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France : l’article 49.3, ou comment les macronistes s’en sortent sans majorité absolue à l’Assemblée nationale

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Cela fait six mois maintenant que les législatives ont eu lieu en France et donc six mois que les "macronistes" ont perdu leur majorité absolue à l’Assemblée nationale. On s’attendait à une gouvernance difficile pour Renaissance, faites d’alliances ponctuelles avec les partis de l’opposition. Dans les faits, le gouvernement Borne utilise l’article 49.3 de la Constitution pour passer des textes en force.

À l’époque, on estimait qu’il serait très difficile pour le gouvernement d’Élisabeth Borne de faire passer ses réformes. Six mois plus tard, cette prédiction se confirme, avec quelques nuances.

Disposer d’une majorité relative au Parlement rend l’appareil législatif plus lourd : les séances s’éternisent, les députés s’épuisent. À cette fatigue parlementaire s’ajoute une difficulté supplémentaire celle d’une opposition formée par des groupes particulièrement pugnaces comme La France Insoumise ou le Rassemblement National. Un cocktail détonnant qui offre des débats houleux sur les bancs de l’Assemblée nationale.

Bien sûr, les débats ont toujours été animés, mais on a atteint cette fois un degré de tension et de violence sans précédent, avec des insultes, des invectives, des affrontements presque physiques… "On est vraiment au cirque" regrettait notamment Naïma Moutchou vice-présidente de l’Assemblée nationale lors d’un débat sur la réintégration du personnel soignant non-vacciné, tandis qu’Olivier Serva du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires lançait un "Tu vas la fermer" à un autre parlementaire.

L’article 49.3 qui cristallise toutes les tensions

L’exaspération est à son comble dans l’hémicycle français. Et ce qui focalise toute la frustration des députés de l’opposition, c’est un chiffre : le '49.3'. Il correspond à un article de la Constitution, qui permet au gouvernement français de faire adopter un texte au Parlement sans passer par un vote.

Autrement dit, si le gouvernement veut faire passer un texte, mais n’arrive pas à nouer des alliances, par exemple avec les Républicains ou les centristes, alors il peut faire un passage en force en activant l’article 49.3 et faire adopter son texte sans vote de l’Assemblée. C’est l’arme ultime du gouvernement. À ce stade, Elisabeth Borne l’a déjà dégainée sept fois, au grand dam de l’opposition qui a le sentiment de pas être respectée.

Un usage risqué pour le gouvernement d’Elisabeth Borne

Cette pirouette politique est pourtant parfaitement légale. Elle est inscrite dans la Constitution. D’ailleurs d’autres gouvernements l’ont activé par le passé. Manuel Valls l’a fait il y a quelques années. Le champion du 49.3, c’est l’ancien Premier ministre socialiste Michel Rocard. A l‘époque, il l’a utilisé à 28 reprises.

Cela dit, ce n’est pas sans risque pour le gouvernement. Il faut savoir qu’en déclenchant l’article 49.3, le gouvernement engage sa responsabilité, puisque les autres partis peuvent s’y opposer et déposer une motion de censure. Si cette motion est adoptée, elle peut faire chuter le gouvernement.

Jusqu’ici, chaque fois qu’Elisabeth Borne a dégainé, LFI ou le RN ont déposé une motion de censure, mais aucune n’a pu être adoptée, par manque de voix… parce que les Républicains ont refusé de les soutenir : ils trouvent que ce serait irresponsable de déclencher une crise politique par les temps qui courent.

Et puis, Emmanuel Macron a déjà annoncé que si une motion de censure était adoptée, il prononcerait la dissolution du Parlement. Il en a le pouvoir. Ce qui signifierait un retour aux urnes.

Or, à part le RN, et peut-être certains Insoumis, personne, et certainement pas les Républicains, n’a intérêt à repartir en campagne.

© Emmanuel DUNAND / AFP

Une arme à double tranchant pour le gouvernement… et l’opposition

Cette situation permet-elle à la Première ministre de pouvoir activer l’article 49.3 autant qu’elle le souhaite ?

La réponse doit être nuancée : sur les questions budgétaires, elle peut l’activer autant de fois qu’elle le veut. D’ailleurs, c’est ce qu’elle a fait jusqu’ici : c’étaient tous des textes relatifs au budget ou aux finances. Par contre, sur les autres projets ou propositions de loi, elle ne peut l’activer qu’une seule fois par session parlementaire. Par exemple : la réforme des retraites. On s’attend à ce que le gouvernement la présente au printemps prochain comme la réforme est très contestée, puisqu’il s’agit de relever l’âge de la retraite de 62 à 65 ans.

Il faut que les Macronistes arrivent à rallier les centristes ou les Républicains, sinon ils vont devoir activer le 49.3. Mais comme la réforme des retraites n’est pas un texte budgétaire, ils ne pourront plus l’activer jusqu’à la fin de la session parlementaire cet été.
A moins qu’ils n’essaient de faire passer la réforme des retraites comme un texte financier. Mais là, ce serait une vraie déclaration de guerre…

Cette situation est pourtant assez intenable jusqu’à la fin de la législature. D’abord pour le gouvernement qui à chaque fois, joue sa survie à la roulette russe… avec le risque qu’une motion de censure finisse par passer. Et puis c’est intenable aussi pour l’opposition, qui n’en peut déjà plus… à l’instar ce député qui, après le septième 49.3, déclarait : "Voir le film Un jour sans fin, c’est marrant ; le vivre, c’est l’enfer".

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