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Frappes russes sur la centrale nucléaire de Zaporijjia, en Ukraine : tirs volontaires ou erreur ?

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Dans la nuit du 3 au 4 mars, des tirs de chars russes ont mis le feu à un bâtiment annexe au réacteur 1 de la centrale nucléaire de Zaporijjia, dans le sud de l’Ukraine. L’incendie qui s’est ensuivi a été maîtrisé ce matin à 6 heures 20, heure locale.

Que s’est-il passé pour que les forces russes s’en prennent à la plus grande usine nucléaire d’Europe ? " Nous alertons le monde sur le fait qu’aucun pays hormis la Russie n’a jamais tiré sur des centrales nucléaires, a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky, […] Cet Etat terroriste a maintenant recours à la terreur nucléaire ".

L’AIEA, l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique a appelé à " cesser l’usage de la force et avertit d’un grave danger si les réacteurs sont touchés ".

L’armée russe a-t-elle délibérément frappé la centrale ?

" C’est très difficile à dire à ce stade, nous confie Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut Royal Supérieur de la Défense, il se confirme, et c’est ce que communique l’inspection nucléaire ukrainienne, que c’est un tir de char russe. Est-ce une riposte à des tirs ukrainiens ? Ont-ils délibérément visé ce bâtiment dédié aux formations et à un laboratoire ? S’agit-il d’une erreur de tir ? Nous en saurons plus dans les prochaines heures"

Une logique d’escalade

" Ce qui est certain, nous dit Julien Pomarède, chercheur en relations internationales à l’ULB et à l’Université d’Oxford, c’est que cela témoigne d’une logique s’escalade de la part des Russes. On est dans une volonté d’effrayer l’ennemi. En témoignent également les violentes attaques sur les zones civiles, dans la ville de Kharkiv notamment ces dernières heures ".

Les Russes ont-ils intérêt à bombarder la centrale, au risque de détruire leur propre armée sur place et de se retrouver dans un désert post-attaque nucléaire ? Il est permis d’en douter. Reste que le danger n’en est pas moins présent.

L’avancée russe ne progresse pas aussi rapidement que prévu, et il semblerait de plus en plus évident que les Russes sont tombés à court de munitions guidées, ce qui expliquerait le changement opératoire. " Classiquement, dans une offensive, nous explique Nicolas Gosset, il y a une première phase de frappes aériennes, qui consiste à détruire la défense antiaérienne de l’ennemi. Cela se fait avec des bombardements et des munitions guidées, comme des missiles balistiques. Dans un tir guidé, on rentre les coordonnées de la cible et on procède au lancement. Ces munitions sont lancées soit du sol, soit depuis un avion bombardier. Il est vraisemblable que les Russes soient tombés à court de munitions guidées, et que c’est l’une des raisons qui expliquent que l’invasion de l’Ukraine soit plus lente que prévu ".

Hypothèse confirmée par Julien Pomadède, qui nous dit que les Russes ont épuisé leurs munitions guidées dans la guerre de Syrie, et qu’ils n’ont pas encore reconstitué leurs stocks.

Arrive alors, dans un second temps de l’offensive, l’invasion terrestre. Des troupes aéroportées ont été parachutées dans la région de Kharkiv au Nord et dans le Sud, des centaines d’hommes ont été amenés par des bâtiments militaires depuis la mer d’Azov et la mer Noire.

Des tirs imprécis

C’est dans cette deuxième phase de l’offensive militaire qu’intervient l’artillerie lourde, tirs de roquettes et d’obus depuis des chars. " Ces tirs ne sont pas du tout précis, explique Julien Pomarède. Même si les militaires disposent d’une ingénierie qui permet de calculer la trajectoire de l’obus, l’obus suit une courbe de tir qui dépend de sa gravité. Il ne va pas arriver tout droit comme un missile balistique, mais selon une courbe descendante. C’est comme une pierre qui retombe. Les artilleurs sont spécialisés et formés pour ajuster les tirs, mais le risque d’erreur est élevé ".

Cela ne nous dit toujours pas si l’attaque de la centrale nucléaire était délibérée ou pas. Mais il faut s’attendre à ce que l’artillerie lourde, l’équipement majeur de l’armée russe et déployée en force en Ukraine depuis quelques jours, entre en action de manière de plus en plus violente. En témoigne la chute de la ville de Marioupol, tombée aux mains des Russes après 15 heures de combats et de bombardements très violents, les forces russes ayant détruit toute l’infrastructure de la ville.

Les combats vont s’intensifier, les erreurs de tir aussi

" Selon les estimations de l’ONU, ajoute Julien Pomarède, les combats vont s’intensifier. Dans une logique d’escalade, Poutine va continuer de larguer des bombes. Le manque de discernement diplomatique du président russe peut faire craindre le pire ".

Les tirs de l’artillerie lourde vont faire beaucoup de dégâts et de victimes, c’est certain. " Ce sont des tirs approximatifs, dit Nicolas Gosset, chercheur à l’Institut Supérieur Royal de Défense, parmi les chars russes, un certain nombre est ancien. Ils datent des années 90. Ce ne sont pas les chars de la guerre de 40 mais c’est le même principe. On est dans une guerre à l’ancienne. Si même la guerre des Américains en Irak et en Afghanistan, avec toutes les technologies de pointe dont ils disposent a fait ce que l’on appelle des dégâts collatéraux, il faut s’attendre à de nombreuses erreurs de tirs sur le terrain ukrainien ".

Usage avéré de bombes thermobariques

Il est à présent avéré que l’armée russe utilise des bombes thermobariques. " Ce sont des armes redoutables, à double explosion, explique Julien Pomarède, dans un premier temps, ces bombes lâchent dans l’air une substance hautement inflammable. Ensuite, quelques millièmes de seconde plus tard, au contact de l’air, cela crée une compression puissante et très destructrice. C’est un mélange de choc et de chaleur. C’est à la limite de l’armement conventionnel ".

Une guerre nucléaire est-elle possible ?

Le Secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, a condamné les bombardements " irresponsables " des forces russes qui ont touché la centrale nucléaire de Zaporijjia. Selon les autorités ukrainiennes, il n’y a aucune fuite radioactive, mais qu’arrivera-t-il si d’autres tirs intervenaient sur la centrale ou si le président russe mettait à exécution sa menace d’activer sa force de dissuasion, autrement dit, l’arme nucléaire ?

" Ce n’est pas à exclure, explique Julien Pomarède, chercheur en relations internationales, il faut savoir que la doctrine russe en la matière a évolué. En 2020, Vladimir Poutine a décidé que l’arsenal nucléaire pouvait être utilisé de manière active si c’était nécessaire. Ce n’est pas le cas pour la doctrine française par exemple, pour qui le nucléaire est dissuasif et qui prône le non-emploi de cette arme. Il n’y aura vraisemblablement pas de frappes stratégiques sur les forces de l’Otan, mais des frappes nucléaires localisées ne sont pas à écarter. Avec Poutine l’improbable n’est pas l’impossible ".

 

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