'importance que présente le regard d'une personne concernée par son sujet. La manière d'aborder la relation naissance entre Olivia et et Alex (Eamon Farrenun), le petit-fils de la dame dont elle s'occupe, un jeune homme cis tendre et irresponsable, en témoigne. Entre les mains d'autres cinéastes, leurs rapports aurait probablement donné lieu à quelques éclats dramatiques, mais ce qui se joue ici est infiniment plus subtil et imprévisible.

Cette retenue est sans doute l'atout majeur de "Lingua Franca", mais c'est aussi sa plus grande limite : à force d'esquiver le suspense et le mélodrame, le long-métrage manque un peu de puissance émotionnelle. N'en reste pas moins que le film parvient à saisir l'expérience de sa protagoniste avec une remarquable délicatesse. Filmée tantôt avec une distance qui souligne sa solitude, tantôt à fleur de peau, pour mieux capturer son ressenti, Olivia existe pleinement dans l'œil de la caméra : anxieuse, charnelle, lasse, craintive, complexe.

 

"Lingua Franca " est à découvrir sur Sooner jusqu'au 18 avril.

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