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Gaz russe : le géant allemand Uniper au bord du gouffre, se dirige-t-on vers une crise du gaz en Europe ?

Un employé inspecte les installations de stockage de gaz naturel d’Uniper Energy Storage à Bierwang

© LENNART PREISS / AFP

Par Jean-François Herbecq

C’est la chronique d’une pénurie annoncée. Peu à peu, la Russie referme les vannes qui approvisionnent l’Europe en gaz. Motif avancé : la force majeure. Gazprom évite ainsi de devoir payer des indemnités.

Cette diminution déjà réelle des livraisons de gaz russe met dès aujourd’hui une entreprise en grande difficulté : Uniper, qui importe et stocke le gaz. Le géant allemand de l’énergie manque de liquidités pour fonctionner. Vu les interruptions d’approvisionnement en provenance de Russie, il a fallu acheter du gaz au prix fort sur les marchés et les caisses d’Uniper sont vides. La faillite guette, et avec elle peut-être une cascade d’autres, à la "Lehman Brothers"…

L’Europe contemple cette débâcle avec inquiétude. Sa dépendance à l’égard du gaz russe fait craindre pour l’hiver prochain. Alors, il existe deux pistes de sauvetage, toutes deux insuffisantes : réduire sa consommation et stocker dès maintenant, et puis aller chercher ailleurs du gaz, plus loin que la Russie, en Norvège, en Algérie, en Azerbaidjan ou dans le Golfe. Tout cela pendant que l’Europe suffoque ou est la proie des incendies…

Force majeure

Cela fait des mois que les livraisons de gaz russes sont instables. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine fin février. Mais l’envoi en réparation au Canada d’une turbine du gazoduc Nordstream 1 a aggravé les problèmes. Les sanctions empêchent le retour de la pièce directement en Russie, d’où part le gaz.

L’Allemagne, où arrive le gaz naturel ensuite distribué ailleurs en Europe, a obtenu de la réceptionner afin de l’envoyer dans un deuxième temps en Russie. Premier retard car la turbine n’est toujours pas arrivée à destination.

Mais une maintenance de routine de Nordstream 1 provoque un second retard. En tout cas selon Gazprom qui invoque la "force majeure" pour justifier des problèmes de livraison vers l’Europe.

Le terminal du Nordstream 1
Le terminal du Nordstream 1 © JOHN MACDOUGALL / AFP

Dans un courrier, daté de jeudi, l’entreprise indique ne pas pouvoir assurer ses obligations en raison de circonstances "extraordinaires". Les opérations de maintenance ont bon dos. Il faudra vois si le gazoduc pourra redémarrer comme prévu ce jeudi ou au contraire si le chantage russe monte dans les tours.

En opposant la force majeure à sa clientèle, le géant russe qui jouit d’un monopole sur les exportations nationales par gazoduc entend éviter de devoir verser des compensations pour défaut d’approvisionnement.

La Russie prétexte donc un motif technique pour ne pas reprendre ses livraisons et ainsi faire pression sur les Occidentaux dans le contexte de la guerre en Ukraine et des sanctions prises envers la Russie.

Uniper, un géant menacé par la faillite

Le courrier a été notamment envoyé à Uniper, le premier importateur et stockeur de gaz en Allemagne. Uniper, c’est plus de 11.000 employés, un géant issu de la scission en 2016 des activités fossiles d’E.ON, coté en Bourse à Francfort, détenu majoritairement par un groupe finlandais et actif surtout en Allemagne et en France.

La filiale Gazprom Export invoque la force majeure avec effet rétroactif pour justifier les manquements passés et présents en approvisionnement. Une formulation que l’entreprise allemande réprouve. Cette nouvelle la met en effet dans une très mauvaise posture. Avec les interruptions continues d’approvisionnement en gaz russe, Uniper a perdu beaucoup d’argent. Pour honorer ses contrats de livraisons, l’entreprise a dû acheter du gaz sur le marché où les prix ont explosé.

Et donc le groupe perd des "dizaines de millions d’euros" chaque jour, avait prévenu récemment son PDG, Klaus-Dieter Maubach. Pour parer au plus pressé, Uniper a demandé à être renfloué par les pouvoirs publics. Elle a déjà reçu une ligne de crédit de 2 milliards d’euros de la banque publique allemande KfW, mais cette avance est aujourd’hui épuisée. Des discussions continuent en vue d’une entrée de l’Etat au capital à hauteur de 25 voire 30% du capital.

Mais les négociations coincent entre le gouvernement allemand et l’actionnaire majoritaire de Uniper, Fortum, détenu à environ 51% par l’Etat finlandais. Berlin souhaiterait que Fortum participe lui aussi au plan de sauvetage, mais Fortum dit avoir déjà allongé 8 milliards d’euros et les Finlandais préfèrent une restructuration pour placer les activités à risque dans une société propriété du gouvernement allemand. Une décision est attendue avant la fin du mois. Les jours qui viennent seront décisifs.

Faudra-t-il sauver les fournisseurs du gaz, comme les banques l’avaient été après la crise financière de 2008 ? Si Uniper était précipitée à la faillite, on craint en Allemagne des faillites en cascade comparables à un "Lehman Brothers" de l’énergie. Une catastrophe pour l’Allemagne avec peut-être des répercussions au niveau européen.

L’Europe tente de stocker et de trouver des fournisseurs autres que la Russie

La saga Uniper n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg. C’est tout l’approvisionnement en gaz de l’Europe qui est pris en otage. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a encouragé les pays européens à "tout faire" pour diminuer leur consommation de gaz afin d’éviter un "hiver rude".

Première piste : le gaz livré mais non consommé pourrait ainsi être stocké pour les prochains mois. "Si des mesures ne sont pas prises maintenant, l’Europe se trouvera en position de vulnérabilité et sera bientôt forcée d’imposer des réductions drastiques", a prévenu le directeur de l’Agence, Fatih Birol, qui a souligné la nécessité de se montrer solidaires entre pays européens pour faire face à la crise énergétique.

Dès demain, mercredi, la Commission européenne dévoilera son agenda pour sortir de la crise énergétique. Il faut s'attendre à un dispositif assez contraignant de réduction de la consommation: la Commission proposera les quotas, les Etats-membres décideront de les appliquer à la majorité qualifiée.

Une solution qui a ses limites, car économiser pendant l’été ne permet pas de tenir tout l’hiver. Et on voit par exemple déjà qu’Uniper puise dans les réserves stratégiques allemandes ce qui bloque le remplissage des stocks nationaux avant l’hiver.

Reste l’autre option : diversifier ses fournisseurs. L’Europe est donc partie faire son shopping. 

Pour l’aider, la semaine dernière, le président américain Joe Biden était en Arabie saoudite pour tenter d’obtenir un relèvement de la production pétrolière de manière à juguler la hausse des prix de l’énergie.

Les Européens mettent également une partie de leurs espoirs vers une hausse de la production de gaz en Norvège qui explore de nouveaux champs pétrolifères et gaziers en mer.

L’Europe tourne aussi son regard vers l’Azerbaïdjan où la présidente de la Commission Ursula von der Leyen était en mission. Bakou livre déjà depuis des décennies son gaz à l’Europe et l’Union souhaite doubler les importations en quelques années

Mario Draghi était lundi en Algérie
Mario Draghi était lundi en Algérie © AFP

Le Premier ministre italien Mario Draghi était lundi en Algérie pour sceller des accords en vue d’accroître les livraisons de gaz algérien à Rome. L’Algérie est devenue ces derniers mois son premier fournisseur en gaz après avoir été longtemps devancée par la Russie d’où provenaient 45% des importations gazières de la péninsule. L’Algérie va augmenter ses livraisons de gaz à l’Italie, en exportant quelque 4 milliards de m3 supplémentaires dans les prochains jours. L’italien Eni gère avec le géant algérien des hydrocarbures Sonatrach le gazoduc TransMed qui relie le pays à l’Italie, via la Tunisie.

Le président des Émirats arabes unis, l’un des plus importants exportateurs de pétrole, Mohammed ben Zayed est en visite en France depuis lundi. Le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, était au Qatar en mars.

Mais ici aussi, cette recherche risque de ne pas rapporter assez de gaz si jamais les pipelines venant de Russie étaient tout à fait fermés.

Et surtout, ce type de solution reste un problème au regard des engagements pris par les pays européens de réduire leur dépendance aux énergies fossiles pour espérer inverser le changement climatique, comme promis en novembre dernier à la COP26 de Glasgow de réduire les émissions de gaz à effet de serre à un niveau net de zéro d’ici à 2050. La sécheresse, la chaleur, les incendies, les effondrements de glaciers dans les Alpes sont là pour rappeler l’urgence.

Sur le même thème : JT du 28/05/2022

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