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Francis Hallé : " Pour recréer une forêt primaire en Europe, il ne faut rien faire, juste laisser la nature travailler par elle-même "

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Par Hélène Maquet avec Garance Fitch Boribon

Recréer des forêts primaires en Europe, c’est le projet à la fois simple et fou de Francis Hallé, botaniste. Un projet qui réclame le courage de ne rien faire pour laisser la forêt être elle-même pour des siècles et des siècles. Cet épisode de Futur simple s’intéresse à l’importance des forêts primaires et à la possibilité de laisser à la nature le droit de grandir sans intervention de l’homme.

La forêt de Bialowieza, la dernière forêt primaire d’Europe

Il existe à 1500 km de la Belgique, un endroit incroyable à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie : la forêt de Białowieża.

Cette forêt accueille des bisons, des loups, des biches, des chevaux sauvages.

Les chênes et les épicéas y ont une taille incroyable, il s’agit de la dernière forêt primaire d’Europe, et elle est en danger. Le gouvernement polonais prévoit sur 10 ans l’abattage de 180.000 m3 de bois, entraînant alors le risque qu’il n’y ait plus du tout de forêt primaire en Europe.

Francis Hallé, botaniste spécialisé dans les forêts tropicales humides milite, lui, pour l’exact inverse, pour récréer justement des forêts de ce type en Europe.

Qu’est-ce qu’une forêt primaire ?

Une forêt primaire est une forêt qui n’a jamais été détruite, qui n’a jamais été exploitée, qui n’a jamais été modifiée par un impact humain quelconque.

Le problème c’est qu’il y a pratiquement aucune forêt sur la planète qui n’a jamais été impactée par l’homme, l’homme est passé partout.

La forêt primaire se définit par le fait que les impacts humains en question se sont passés à une époque suffisamment reculée pour que le caractère primaire ait pu revenir.

Quel est le caractère primaire d’une forêt ? Est-ce vraiment différent des forêts que nous connaissons ?

Dans une forêt primaire, les arbres ont leurs dimensions maximales et le diamètre de la base du tronc est à sa taille maximale également. La canopée y est très fermée, ce qui signifie qu’en été quand les arbres ont leurs feuilles, il y fait très très sombre.

C’est très très beau, je suis très sensible à la beauté de la forêt primaire, c’est beaucoup plus beau que les forêts secondaires en Europe, on les trouve belles parce qu’ils nous manquent la référence de la beauté d’une forêt primaire.

Dans une forêt primaire, la nature peut être elle-même, on la laisse faire, le seul travail c’est le travail de la nature, aucun prélèvement d’aucune sorte, même pas les champignons, surtout pas le gibier, il faut laisser la forêt travailler toute seule.

Comment recréer une forêt primaire ?

Tout l’enjeu d’un tel projet c’est le temps, il dépend de l’âge de la forêt de laquelle nous partons, si la forêt a 4 siècles et bien il faudra attendre 6 siècles, parce que c’est très long.

La durée est imposée par la nature, par les arbres et si on partait d’un sol nu il faudrait 10 siècles pour obtenir une forêt primaire.

Il y a quelque chose de très positif à se réhabituer aux choses lentes et longues.

C’est un projet vertigineux, parce qu’on mène une vie qui est tellement rapide, tellement fébrile, que ça nous choque un peu de travailler sur le long terme mais, il va falloir s’y faire, les gens en ont assez de la tyrannie de l’instant et de l’immédiateté, là on travaille au rythme de la nature pour créer des choses durables.

Idéalement ce projet doit être transfrontalier et on doit également choisir une forêt la plus ancienne possible, de manière à gagner du temps. On a une série de pistes, en Ardennes par exemple, en Allemagne, en Suisse.

 

 

Quel est l’objectif à long terme ?

Il faudra alors l’adhésion des populations locales car ces forêts ne pourront pas être exploitées, elles n’auront pas de rendement, bénéfice, mais c’est un projet très riche philosophiquement.

C’est accepter de renouer avec la temporalité de la nature, la nature dans ce qu’elle a de plus beau à nous offrir.

C’est un projet considérable qui nécessite beaucoup de changement d’état d’esprit, mais qui profite également à l’homme avec toute une série d’arguments concrets pour stocker du carbone par exemple. Pour la biodiversité c’est l’idéal car elle y est maximum dans la forêt primaire.

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