Monde Amérique du Sud

Gabriel Boric, de leader étudiant à président du Chili : parviendra-t-il à répondre à ses propres revendications ?

Cheveux longs et chemise verte façon guérillero, on le reconnaîtrait à peine à côté de son portrait présidentiel actuel.

2012, "Nous demandons la démocratisation de notre espace"

"Nous sommes la majorité. Nous allons dire au gouvernement de manière claire que nous n’abandonnerons pas la lutte. Nous n’allons pas abandonner la rue. Nous n’abandonnerons pas notre organisation qui répond à la demande du mouvement étudiant."

C’était il y a 10 ans. Gabriel Boric avait alors 26 ans et était l’un des leaders du mouvement étudiant au Chili. Ce discours clôturait une marche organisée le 28 août 2012. Il interpellait le ministre de l’Education de l’époque.

La démocratisation de notre espace

"Nous demandons au ministre de l’Education, Harald Beyer, aujourd’hui même, juste après cette marche, que le thème des discussions et le débat soient : le renforcement de l’éducation publique et la fin du marché éducatif, la démocratisation de notre espace. Nous ne voulons pas continuer à l’écouter à éviter les débats. Qu’il réponde à la demande du mouvement étudiant. Nous continuerons à nous mobiliser, camarades, que la lutte continue parce que nous sommes une majorité."

Des paroles prononcées juste avant que la marche ne se termine, comme c’était le cas habituellement, par des affrontements entre manifestants et police chilienne à coup de "guanacos" (canons à eau) et gaz lacrymogènes.

2019, une assemblée constituante

Dix ans plus tard, il est possible de voir la transformation entamée. Alors qu’à l’époque, il semblait impossible que le gouvernement n’entende les demandes des étudiants, alors que les débats se menaient dans la rue au lieu d’avoir lieu dans un hémicycle, alors que la constitution empêchait une représentation d’une bonne partie du peuple chilien dans les instances de décision, alors qu’un leader du mouvement étudiant prononçait des discours à en perdre sa voix, ce dernier est aujourd’hui devenu président.

Et il n’y a pas que lui : la communiste Camilla Vallejo ou encore le démocrate Giorgio Jackson faisaient aussi partie de ce mouvement et sont aujourd’hui ministres du gouvernement Boric. "C’est toute cette génération des grandes mobilisations étudiantes de 2011 qui est au pouvoir aujourd’hui", analyse Franck Gaudichaud, professeur des universités en études latino-américaines à l’Université de Toulouse Jean Jaurès. "C’est un renouvellement générationnel. Certains parlent de la nouvelle gauche. C’est la réussite d’un saut de la rue au palais présidentiel."

La rue a été le bon endroit pour faire valoir leurs revendications

Pour le professeur c’est à ce moment-là que les premières fissures de l’ancien système politique chilien sont apparues. "La rue a été le bon endroit pour faire valoir leurs revendications dans le sens où il y a eu un travail de fond dans la rue, dans la société, de nombreux conflits pour imposer un nouveau calendrier politique et électoral. Ça n’aurait jamais été possible de le faire depuis le parlement. Le système politique chilien était trop bloqué par l’héritage autoritaire de la dictature Pinochet. Il y a eu un duopole qui a dominé complètement la transition démocratique pendant 30 ans. Et c’est seulement par la rue que les premières fissures ont pu se faire."

De petites fissures en 2012 puis de grosses failles en 2019 avec des manifestations bien plus importantes que ce que rassemblaient les marches étudiantes. En 2019, c’était une bonne partie du peuple chilien qui se retrouvait au cœur de la capitale suite à l’augmentation du prix du ticket de métro. Une goutte d’eau qui a fait déborder le vase des manifestants qui dénoncent les fortes inégalités et la difficulté de joindre les deux bouts pour de nombreux Chiliens.

Chili : 1 million de personnes dans les rues

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"Gabriel Boric était alors député, rappelle Franck Gaudichaud. Il a joué un rôle un peu controversé puisqu’il a même été rejeté par une partie du mouvement à l’époque. C’est lui qui a négocié en plein conflit le fameux accord de novembre 2019 pour la paix sociale et la nouvelle constitution. Ça a permis le début du processus qui a été négocié avec la droite par Boric. Mais ça a aussi été considéré comme une trahison par une partie du mouvement social puisqu’il a négocié en pleine répression."

Une place qui l’a finalement aidé à devenir président du Chili. "Un pari tactique victorieux", commente le professeur toulousain.

2022, un référendum pour une nouvelle constitution

"Le nouveau texte doit être voté par référendum vraisemblablement en septembre puisque la convention ne peut pas siéger au-delà de juillet. Le référendum permettra à la population chilienne de dire oui ou non à la nouvelle Constitution chilienne."

C’est un premier défi pour Boric. "Tout dépendra du contenu du texte d’une part, même si on voit des ponts entre une partie de la Convention et le nouveau gouvernement, ce qui devrait l’aider. Et d’autre part, toute une partie des réformes promises ne seront possibles que dans le cadre de la nouvelle Constitution. Actuellement, elles ne sont même pas applicables."

Car si les ex-leaders du mouvement étudiant ont réussi à se hisser à la tête de l’Etat, ce n’est pas pour autant qu’ils vont réussir à faire passer toutes les réformes réclamées par le peuple chilien, analyse Franck Gaudichaud. "On voit qu’avant même d’être officiellement au pouvoir, ils ont commencé à modérer le discours en disant que tout ne sera pas facile, que ce sera graduel, qu’il faudra faire des compromis. On voit donc les difficultés se dessiner." Le professeur s’attend donc davantage à une réforme sociale graduelle dans un système néolibéral qu’à un nouvel Etat chilien socialiste à la Allende (président 1970-1973).

La première difficulté est politique. "La coalition qui est au gouvernement est très hétérogène : communistes, socialistes, des anciens de la Concertation des partis pour la démocratie (centre gauche), un ministre des finances libéral… Il y aura donc des tensions internes à la coalition. D’autre part, le gouvernement n’a pas de majorité au Parlement. Ce qui signifie que toutes les réformes vont devoir être négociée avec des partis plus conservateurs."

Voilà pourquoi Boric compte sur la nouvelle Constitution qui devrait permettre de dissoudre le Sénat et d’organiser de nouvelles élections législatives où le défi sera d’y avoir une majorité.

Retraite, santé et éducation

Une nouvelle Constitution qui est donc un premier pas indispensable s’il veut tenir ses promesses c’est-à-dire "le retour d’un État social au moins partiel." Il n’y aura pas de révolution, répète l’analyste. "Camila Vallejo l’a dit : 'nous sommes un gouvernement de centre gauche'. Et pour faire ces réformes modérées de centre gauche, il y a trois défis :

  • Le système de retraite qui doit redevenir plus égalitaire avec une plus grande part du public.
  • La santé où le système public doit se consolider (même si le système de santé privé restera probablement majoritaire)
  • La question de l’éducation, bien entendu, pour la rendre plus accessible."

Dans le système néolibéral, ces trois piliers sont en effet en grande partie gérés par des sociétés privées. Ce que dénonçait Boric à l’époque : "un marché éducatif", disait-il où les universités se faisaient concurrence, où les étudiants payaient des études longues et chères pour ne pas toujours avoir une éducation de qualité.

Mais avant de pouvoir mener ces réformes, d’autres défis, plus immédiats, attendent le gouvernement chilien. "Dans les prochaines semaines, il va devoir gérer

  • La crise économique : 2019 était en crise, 2020 a connu une croissance mais avec ensuite une inflation très forte due à la pandémie.
  • Les conflits et les revendications Mapuche dans le sud du pays. Ce peuple autochtone du Chili vit des violences au sud du pays suite à l’état d’exception décrété par le gouvernement précédent.
  • La méga crise migratoire dans le nord du pays instrumentalisée par l’extrême-droite qui est plus forte que jamais. Là aussi, il y a de la violence, de l’extrême pauvreté, des réactions xénophobes.
  • Une question de droits humains. La justice face à la question de la répression pendant le règne du gouvernement Piñera. Certains demandent même qu’ils soient jugés pour crime contre sa population.

Et ce sont ces défis immédiats qui vont permettre de voir à quel point le gouvernement est un gouvernement de rupture et de transformation ou bien de continuité."

Pour le professeur, les prochains mois vont être difficiles et il est très probable que Gabriel Boric va être mis sous pression. "Il va aussi subir une forte opposition des milieux économiques, médiatiques qui sont hostiles au gouvernement. Il va être sous pression. Et puis, les mouvements populaires et sociaux qui l’ont élu pour qu’il avance sur certains points. Quand on voit l’ampleur des demandes et la très grande modération de ce qui semble venir."

La première étape est donc ce "plebiscito", le référendum sur la nouvelle Constitution qui, si elle est votée, sera mise en place en 2023, soit pile 50 ans après le coup d’Etat d’Augusto Pinochet. Et même si Boric ne se positionne pas dans la même lignée qu’Allende, président socialiste juste avant Pinochet devenu symbole au Chili, il lui rendra une fois de plus hommage.

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