Un jour dans l'histoire

Gaufre de Bruxelles, gaufre de Liège, ce n’est pas la même histoire !

© Martin Godfroid

En 1864, à la Foire aux Pains d’épices de Paris, l’ancêtre de l’actuelle Foire du Trône, on s’amuse et on se sustente en se gavant de confiseries : sucres d’orge, pains d’épice, bien sûr, mais aussi pâtes d’amande de Lille, briques de Reims, moustacholles de Tournai, Nonettes de Commercy et gaufres de Bruxelles. De Bruxelles et pas encore de Liège… Mais d’où viennent ces fameuses gaufres qui, aujourd’hui, font la renommée de la Belgique ? Voici l’histoire de la gaufre racontée par Pierre Leclercq.

Pierre Leclercq est membre du Centre de Gastronomie Historique,
collaborateur scientifique de l’université de Liège.

 

La gaufre de Bruxelles est rectangulaire. Sa pâte, assez liquide, couvre bien l’entièreté du moule. La pâte est très aérée, grâce aux blancs d’oeufs montés en neige, elle est parfois levée, et tout cela rend la gaufre très légère. Elle n’est pas sucrée. Elle sert plutôt un support à des fruits, de la chantilly, du chocolat, pour devenir un plat de dessert ou de 4h.

Sa consommation n’est donc pas du tout la même que celle de la gaufre de Liège, qui se suffit à elle-même. Tout se trouve dans la pâte, y compris le fameux sucre perlé ou les éventuels arômes. C’est une pâte à brioche, moins liquide, un pâton qui s’écrase dans le fer et prend une forme ovale. Elle se consomme beaucoup plus facilement, même en rue. Son mode de commercialisation est donc beaucoup plus simple.

Les gaufres de Liège et de Bruxelles se différencient non seulement par leur forme, leur consistance, leur goût, mais aussi par leur histoire. Elles n’ont effectivement pas d’ancêtre commun.

La gaufre de Bruxelles vient la première

La gaufre de Bruxelles est la plus ancienne, c’est à Gand qu’on en trouve la première occurrence, avec le chef pâtissier Florian Dacher, venu de Bruxelles, vers la fin 1830, début 1840. Dès 1864, on retrouve la gaufre de Bruxelles à la Foire aux Pains d’épices de Paris, capitale mondiale de la gastronomie, où commencent à s’imposer les spécialités régionales.

C’est en 1874 qu’on en trouve la première recette écrite, dans Pâtisserie et confitures, écrit par Philippe Cauderlier, l’auteur de la fameuse Economie culinaire. La seule différence avec la recette actuelle est que la levure n’y intervient pas, alors qu’on en ajoute parfois aujourd’hui.

Chose étonnante : dans l’ouvrage d’office Le Cannaméliste français, rédigé par Gillers, en 1751, on trouve la toute première recette de gaufre à la flamande, et elle est exactement la même que la recette de la gaufre de Bruxelles aujourd’hui, y compris avec la levure de bière.

Pendant tout le 19e siècle et la première moitié du 20e siècle, on a donc cette gaufre de Bruxelles et cette gaufre à la flamande qui cohabitent dans les ouvrages de cuisine, l’une sans et l’autre avec levure. Ce n’est que dans la seconde moitié du 20e siècle que la dénomination 'gaufre de Bruxelles' va s’imposer, très probablement via le commerce, désignant ainsi les deux types de gaufre.

La gaufre de Bruxelles est donc vraiment une gaufre traditionnelle, ancienne, qui s’est construite par étapes, au fil des siècles, par l’ajout de plusieurs ingrédients, la levure de bière, puis les blancs d’oeufs en neige.

Puis arrive la gaufre de Liège

C’est seulement à la fin du 19e siècle qu’on parle de la gaufre de Liège, avec une recette de Léon Roty, le président de l’association des Pâtissiers belges, publiée dans Le journal de cuisine, à Liège, en 1890.

Son originalité, c’est sa pâte briochée, qu’on va cuire entre deux fers, une recette qu’on n’a jamais vue dans les recueils de recettes jusque-là. Elle est composée d’oeufs, de farine, de beurre, de levure, de beaucoup moins de lait que la gaufre de Bruxelles, et de sucre. On y met d’abord du sucre candi, qui donne ce croquant, puis on passera au sucre perlé, qui a l’avantage de mieux résister à la chaleur et à l’humidité. Ce sucre perlé qui est aujourd’hui la marque de fabrique de la gaufre de Liège.

La pâte doit reposer 6 heures avant d’être cuite entre deux fers. C’est la levure qui va faire lever la pâte et rendre la gaufre particulièrement moelleuse. On l’utilise dès la moitié du 17e siècle. La boulangerie et la pâtisserie à la levure de bière, c’est une spécificité de nos régions du Nord, la bière étant la boisson locale. Alors qu’en France, on utilise plutôt la technique du levain.

Et avant ?

Les premières apparitions de la pâtisserie cuite entre deux fers remontent en fait au 13e siècle, au moment où le métal se démocratise, grâce aux développements de la révolution agricole.

Ce sont les gaufres ou les wafels chez nous. Ce sont les métiers ou les oublies en France, un mot dérivé du latin oblata, hostie, car il s’agit d’une hostie désacralisée. Les gaufres se vendent dans la rue ou aux particuliers, pour leurs banquets, où on les consomme typiquement en fin de repas avec l’hypocras, un vin épicé. Elles peuvent prendre la forme de cornets ou de cigarettes russes.

Le 14e siècle voit apparaître le premier prototype connu de gaufres alvéolées, celui que l’on connaît aujourd’hui.

Les gaufres vont rester longtemps l’apanage des professionnels, des oublieurs à Paris ou des vendeurs dans les foires et les salons de dégustation. C’est le développement de l’électroménager qui va faire entrer la fabrication des gaufres dans les foyers, avec le fameux gaufrier qu’on offre en particulier au moment du mariage.
 

La suite de cette histoire passionnante, par ici…


Pour aller plus loin

>> Pierre Leclercq donnera une conférence-dégustation sur les gaufres à l’Archéobistrot du Préhistomuseum de Flémalle, le 12 janvier (réservations 04 228 97 61) et à la Faculty à Anderlecht, le 26 janvier (réservations eventbrite.be)

>> L’histoire à pleines dents, la chaîne Youtube de Pierre Leclercq

>> La page Facebook de Pierre Leclercq

>> Le centre de la Gastronomie historique


 

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