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Freddy Thielemans : l’autre bilan politique d’un bourgmestre qui a marqué Bruxelles

Freddy Thielemans est décédé à l’âge de 77 ans.

© Belga

Une grande partie de la classe politique bruxelloise, et pas uniquement socialiste, devrait se retrouver, ce samedi, à 11h, au crématorium d’Uccle pour rendre un dernier hommage à Freddy Thielemans. L’ancien bourgmestre de la Ville de Bruxelles de 1994 à 1995 puis de 2000 à 2013 est décédé samedi. Depuis, chacun y va de son souvenir plus ou moins intime avec l’homme à la moustache, chaleureux, convivial, attachant… Un vrai "ket" né à Laeken, l’érudit et polyglotte, devenu enseignant avant d’endosser la prestigieuse fonction de mayeur.

Mais à l’heure où les Bruxellois sont également invités à saluer la dépouille de Freddy Thielemans depuis ce jeudi (et vendredi de 14h à 19h), place au bilan. Quelles traces laissera Freddy Thielemans dans la mémoire de ses anciens administrés et dans le grand registre des politiques de la "cité", comme il aimait à appeler la ville ?

Aura-t-il marqué la gestion locale de son empreinte ? Est-il à la hauteur des Charles De Brouckère, Jules Anspach, Charles Buls, Adolphe Max, Joseph Vandemeulebroeck, Lucien Coormemans Hervé Brouhon, qui composent le cercle restreint des bourgmestres qui, depuis 1830, ont dépassé, comme lui, les dix ans de mandats ?

Bruxelles-les-Bains

On l’a répété depuis le décès de Freddy Thielemans : il aimait la fête et quand les quartiers s’animent. La Ville de Bruxelles a l’avantage de profiter de recettes fiscales importantes : autant de moyens lui permettant de créer des événements plus ou moins grands à l’adresse de la population. C’est le cas de Bruxelles-les-Bains.

Nous sommes en août 2002 lorsqu’il annonce, dans la DH, son souhait de créer, dès l’été suivant, une plage artificielle à Bruxelles, le long du canal. A cette période, il entend profiter de la publicité faite autour du concept Paris-Plage, lancé quelques jours avant dans la capitale française par son "ami", le maire socialiste Bertrand Delanoë.

"Mon idée est plus ancienne que celle de Delanoë", sourit malicieusement le mayeur bruxellois. "Elle date de l’époque de Demaret (NDLR : bourgmestre de Bruxelles de 1993 à 1994). A plusieurs reprises, j’avais évoqué l’idée de faire du canal le fleuve de Bruxelles. La Senne, autrefois, remplissait un peu cette fonction" lorsque les plus aisés se retrouvaient le long de la voie d’eau pour prendre un verre ou se prélasser. Pour Thielemans, le projet est d’ouvrir les quais à tous notamment les Bruxellois qui n’ont pas les moyens de partir en vacances à l’étranger.

Rien de concret lors de cette annonce mais une volonté qui va finir par voir le jour l’été suivant avec le lancement de la première édition de Bruxelles-les-Bains. Et une critique : celle de la sélection indirecte du public en raison de la présence d’échoppes pratiquant une politique de prix peu abordable. Bruxelles-les-Bains s’appelle aujourd’hui Hello Summer.

Bruxelles Les Bains ouvre ses portes

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Plaisirs d’hiver

Bruxelles-les-Bains quand le mercure s’emballe, Plaisirs d’hiver à l’approche des fêtes de fin d’année. Dès la première année de son mandat, Freddy Thielemans et son échevin de la Culture, l’Ecolo Henri Simons (devenu PS ensuite) décident d’éclater les animations traditionnelles dans le centre-ville. Il faut sortir de la Grand’Place et en mettre plein les yeux, en termes d’animations et de spectacles visuels. Objectif : attirer les Bruxellois, toujours, mais aussi les touristes étrangers.

A cette période, la Ville est à la peine en matière touristique. Les hôtels se plaignent de leur taux de remplissage et de leur faible rentabilité en novembre et décembre alors que les autres capitales européennes font le plein de visiteurs.

Le 16 décembre 2001 s’ouvre la première édition des Plaisirs d’hiver. L’enchantement est au rendez-vous avec un marché de Noël à la Bourse, mais aussi une patinoire au marché aux Poissons, des manèges place Sainte-Catherine… Des sites reliés par une promenade féerique au départ de la Grand’Place où ont été installés un sapin et une prairie avec des animaux illuminés créés par l’artiste Patrick Rimoux.

Les Plaisirs d’Hiver viennent de fêter leurs 20 ans. Une longévité née de la volonté politique de Freddy Thielemans et Henri Simons.

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Malgré des échecs et des annulations liées à l’actualité (menace terroriste, crise sanitaire…), cette nécessité de faire bouger la ville durant les quatre saisons demeure un axe majeur de la politique bruxelloise actuelle incarnée par Philippe Close, ancien chef de cabinet de Freddy Thielemans avant de devenir échevin du Tourisme puis lui-même bourgmestre.

Deux hommes complémentaires ? Ou une seule personne ? "Le vrai bourgmestre à Bruxelles, ce n’est pas Freddy, mais Philippe", répétaient souvent les détracteurs du tandem qui dirigeait depuis le grand bureau de l’hôtel de ville.

Nuit blanche à Bruxelles

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L’inspiration parisienne, toujours

On l’a sous-entendu pour Bruxelles-les-Bains : l’inspiration parisienne n’est jamais loin. Il faut le reconnaître : Freddy Thielemans s’est souvent inspiré des réussites hexagonales pour les reproduire dans notre capitale. Le vendredi 9 mai 2003, il appuie chez nous la Fête des Voisins (Immeubles en fête), née en 1999 dans le 17e arrondissement de Paris. Pour l’occasion, il invite même son homologue Bertrand Delanoë à Saint-Géry.

"Ce n’est pas la première fois que Bruxelles pique une idée à Paris", reconnaît ce jour-là Freddy Thielemans décoré de la Légion d’honneur française. "Il y a eu la Roller parade, la Nuit blanche… Mais tout part du principe qu’il faut faire vivre la ville."

La Roller Parade s’est élancée pour la première fois chez nous au printemps 2002 et la première Nuit Blanche bruxelloise a été organisée en octobre de la même année. Celle-ci n’existe plus depuis la crise du coronavirus.

Précurseur, visionnaire, Thielemans a également piqué le concept des Velibs parisiens, ces vélos en libre-service. En 2006, Bruxelles lance les Cyclocity avec l’aide de JCDecaux. Le projet n’est pas mûr. Il faudra attendre la transformation du concept en Villo ! et son redéploiement sur tout le territoire régional pour que celui-ci décolle enfin. C’est une véritable alternative à la mobilité en ville difficilement contestable aujourd’hui.

Diversité

Si Freddy Thielemans a dès le début de son mandat senti que la Ville, gérée avant lui par le libéral François-Xavier de Donnéa, devait se réinventer, être plus attractive, il a également eu le nez en matière de diversité. Il est le premier bourgmestre bruxellois à avoir désigné une échevine d’origine maghrébine, Faouzia Hariche avant Molenbeek, Schaerbeek ou Anderlecht. Dès le soir des communales d’octobre 2000, l’Algérienne par ses parents, élue conseillère communale dès 1994, sait qu’elle va entrer au collège.

A 33 ans, Faouzia Hariche se voit attribuer un poste important : l’instruction publique (NDLR : la Ville de Bruxelles est le plus important pouvoir organisateur du pays), la même compétence que celle attribuée à Freddy Thielemans sept ans plus tôt. Hasard pour ces deux enseignants, lui en langues germaniques, elle de français.

Autre point commun : la défense de la laïcité. Faouzia Hariche est membre active du Cercle du libre examen. A ce jour, elle reste la doyenne du collège avec 12 ans de mandat sans interruption. Et si le mode de désignation des bourgmestres était identique en Région bruxelloise à celui de la Wallonie (le meilleur score sur la liste ayant obtenu le plus de sièges), c’est elle qui aurait dû succéder à Freddy Thielemans en 2013 et non pas Yvan Mayeur qui coiffait déjà au poteau Philippe Close.

L'invité du 13 heures: Freddy Thielemans sur son départ du maiorat de Bruxelles

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Cumul

Si Freddy Thielemans a si bien incarné son mandat de bourgmestre, faisant oublier sa première et brève expérience à ce poste après le départ de Michel Demaret, on ne peut pas en dire autant de ses passages au Parlement bruxellois ni au Parlement européen.

Il siégera près de dix ans rue du Lombard (de 1995 à 1999 et de 2009 à 2014) pour un maigre bilan en termes d’interventions si l’on en croit les annales de l’hémicycle régional. Aujourd’hui, ce cumul de mandats aurait été interdit par les statuts du PS (commune de plus de 50.000 habitants et parlementaire).

Lors l’élection de 2009, il faisait déjà polémique. "Si je suis élu, je siégerai au Parlement bruxellois", avait-il dit pour répondre aux critiques qui n’imaginaient pas que le bourgmestre de la capitale du pays puisse exercer une autre fonction. "Il ne sera ni le premier, ni le dernier", ajoutait son porte-parole. C’est vrai : le libéral François-Xavier de Donnéa a été bourgmestre de la Ville et député fédéral.

Au Parlement européen, Freddy Thielemans siégera de 1999 à 2001, choisissant cette fois-là d’abandonner ce mandat pour devenir bourgmestre.

C’est d’ailleurs à ce poste qu’il fait l’unanimité tant au niveau de la représentation, avec la réception de grands de ce monde comme le président Poutine ou le prince héritier du Japon Nahurito, que de ses rapports avec les habitants. Il faut lui accorder cette aisance dans le contact, qu’il s’exprime en français, en néerlandais, en brusseleir ou en anglais, qu’il s’agisse d’une réunion de travail, un colloque ou une plantation du Meyboom avec ses acolytes bûûmdroegers.

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Piétonnier

Il en faut du courage, chaque 9 août, pour porter des heures durant le Meyboom avant sa plantation rue des Sables. Ce jour-là, il en faut également du courage pour refuser toutes les sollicitations éthyliques. Le courage politique a peut-être manqué à Freddy Thielemans sur un dossier sensible : celui du piétonnier du centre-ville.

Pendant des années, le projet est tantôt gelé tantôt timidement mis en œuvre. Sous les différents mandats de Freddy Thielemans, seules quelques rues, juste autour de la Grand’Place passeront en zones piétonnes (la zone confort) tandis que le boulevard Anspach, la place De Brouckère et la place de la Bourse sont épargnés. A la manœuvre avec l’échevin humaniste Ceux, le Laekenois accepte aussi de faire passer le Pentagone en zone 30.

Mais interdire totalement la voiture ? Ce ne sera pas pour tout de suite. Le Premier magistrat de la commune qui gouverne d’abord avec les Ecolos, puis le cdH puis les MR freine. C’est à son départ et à l’arrivée de son successeur Yvan Mayeur en décembre 2013 que ce dernier met le grand braquet, écartant toute critique. Les limitations sont mises en place dès juin 2015 et les travaux débutent en 2017.

Le projet de piétonnier à Bruxelles

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Police

Freddy Thielemans n’avait peut-être pas saisi sa chance dans le dossier du piétonnier. Dans un autre domaine, en tant que responsable administratif de la police locale, il a compris qu’il devait doter cette structure de moyens techniques et humains suffisants, comblant le cadre ou en avalisant, par exemple, la création d’une brigade cycliste (2005).

En 2000, à son arrivée, il accompagne d’abord la fusion avec la police d’Ixelles pour créer la zone Bruxelles-Capitale-Ixelles (ne dites plus Polbru, même si c’est encore d’usage). Le mariage ne sera pas toujours heureux.

Thielemans et son voisin ixellois du même bord politique Willy Decourty s’affrontent régulièrement, Ixelles se plaignant de la trop grande place prise par la capitale et ses nombreux impératifs en termes de maintien de l’ordre. Des impératifs liés à sa fonction de multicapitale et l’organisation quotidienne de manifestations dans le quartier européen. C’est d’ailleurs sous le mandat de Thielemans qu’est mis en place le bouclage systématique du quartier lors des sommets de l’UE.

Freddy Thielemans côtoiera deux chefs de corps entre 2001 et 2013 : le truculent Roland Van Reusel et le très discret Guido Van Wymeersch, qu’il soutiendra même lorsque celui-ci fera l’objet d’une procédure disciplinaire.

A l’annonce du décès de Freddy Thielemans, la police n’a pas manqué de saluer sa mémoire et ses actions en faveur des forces de l’ordre. "Merci pour tout ce que vous avez fait en tant que bourgmestre de @zpz_polbru", pouvait-on lire dans un tweet officiel. "Nous ne vous oublierons jamais."

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Neo

Reste un dernier point, dans l’autre bilan de Freddy Thielemans entre 2001 et 2013 : l’avenir du plateau du Heysel symbolisé par l’Atomium qui bénéficiera, en 2004, d’une rénovation attendue depuis 1958.

Plus éclatant et plus attractif que jamais, l’Atomium fait de l’ombre aux autres attractions du quartier pour lequel Freddy Thielemans voit grand, trop peut-être, en lançant en 2012 le projet Neo. Objectif : "Transformer les 68 hectares du plateau du Heysel pour en faire un véritable morceau de ville qui soit à la fois attractif tant pour les habitants que pour les visiteurs, et extrêmement bien connecté aux quartiers et au centre-ville de Bruxelles".

Neo allie création d’espaces verts, de commerces, de bars et restaurants, d’hôtels, d’un parc d’attractions, d’un cinéma, d’une salle de congrès… Tout en conservant la dimension sportive du site avec son stade. Les investissements sont évalués à près d’un milliard d’euros.

C’est un projet colossal auquel tient Freddy Thielemans, à tel point que lors de son départ du mayorat, il occupera toujours une fonction au sein de Neo. "Neo, c’est un peu mon bébé", dira-t-il à nos confrères de RTL. "Si je ne devais plus pouvoir toucher à ça, j’en serais malheureux […] Ceci étant, je compte très fort sur mes amis pour que je conserve un lien assez étroit avec Neo. J’ai envie de continuer à m’en occuper, j’en ai fait la proposition."

"Recasage" accepté : Freddy Thielemans devient président Honoraire – Chargé des Relations Internationales du parc des Expositions qui chapeaute Neo. S’ensuit une polémique. Lui est promise une rémunération équivalente selon plusieurs articles de presse. Cela n’a jamais pu être prouvé.

Le projet Neo est régulièrement remis en question. Financements, recours, crise sanitaire impactent la viabilité du projet. Le projet de centre de congrès a par exemple été abandonné l’année dernière. Mais la Ville et son bourgmestre Philippe Close entendent bien mener à bien cette ambition imaginée sous Freddy Thielemans.

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