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Gaspillage alimentaire : "En respectant le produit, on respecte son producteur aussi"

En Belgique environ 3,6 millions de tonnes de nourriture sont jetées tous les ans.

© Image par Ben Kerckx de Pixabay

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Votre frigo est plein et souvent, vous en venez à jeter les courgettes, concombres et autres nourritures que vous n'avez pas consommées ? Vous n'êtes malheureusement pas le seul... En Belgique, environ 3,6 millions de tonnes de nourriture sont jetées tous les ans. La Québécoise Estelle Richard, auteure du livre Pour en finir avec le gaspillage alimentaire et la Française Natacha Mouton, auteure de Ma petite Cuisine Anti-Gaspi, nous expliquent leurs méthodes pour ne pas jeter nos aliments à la poubelle.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (FAO), la production des aliments gaspillés dans le monde implique l’exploitation de 1,4 milliard d’hectares de terres agricoles, une superficie équivalente à celles du Canada et de l’Union européenne combinées, et la consommation de 250 KM³ d’eau annuellement, soit l’équivalent du débit du fleuve Volga en Russie. Des chiffres qui prêtent évidemment à réfléchir.

Les statistiques très choquantes permettent souvent de prendre conscience de l’ampleur du phénomène et de faire naitre un désir de changement.
 

Tout le monde sait que le gaspillage alimentaire est une réalité. Qui n’a jamais jeté un légume qui avait vieilli après une trop longue période passée au frigo ?  Pour l’auteure Estelle Richard, "on minimise souvent les gestes que l’on pose au quotidien à la maison, et on oublie aussi le fait que l’industrie agro-alimentaire est également responsable de ce gaspillage. Pourtant, comme dans tout problème, il faut commencer par reconnaître le problème, avouer que nous gaspillons, avant de trouver des solutions pour remédier au problème. Les statistiques – très choquantes - permettent souvent de prendre conscience de l’ampleur du phénomène et de faire naitre un désir de changement."

De son côté, comme première solution, Natacha Mouton tient le blog "La petite cuisine de Nat", dans lequel elle prodigue des petits conseils pratiques à ses lecteurs, qui ont conscience que c’est à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice du changement de consommation.

Au fond, quelles sont les causes de ce gaspillage ?

Elles sont multiples, et varient d’un pays à l’autre. Estelle Richard a constaté dans ses recherches qu’au Canada, l’aliment est devenu un bien de consommation comme un autre. On met le fruit ou le légume sur le même pied d’égalité qu’une paire de chaussures ou n’importe quel objet qu’on achète. La valeur qu’on lui donne correspond au prix qu’on a payé en magasin. En réalité, les aliments sont essentiels pour subvenir aux besoins vitaux de l’être humain, mais on a perdu ce lien affectif qu’on avait avec l’aliment. Il y a un siècle, l’aliment avait une valeur sacrée mais tout cela s’est étiolé avec l’industrialisation et la transformation/restauration rapide des aliments. "Ce qui a bouleversé notre relation à l’aliment, c’est que l’humain est passé d’un statut de mangeur à un statut de consommateur. Jeter un aliment n’est plus grave de nos jours", dénonce Estelle Richard.

Comment faire le premier pas pour changer ses habitudes ?

Pour Estelle Richard, cela dépend de chacun et de ses motivations. Pour certains, ce sera l’écologie qui initiera le changement. En effet, les gaz à effet de serre induits par le gaspillage alimentaire sont très importants, et cela peut motiver certaines personnes à être plus vigilant. Pour d’autres, c’est l’aspect pécunier qui aura un impact : gaspiller de la nourriture, au fond, c’est gaspiller de l’argent, et les montants peuvent vite devenir importants. Dans les pays occidentaux, les études mettent en évidence un montant d’environ 1000 dollars canadiens (soit environ 675 euros) par année et par ménage gaspillé en aliments. Pour d’autres encore, la motivation sera sociale : pour éviter le gaspillage alimentaire, on peut aussi rencontrer des personnes pour produire et consommer des aliments à travers une communauté.

"J’ai la chance d’habiter dans une région où vivent plusieurs petits producteurs chez qui on peut directement acheter nos légumes et nos fruits" explique Natacha Mouton. "Un jour, je me suis rendue compte que lorsque je rentrais à la maison avec un bouquet de carottes et leurs fanes, je les coupais et les jetais directement pour que ça ne prenne pas de place au frigo. Mais ça prenait une place folle dans la poubelle. J’ai d’abord commencé à faire des bouquets de fanes dans ma cuisine, puis, sachant qu’on pouvait manger des fanes de radis, je me suis dit que peut-être, les autres fanes étaient également comestibles. J’ai découvert des recettes avec certaines fanes et je me suis lancée là-dedans comme on se lance dans un jeu. Même si j’étais sensibilisée à la question du gaspillage depuis mon enfance, je n’étais pas concentrée sur cet objectif au départ. Naturellement, les fanes, les feuilles, les épluchures ont suivi, c’est devenu un jeu et j’ai partagé mes trouvailles et recettes avec mes amies et sur les réseaux sociaux. Ce sont eux qui m’ont poussée à partager. Ce partage a pris un essor fou qui m’a fait me rendre compte que les gens étaient concernés. C’est à ce moment-là que je me suis intéressée au gaspillage alimentaire. Quand j’ai pris conscience de ce qui était produit pour être détruit quasi immédiatement, je me suis dit que j’allais apporter ma pierre."

C’est grâce à ce cheminement que l’on peut maintenant réaliser 80 recettes anti-gaspillage en se procurant le livre "Ma Petite cuisine anti gaspi". Et celle-ci prévient d’emblée : la cuisine anti-gaspi doit rester savoureuse, ça ne sert à rien de cuisiner quelque chose qui ne nous plait pas. Ca reste de la cuisine avant tout.

Que faire avec des fanes ?

Le plus basique, ce sont les soupes de fanes. Vous pouvez mixer les fanes dans n’importe quelle soupe, ou en faire un velouté à base de crème fraîche. En été, on peut faire des pestos de fanes de radis, de navet, de carottes (tout ce qui est de saison, en gros) : il suffit de mixer les fanes avec un peu d’huile d’olive, de parmesan et des graines de votre choix (noix, pignons de pin ou autre), et ça fait une sauce incroyable pour des pâtes. En apéro, on peut aussi utiliser ce pesto sur une pate feuilletée et en faire des formes qu’on passe au four. Ca ne coute quasi rien et c’est délicieux. 

L'exode rural n'est pas pour rien dans le gaspillage alimentaire

De nos jours, aller faire ses courses au supermarché est encore la façon la plus répandue de faire ses courses car on y trouve de tout en toute saison. Pourtant, quand on sait qu'un produit acheté au supermarché a dû parcourir en moyenne 2400 kilomètres, faire ses courses chez un producteur local proche de soi reste la meilleure option qui soit.

Au fond, pourquoi avons-nous délaissé le commerce de proximité pour se rendre dans les supermarchés ? Le fait qu’on soit nombreux en ville depuis un siècle environ et que les producteurs, eux, aient très peu l’opportunité de produire directement en ville – hormis les quelques initiatives d’agriculture urbaine – fait qu’on a tendance à se détourner de l’achat chez le producteur, explique Estelle Richart.

Par ailleurs, notre alimentation s’est fortement diversifiée avec le temps et on se retrouve donc souvent à consommer des aliments qui ne sont pas du tout de saison dans nos pays. Cela implique forcément une longue distance parcourue, même pour des produits qui sont entrés dans les habitudes de consommation d’une large partie de la population. Prenons le chocolat ou encore le café, 2 produits qui sont fabriqués très loin ou qui demandent, pour une fabrication en Belgique, des matières premières produites dans un autre continent que le nôtre. Il ne faut pas pour autant arrêter de consommer du café ou du chocolat, mais essayer de consommer ceux qui viennent du pays le plus proche de chez nous. "Enfin, aller au marché pour acheter ses produits, c’est aussi rencontrer le producteur qui a produit le fromage qu’on s’apprête à manger et ça ajoute une autre valeur à l’alimentation", ajoute Estelle Richart

Les supermarchés mettent le pied dans la porte du "local"

Les supermarchés ont compris et intégré le fait qu’il y avait un intérêt à mettre en avant les producteurs locaux et le bio. Les grandes surfaces modifient leur façon de vendre pour répondre à ce besoin. "En France, on a tellement martelé auprès de la population qu’il fallait manger local et de saison que c’est pris en compte par beaucoup de clients, ou du moins ceux qui s’intéressent à ce qu’ils mangent", explique Natacha Mouton. "Le bio a fait une entrée fracassante sur le marché et les supermarchés se sont adaptés : ils ont mis en place des petits îlots réservés au bio. Ceci dit, ça reste du marketing, c’est uniquement pour plaire à une clientèle. Car en réalité, le bio en question vient souvent de l’autre bout du monde et est suremballé. Le jour où les clients comprendront que le bio de grandes surfaces n’est pas la solution et qu’il vaut mieux consommer local, les grandes surfaces s’adapteront aussi. En tant que client, il faut se rendre compte que notre façon d’acheter est aussi notre façon de voter."

En respectant le produit, on respecte son producteur aussi

Natacha Mouton précise qu’elle n’a pas arrêté d’aller dans les grandes surfaces. Elle s’y rend encore pour certains produits. Mais pour les produits frais, elle préfère les petits producteurs qui lui permettent de participer à l’économie locale. cela lui fait plaisir de savoir que des producteurs vont savoir vivre grâce à ses clients. "Quand on est en contact avec le producteur de l’aliment qu’on s’apprête à acheter et consommer, on respecte le produit et on en jette le moins possible. En respectant le produit, on respecte son producteur aussi. Notre façon d’acheter, c’est une façon d’influer sur les commerces, et si on peut participer à limiter la surproduction qui tue notre planète, c’est une pierre qu’on apporte et qui me plaît."

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