Le culte de l’enfant roi menace nos démocraties. C’est la conclusion choc d’une étude récemment publiée par des chercheurs de l’UCLouvain. Ils appellent à trouver "un nouvel équilibre dans l’éducation des enfants", à combiner "une discipline ferme et juste avec de la bienveillance".
OK, mais comment ? Dans cet article, on essaie de vous donner des pistes. Pas des recettes, pas des solutions toutes faites, mais des pistes, de réflexion ou d’action.
D’abord, retour en bref sur l’étude : que dit-elle ? Alors que l’enfant a été négligé voire méprisé pendant des siècles, il est aujourd’hui chéri et protégé. En soi, c’est bien évidemment une avancée, on lui reconnaît des droits et il est moins victime de violence, mais cette évolution connaît aussi des dérives. Des enfants surprotégés, survalorisés, dont tous les besoins sont satisfaits instantanément "risquent de pâtir de problèmes de santé mentale (symptômes dépressifs et anxiété) et physique (risques d’obésité), de devenir plus narcissiques et moins matures et de développer moins de compétences cognitives. Les adultes risquent en outre de s’épuiser toujours plus dans leur volonté de se rapprocher des besoins et intérêts des enfants."
Et, à terme, en très résumé, cela constitue une menace pour nos démocraties parce que ces enfants individualistes auront du mal à privilégier l’intérêt général.
Et, donc, comment faire pour trouver un nouvel équilibre, plus sain ?
Prendre du recul par rapport à l’éducation positive
L’éducation positive, c’est positif ! Les intentions de base de ce courant (incarné par Isabelle Filliozat, Catherine Géguen, etc.) sont bonnes : une éducation moins violente, plus respectueuse de l’enfant, plus à l’écoute de ses besoins. Le problème, c’est quand cela devient un dogme, un guide général valable en toutes circonstances.
"L’éducation positive a ses limites, comme tout. Elle ne convient pas en toutes circonstances, à tous les enfants, explique Isabelle Roskam, professeure en psychologie du développement à l’UCLouvain, et coauteure de l’étude citée plus haut. Quand un enfant dépasse clairement les bornes, l’éducation positive n’est pas une bonne réponse, parce qu’il n’y a pas de comportement positif à renforcer, il y a un cadre à replacer."
L’éducation positive ne convient pas en toutes circonstances, à tous les enfants.
"Par ailleurs, poursuit la psychologue, certains enfants s’autorégulent plus facilement que d’autres, vont moins chercher à dépasser les limites. D’autres sont comme des balles magiques : quand on les lâche, ça rebondit partout. Plus le cadre est lâche, plus ils rebondissent comme des petites balles folles. Ceux-là auront besoin d’un cadre plus serré. La bienveillance c’est aussi être sensible aux besoins de chacun."
Les enfants balles magiques : quand on les lâche, ça rebondit partout.
Les manuels à succès traduisent bien souvent l’éducation bienveillante en conseils pratiques, comme des recettes de cuisine. Et cela induit, chez les parents, l’idée que, s’ils les appliquent, tout se passera bien, et, en corollaire, l’idée que, si ça ne se passe pas bien, c’est de leur faute.
Béatrice Kammerer, journaliste, auteur de “L’éducation vraiment positive” (Larousse, 2019), souligne l’hypocrisie de certains manuels d’éducation positive. "Il y a un paradoxe : ils vendent des recettes pour que les enfants soient sages, calmes, obéissants, dit-elle, mais en vérité ce n’est pas du tout ce modèle qu’ils prônent. Ils prônent plutôt l’expression de l’enfant, la prise en compte de sa singularité et pas du tout son obéissance. Il faudrait être clair sur l’objectif."
Il faudrait être clair sur l’objectif.
Par ailleurs, ces manuels se basent souvent sur les neurosciences pour dispenser leurs conseils. Elles peuvent évidemment apporter un éclairage mais elles ont leur limite, pointe Béatrice Kammerer. "Il y a une volonté de rationaliser à tout prix qui a fait émerger des arguments du type ‘si vous faites ça vous allez déclencher des réactions toxiques dans son cerveau’. Or, ces arguments ne sont pas toujours fondés sur le plan scientifique, la vulgarisation est parfois fallacieuse."
La journaliste donne comme exemple une étude scientifique convoquée pour parler de la répercussion du stress sur l’enfant. L’étude en question porte en fait sur le stress présent chez des animaux soumis à des électrochocs, des bains d’eau froide, ou une privation de nourriture. "Des conditions sans commune mesure avec ce que vit un enfant qui n’est pas victime de maltraitance."
Pour autant, ne jetez pas le bébé avec l’eau du bain. Isabelle Roskam invite à se servir de l’éducation positive comme d’un phare : "Un phare ça montre une direction, que l’on peut suivre quand on est en doute, mais le principe d’un phare c’est qu’il faut s’en approcher sans l’atteindre au risque de casser son bateau."
Déculpabiliser : il n’y a (presque) pas de déterminisme parental
On en revient, pour quelques lignes encore, à l’éducation positive. Elle sous-entend que si les parents appliquent les recettes, leur enfant sera heureux. Une sorte de déterminisme parental qui met une pression énorme sur les parents.
Dans son cabinet, la psychologue Isabelle Roskam reçoit des parents persuadés d’être coupables. Mon enfant de 15 ans n’a pas d’ami ? C’est parce que j’ai eu une dépression post-partum quand il avait 6 mois. "Ça a pu laisser des traces, mais de là à faire un lien de cause à effet…"
Le devenir d’un enfant, c’est le résultat d’une équation complexe, multifactorielle. L’éducation donnée par les parents n’est qu’un des facteurs. Interviennent aussi les gênes de l’enfant, son tempérament, ses capacités émotionnelles, d’attention, ses enseignants, ses copains, les médias…
Le tempérament (base génétique de la personnalité) compte pour 50% de la variance d’un comportement. Quand on fait des études sur l’effet lié aux parents, on est à 10%.
"Des études scientifiques estiment que le tempérament (base génétique de la personnalité) compte pour 50% de la variance d’un comportement, précise la professeure de psychologie. Quand on fait des études sur l’effet lié aux parents, on est à 10%. Donc on fait ce qu’on peut avec les enfants qu’on a."
"Il faut substituer à ce mythe de l’enfant parfait, l’image du parent qui chemine" ajoute la journaliste spécialiste des questions d’éducation qui pointe une surenchère dans la pression mise sur les parents. "Avant, c’était 'Tout se joue avant 6ans', maintenant on en arrive à 'Tout se joue avant la naissance' !"
Cas pratique 1 : la colère
Que faire face à l’enfant qui pique des colères sans arrêt, dès qu’il ressent une frustration ? On l’avait dit : pas de recette miracle, mais des pistes.
La première règle à suivre, conseille Isabelle Roskam, c’est de ne pas revenir sur ce qui a déclenché la frustration. Sinon l’enfant comprend vite que la colère est un moyen d’arriver à ses fins. Tenir le cadre, à long terme, c’est ce qui va faire que les colères s’arrêteront.
Faire attention, aussi, à ne pas associer, dans la tête de l’enfant, des bénéfices secondaires à ces colères : si on leur donne beaucoup d’attention, des câlins, par exemple.
Ensuite, il n’y a pas qu’une bonne façon de faire. Le laisser crier dehors, en le ramenant à la collectivité ("tu peux crier, mais pas casser les oreilles des autres") peut être une solution.
Ou l’isoler dans sa chambre, pourquoi pas, mais pas s’il est anxieux, ou si le parent lui-même est anxieux quand son enfant est sans surveillance. Il faut choisir quelque chose que l’on peut tenir, et avec lequel on est confortable.
Convenir de ce qu’on va faire à chaque fois que ça se passe.
"Il faut que le parent soit confortable avec la décision qu’il a prise, insiste la professeure en psychologie du développement. Bien sûr, on doit privilégier quelque chose qui ne soit pas violent. Ce n’est pas nécessaire de pousser l’enfant dehors, de lui crier dessus. Il y a juste à convenir de ce qu’on va faire à chaque fois que ça se passe."
Parlementer avec l’enfant pendant qu’il est en colère ne sert à rien, il n’en est pas capable à ce moment-là. Mieux vaut laisser la colère se passer, et y revenir par après, à l’aide d’un livre d’histoire comme "Grosse colère" (Ecole des Loisirs, 2000) par exemple.
Cas pratique 2 : quitter la plaine de jeux
Comment gérer un enfant qui ne veut pas quitter la plaine de jeux ? En extérieur, on n’a pas les mêmes ressources qu’à la maison, et l’enfant le sait.
Il peut être bon de rappeler le cadre (et de le faire répéter par l’enfant) avant de se rendre à la plaine de jeux (3 règles maximum) : ne pas bousculer les autres, par exemple, et partir à l’heure fixée.
Il reste un quart d’heure.
"Ces règles doivent être non négociables, défend Isabelle Roskam. Mais ça n’empêche pas d’anticiper, de dire un quart d’heure avant l’heure de départ prévue qu’il reste un quart d’heure. Les enfants n’ont pas conscience du temps donc ça peut aider. On peut faire ça pour les écrans aussi, mettre une minuterie."
Cas pratique 3 : la dispute entre frères et sœurs
Le conflit est nécessaire. La seule mission des parents c’est de s’assurer que le conflit se résolve de manière non violente. “Mais tant que les enfants se chamaillent, on peut les laisser faire, les laisser trouver une solution eux-mêmes. Le conflit est sain. Si on désamorce chaque conflit pour eux, ils ne seront pas armés dans la cour de récré.”
Le conflit est sain.
Si ça dégénère dans le non-respect de l’autre, alors, le parent peut amener vers l’empathie, la prise de conscience des besoins de l’autre, et la recherche d’une solution pour que les envies et besoins des deux soient respectés, ou d’un modus vivendi si ce n’est pas possible.
Ne pas s’interdire de punir
Pour la psychologue de l’UCLouvain, les punitions peuvent aider à faire prendre conscience à l’enfant qu’il a dépassé une limite, à lui rappeler la règle.
Mieux vaut, par contre, ne pas inventer la punition sur le moment. Elle risque d’être exagérée, inconsistante, intenable. Et lever une punition lancée impulsivement serait pire que tout. Souvent, les situations de transgression se répètent, on peut donc anticiper et dire à l’enfant : quand tu fais ça, la conséquence est celle-là.
L’idéal étant de trouver une punition proportionnelle, en lien. Par exemple, “tu ne t’es pas bien comporté pendant cette activité-là, on ne la fera plus cette semaine.” “A ce moment-là, ça devient juste un rappel du cadre”, pense la psychologue.
Tolérer le risque
Des études montrent que l’hyperparentalité (l’hyper investissement vis-à-vis des enfants) est associée à une diminution des activités physiques. "Les jeunes couraient 600 mètres en trois minutes il y a quarante ans, aujourd’hui ils mettent une minute de plus, affirme Serge Dupont, chargé de cours invité à la Faculté de psychologie de l’UCLouvain, autre coauteur de l’étude sur le culte de l’enfant. Ce serait lié aux pratiques des parents, qui les surprotègent, qui, par exemple, ne les envoient pas au foot parce qu’il fait trop froid."
Il y a des risques raisonnables qu’il faut pouvoir accepter.
"On ne dit pas qu’il faut les exposer à des dangers, mais on peut se poser la question de savoir si on ne va pas trop loin, si on ne les protège pas trop. Il y a de moins en moins d’enfants qui vont seuls à l’école primaire par exemple."