Car si les ex-leaders du mouvement étudiant ont réussi à se hisser à la tête de l’Etat, ce n’est pas pour autant qu’ils vont réussir à faire passer toutes les réformes réclamées par le peuple chilien, analyse Franck Gaudichaud. "On voit qu’avant même d’être officiellement au pouvoir, ils ont commencé à modérer le discours en disant que tout ne sera pas facile, que ce sera graduel, qu’il faudra faire des compromis. On voit donc les difficultés se dessiner." Le professeur s’attend donc davantage à une réforme sociale graduelle dans un système néolibéral qu’à un nouvel Etat chilien socialiste à la Allende (président 1970-1973).
La première difficulté est politique. "La coalition qui est au gouvernement est très hétérogène : communistes, socialistes, des anciens de la Concertation des partis pour la démocratie (centre gauche), un ministre des finances libéral… Il y aura donc des tensions internes à la coalition. D’autre part, le gouvernement n’a pas de majorité au Parlement. Ce qui signifie que toutes les réformes vont devoir être négociée avec des partis plus conservateurs."
Voilà pourquoi Boric compte sur la nouvelle Constitution qui devrait permettre de dissoudre le Sénat et d’organiser de nouvelles élections législatives où le défi sera d’y avoir une majorité.
Retraite, santé et éducation
Une nouvelle Constitution qui est donc un premier pas indispensable s’il veut tenir ses promesses c’est-à-dire "le retour d’un État social au moins partiel." Il n’y aura pas de révolution, répète l’analyste. "Camila Vallejo l’a dit : 'nous sommes un gouvernement de centre gauche'. Et pour faire ces réformes modérées de centre gauche, il y a trois défis :
- Le système de retraite qui doit redevenir plus égalitaire avec une plus grande part du public.
- La santé où le système public doit se consolider (même si le système de santé privé restera probablement majoritaire)
- La question de l’éducation, bien entendu, pour la rendre plus accessible."
Dans le système néolibéral, ces trois piliers sont en effet en grande partie gérés par des sociétés privées. Ce que dénonçait Boric à l’époque : "un marché éducatif", disait-il où les universités se faisaient concurrence, où les étudiants payaient des études longues et chères pour ne pas toujours avoir une éducation de qualité.
Mais avant de pouvoir mener ces réformes, d’autres défis, plus immédiats, attendent le gouvernement chilien. "Dans les prochaines semaines, il va devoir gérer
- La crise économique : 2019 était en crise, 2020 a connu une croissance mais avec ensuite une inflation très forte due à la pandémie.
- Les conflits et les revendications Mapuche dans le sud du pays. Ce peuple autochtone du Chili vit des violences au sud du pays suite à l’état d’exception décrété par le gouvernement précédent.
- La méga crise migratoire dans le nord du pays instrumentalisée par l’extrême-droite qui est plus forte que jamais. Là aussi, il y a de la violence, de l’extrême pauvreté, des réactions xénophobes.
- Une question de droits humains. La justice face à la question de la répression pendant le règne du gouvernement Piñera. Certains demandent même qu’ils soient jugés pour crime contre sa population.
Et ce sont ces défis immédiats qui vont permettre de voir à quel point le gouvernement est un gouvernement de rupture et de transformation ou bien de continuité."
Pour le professeur, les prochains mois vont être difficiles et il est très probable que Gabriel Boric va être mis sous pression. "Il va aussi subir une forte opposition des milieux économiques, médiatiques qui sont hostiles au gouvernement. Il va être sous pression. Et puis, les mouvements populaires et sociaux qui l’ont élu pour qu’il avance sur certains points. Quand on voit l’ampleur des demandes et la très grande modération de ce qui semble venir."
La première étape est donc ce "plebiscito", le référendum sur la nouvelle Constitution qui, si elle est votée, sera mise en place en 2023, soit pile 50 ans après le coup d’Etat d’Augusto Pinochet. Et même si Boric ne se positionne pas dans la même lignée qu’Allende, président socialiste juste avant Pinochet devenu symbole au Chili, il lui rendra une fois de plus hommage.