Gabriel Boric, le prodige militant et réaliste à la tête du Chili

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Par W. Fayoumi, avec JF. Herbecq

"Si le Chili a été le berceau du néolibéralisme en Amérique latine, il sera aussi son tombeau", avait-il déclaré lors de sa proclamation de candidature. Leader étudiant, député à 27 ans, président à 35, Gabriel Boric souffle un vent de jeunesse sur la politique chilienne, même si depuis cette déclaration, son ton s’était modéré : "Garantir un Etat-providence afin que chacun ait les mêmes droits, quel que soit l’argent qu’il a dans son portefeuille", était devenu son objectif annoncé, comme il le déclarait à la presse.

Depuis les bancs de l’université de droit à Santiago, ce millénial à la barbe épaisse aspire à transformer radicalement son pays, un pays considéré comme le plus inégalitaire de l’OCDE, avec une classe moyenne endettée pour pouvoir payer les frais d’éducation, de santé et une retraite privée.

Sur le mur de sa chambre : "Soyons réalistes, exigeons l’impossible"

En couple avec une politologue, sans enfant, il est originaire de l’extrême sud du Chili, de Punta Arenas, l’une des villes les plus australes du monde considérée comme la porte de l’Antarctique, sur les rives des eaux glacées du détroit de Magellan.

Il a grandi aux côtés de ses deux frères cadets dans une famille sympathisante des partis socialiste et démocrate-chrétien, et a étudié à la British School de sa ville avant de rejoindre l’université de Santiago, où il n’a pas fini son cursus diplômant, s’engageant totalement dans la mobilisation étudiante, puis politique.

Son père, Luis Boric, un ancien ingénieur-chimiste de 75 ans, raconte que son fils a commencé à forger ses idéaux politiques dès son plus jeune âge avec les messages "soyons réalistes, exigeons l’impossible" ou "la raison fait la force" peints sur le mur de sa chambre. Un parcours cohérent, puisque Gabriel Boric représente l’héritage politique du soulèvement social de 2019 pour une société plus juste, qui avait profondément remis en cause le modèle ultralibéral chilien.

"Son parcours est un parcours qui vient du militantisme, des mouvements sociaux, souligne Christophe Ventura, directeur de recherche à l’Institut des Reations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris. C’est quelqu’un qui a émergé dans les années 2009-2011, lors du mouvement étudiant, il y était l’un des leaders. C’est comme ça qu’il a émergé sur la scène chilienne avant de rentrer en 2014 directement en politique. Il a été élu à ce moment-là à la Chambre des députés dans le cadre d’un mouvement politique qui se situe à la gauche de la gauche chilienne, et c’est là qu’il est actif de puis 2014".
En 2013, il a utilisé la maison familiale comme quartier général de campagne pour ce premier combat législatif, rassemblant amis et bénévoles, et puis remporté l’année suivante le siège de député de la région de Magallanes.

Aujourd’hui, le trentenaire qui n’hésitait pas à retrousser ses manches pour montrer ses tatouages a lissé son image. Mais il reste un personnage mystérieux, même pour ses proches : réservé, solitaire, il n’a pas non plus perdu de la spontanéité de ses premières années de militantisme : lors de sa campagne victorieuse de la primaire à gauche, il a grimpé face aux caméras sur un énorme cyprès, comme il le faisait lorsqu’il était enfant. Cette image est devenue le symbole de sa campagne.

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Mais plus que cela, il représente une authentique rupture avec son prédécesseur, Sebastian Pinera, ultralibéral proche des milieux affairistes du pays. "C’est quelqu’un qui a joué un rôle lors des mouvements sociaux en 2019, il en est l’un des produits et l’un des visages", détaille Christophe Ventura, qui rappelle que l’union des mouvements et partis de gauche à cette époque était tout sauf évidente, mais a aussi montré le réalisme dont pouvait faire preuve le jeune député : "Il y a eu une discussion compliquée qui consistait à savoir si les partis de gauche devaient accepter le pacte que Sebastian Pinera présentait pour calmer le mouvement, en échange d’un processus constitutionnel. Gabriel Boric était parmi ceux qui, à gauche, avaient pris fait et cause pour ce pacte, permettant de mettre en place la Constituante. Cela lui a valu à l’époque des soutiens au centre-gauche", mais des difficultés au sein de son propre mouvement.

Un visage de la contestation de 2019

Cependant, le jeune président dispose d’atouts inédits, selon le politologue, car il fait partie d’une génération "qui a pour elle de ne pas avoir été à la tête de l’Etat depuis des décennies."

Le nouveau président chilien vient aussi avec des concepts peu mis en avant jusqu’ici par la classe politique traditionnelle, comme le féminisme ou l’environnement. Mais "l’un des défis pour ce gouvernement, et c’est l’un des points sur lesquels son opposition l’a attaqué, c’est l’impréparation" de ce nouveau président et de ses proches jeunes conseillers.

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Malgré tout, le moment est historique, estiment beaucoup d’observateurs, dont Christphe Ventura : sa chance, "c’est de s’appuyer sur le mouvement social qui l’a installé au mois de mars prochain au pouvoir. Ce mouvement est impressionnant au Chili, il ressemble à celui qui a été dans la rue en décembre 2019 par l’ampleur des votes en sa faveur, et personne ne s’y attendait. C’est le président le mieux élu de toute l’histoire chilienne, avec une participation de plus ou moins 55%, ce qui est historique au Chili […] donc c’est un capital démocratique et populaire très fort, et ça montre bien que ce qu’exprime Gabtriel Boric, c’est une massive aspiration de la société chilienne au changement, à une transformation des habitudes politiques".

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