Economie

Flambée des prix : nos petits-déjeuners sont-ils devenus impayables ?

© Getty Images

Par Michel Gassée

L’odeur envoûtante du pain grillé au saut du lit, l’arôme du café, le grésillement des œufs au plat, sans oublier la fraîcheur d’un jus d’orange tout juste pressé… Le petit-déjeuner – quand on a le temps de le préparer – est un festival de sensations mais avec une inflation record, il devient de plus en plus coûteux de se l’offrir, même chez soi. Toutes ses composantes ont augmenté au cours des douze derniers mois.

+22% pour le pain et les céréales

Commençons par le roi de la table : le pain. Son prix a augmenté de 15% entre avril 2022 et avril 2023, selon les chiffres de l’office belge de statistique Statbel. Baguette à l’ancienne, pain au levain, pain complet, pain de campagne, multicéréales, aucune spécialité n’échappe à l’envolée des prix. Idem d’ailleurs pour les pâtisseries et les viennoiseries. "Nous n’avions pas le choix, explique Albert Denoncin, président de la Fédération francophone de la boulangerie-pâtisserie-confiserie chocolaterie glacerie, entre l’envolée des prix de nos matières premières (farine, sucre, beurre, crème, etc.), l’indexation des salaires, l’envolée spectaculaire des prix de l’énergie en 2022, mais aussi des prix du carton d’emballage ou des assurances, etc."

Baisse du ticket moyen dans les boulangeries-pâtisseries

Les clients ont réagi. Certains, sans doute, en consommant plus de céréales au petit-déjeuner, puisque, toujours selon Statbel, leur prix n’a augmenté "que" de 7,3% sur un an. Mais quand on aime le pain… En fait, les Belges continuent à acheter du pain, des pâtisseries, des viennoiseries mais, apparemment, ils font plus attention à leurs dépenses. "Je ne dis pas qu’ils n’achètent plus, résume Albert Denoncin, mais on revient plutôt aux classiques. Au lieu de prendre un pain au levain ou un multicéréales, beaucoup de clients se tournent vers le pain blanc, le pain gris, le pain complet. Ce sont les trois produits qui fonctionnent le mieux pour le moment. On voit la même tendance en pâtisserie, au lieu de choisir un gâteau sophistiqué avec trois crèmes, les clients vont plutôt privilégier un grand classique moins cher, l’éclair au chocolat par exemple." Conséquence : une baisse du ticket moyen.

Flambée du prix des œufs

Le petit-déjeuner de tradition britannique a beaucoup d’adeptes chez nous. Las ! Les amateurs de la fameuse formule "eggs and bacon" ne sont pas mieux lotis que les adeptes du petit-déjeuner à la française avec la baguette et les viennoiseries. Le prix des œufs a augmenté de 30,6% sur un an selon Statbel. Dans le cas des œufs, il y a évidemment les explications générales, comme la hausse des prix de l’énergie et l’envolée des prix céréales qui servent à l’alimentation des poules. Mais, comme si cela ne suffisait pas, le secteur a aussi été confronté à un nouvel épisode de grippe aviaire, qui a entraîné la mort de centaines de milliers de poules pondeuses en 2022. Moins de poules, donc (beaucoup) moins d’œufs et des prix (beaucoup) plus élevés.

Et le prix des charcuteries – c’est dans cette catégorie que se trouvent le jambon blanc et le bacon – s’est lui aussi envolé sur un an (+16,6%).

Forte hausse également pour les produits laitiers

Les produits laitiers sont indispensables sur la table d’un petit-déjeuner équilibré. Forcément. Mais là aussi, les ménages sont confrontés à des hausses de prix spectaculaires puisque, globalement, leurs prix ont augmenté 5 à 6 fois plus vite que l’inflation générale sur un an. Prenons le lait entier : +34,6%. Le lait demi-écrémé ou écrémé : +29,4%. Dans ces conditions, il n’est pas non plus surprenant que le yaourt soit devenu bien plus cher (+26,1%) ainsi que le fromage (+26,6%) et le beurre (+19%).

Il faut dire que le prix du lait a littéralement explosé au second semestre de 2022 mais, selon André Ledur, conseiller au service d’études de la Fédération wallonne de l’agriculture, "l’explication, il faut aller la chercher en 2021. A partir de l’été de cette année-là, on a observé une réduction de la collecte de lait dans toutes les grandes zones de production de lait dans le monde, à un moment où la demande internationale était encore assez soutenue. Les prix ont donc grimpé sur les marchés mondiaux." Et c’est précisément pendant cette période qu’il y a eu quelques accidents climatiques qui ont pesé sur la production de lait. Rappelez-vous les inondations en Belgique : "On a effectivement eu une année extrêmement humide avec des fourrages récoltés en quantité suffisante, mais avec une qualité plus que médiocre. Résultat : une baisse de la production."

Année noire pour les industriels du lait

Les industriels qui assurent la transformation du lait (en yaourts, fromages, etc.) ont été confrontés à des hausses de prix très importantes l’année dernière. "Le prix moyen que nos industriels ont payé aux producteurs de lait était de 37,3 centimes d’euros en 2021, explique Renaat Debergh, administrateur délégué de la Confédération belge de l’Industrie Laitière, mais en 2022, nous avons payé en moyenne 54,8 centimes d’euros aux producteurs. Cela signifie une hausse de 47% sur un an. "

Hausse importante des prix de leur matière première – le lait – mais aussi de toute une série d’autres coûts : "Nos industriels ont également dû intégrer la hausse des prix de l’énergie, relève Renaat Debergh, des cartons d’emballage et dernièrement la hausse des coûts salariaux. Sachant que nos clients – en particulier les grands groupes de la distribution alimentaire – ont refusé d’accéder à nos demandes de hausse de prix au début de 2022, en se retranchant derrière les contrats signés en octobre 2021. Ce n’est finalement qu’en été 2022 que nous avons pu augmenter nos prix mais, sur l’ensemble de l’année, beaucoup de nos industriels sont dans le rouge."

Des prix élevés pour longtemps…

Ils ne sont donc pas près de raboter leurs prix de vente même si, sur les marchés internationaux, certains prix se sont un peu détendus. "Le prix du litre de lait payé au fermier au mois de mars 2023 est inférieur de 5% au niveau de mars 2022, confirme Renaat Debergh. Ce n’est pas énorme. Mais, dans le contexte d’inflation générale, je ne crois pas que nous reviendrons aux prix d’avant, aux 30,5 centimes d’euros le litre payé au producteur comme en 2021." Dans son "Short Term Outlook for EU agricultural markets in 2023", la Commission européenne constate, elle, que "les prix à la consommation des produits laitiers continuent d’augmenter dans l’Union européenne."

…et les consommateurs s’adaptent

Petite lueur d’espoir peut-être puisque, selon ce rapport, "le beurre a atteint son apogée ". Mais pour le moment, il est bien le seul… Et en tout cas, ce qui est certain, c’est que les consommateurs s’adaptent à cet environnement de produits laitiers chers puisque, toujours selon cette étude, "les consommateurs rechercheraient des options moins chères plutôt que de réduire leur consommation [de produits laitiers]. Ce sont les produits haut de gamme et les produits de marque qui souffrent le plus."

Une petite touche de sucré pour faire passer l’inflation ?

Une petite couche de confiture ou de miel sur une tartine de pain grillé pour se faire plaisir, pourquoi pas ? Sauf qu’en l’occurrence, c’est plutôt une fausse bonne idée : sur un an, le prix des confitures, des marmelades et du miel ont augmenté de 21,1% ! Il est vrai que sur la même période, le prix du sucre s’est envolé de 32% ! Alors, tant qu’à jouer la carte du sucré, autant choisir un morceau de chocolat, son prix a certes augmenté, mais relativement moins (+12%).

Risque de pénurie pour le jus d’orange

Beaucoup l’ignorent mais le jus d’orange est coté en Bourse. Son prix s’y est envolé depuis le début de 2023, tout simplement parce qu’il y a un risque de pénurie. "Les commandes auprès des fournisseurs de concentrés sont désormais sous quotas pour toutes les sociétés désirant en acheter, souligne l’Union nationale interprofessionnelle (française) des Jus de Fruits. [C’est] une situation jamais rencontrée par les acheteurs les plus anciens !"

Le réchauffement climatique explique en grande partie les difficultés actuelles. Deuxième producteur mondial d’oranges à jus, la Floride ne s’est toujours pas remise de l’ouragan Ian en septembre 2022 ; la production au Mexique a chuté de 30% à cause de la sécheresse. Idem en Espagne, autre gros fournisseur d’agrumes. Mais il n’y a pas que cela, selon Unijus, qui ajoute en effet que "la Floride se désengage de la culture des agrumes au profit de la construction immobilière. De ce fait, les industriels américains du jus se tournent vers le Brésil, un pays où 85% du jus d’orange est piloté par trois acteurs. Les flux qui se dirigeaient vers l’Europe sont aujourd’hui détournés vers les Etats-Unis, ce qui crée une tension sur les prix. Le jus concentré s’achète aujourd’hui 3400 € la tonne contre 2600 € lors de la récolte précédente". Ce qui aura forcément un impact sur le prix du jus d’orange dans les magasins.

Un bon café pour se remettre ?

C’est une autre fausse bonne idée… Car, oui, les prix du café se sont également envolés selon Statbel (+16% sur un an). Et pas la peine de se tourner vers le thé, son prix a augmenté encore plus que le café sur un an (+23,3%). Revenons au café : le consommateur paie clairement l’envolée des cours de l’Arabica et du Robusta sur les marchés boursiers. A cause du Brésil, explique Romain Van Hove, gérant des Cafés Van Hove à Charleroi. "Les récoltes de café ont été extrêmement mauvaises l’année passée au Brésil, qui est le premier producteur mondial. Et donc, il y a eu beaucoup moins de café sur le marché. La deuxième raison, ce sont les coûts du transport maritime. Ils ont battu tous les records l’année passée, ce qui a fait augmenter fortement nos coûts". Sans oublier l’emballage et, bien sûr, le gaz, puisque les torréfacteurs utilisent cette source d’énergie pour cuire le café.

Tous ces coûts, il a donc fallu les répercuter sur le prix de vente au consommateur. Mais, selon Romain Van Hove, sans impact sur la clientèle de l’entreprise. "Je n’ai pas vraiment vu de changement, dit-il. Après, nous avons peut-être perdu certains clients mais, la réalité, c’est que nos ventes continuent d’augmenter."

Est-ce que les prix vont se calmer ?

C’est "la" grande question. Et la réponse est "oui, en partie, pour certains produits". Dans les produits laitiers, les prix ont commencé à baisser, en tout cas au niveau du prix payé aux fermiers. "Aujourd’hui, explique André Ledur (Fédération wallonne de l’agriculture), la production de lait augmente un peu partout dans le monde. Et les prix payés aux fermiers ont baissé sensiblement en mars." Mais dans quelle mesure cela va-t-il se répercuter – ou pas d’ailleurs – sur les prix des produits finis vendus dans les supermarchés, mystère…

Du côté des boulangeries-pâtisseries, Albert Denoncin admet de son côté que le prix de la farine a un peu baissé. Mais pour le reste, dit-il, rien, "pas de baisse des prix chez nos fournisseurs pour le moment mais si les prix baissent chez les producteurs, j’espère que ça finira par se ressentir chez nous aussi, un petit peu comme ça s’est passé avec le prix de la farine. Il a baissé au mois de février et voilà seulement qu’on a les premiers balbutiements de diminution."

Pour ce qui concerne l’évolution des prix du café, Xavier Rombouts, CEO de cafés Rombouts dans la région anversoise, est perplexe car, dit-il, "c’est vrai qu’actuellement, il n’y a pas suffisamment de café disponible, ce qui explique pourquoi les prix ont été très élevés il y a quelques mois. Mais, franchement, nous nous attendions à une baisse des cours du café sur les marchés, parce que la récolte débute maintenant au Brésil, premier producteur mondial, et que cette récolte s’annonce excellente. Par ailleurs, il y a une certaine morosité économique dans le monde et, généralement, dans un tel contexte, la consommation de café a tendance à diminuer."

En réalité, il est très difficile de prévoir comment les prix de ce qui compose notre petit-déjeuner vont évoluer dans les prochains mois. Peut-être vont-ils un peu baisser, pourquoi pas, mais aucun des interlocuteurs interviewés ne prévoit un retour aux prix d’avant 2021. Les prix sont élevés, et il y a de fortes chances qu’ils le restent, même si l’inflation ralentit…

Flambée des prix des petits-déjeuners : Matin Première (16 mai 2023)

Petit déjeuner : flambée des prix

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