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Giorgia Meloni à Bruxelles après son projet de loi controversé sur les rave parties

Italie : Un décret qui fait polémique

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Par Africa Gordillo, Pascal Claude et notre correspondante en Italie Valérie Dupont

La nouvelle présidente du Conseil en Italie, Giorgia Meloni, est à Bruxelles ce jeudi 3 novembre pour rencontrer les hauts responsables européens.

Pour son premier déplacement à l’étranger depuis son arrivée à la tête du gouvernement, elle rencontrera la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen Charles Michel et la présidente du Parlement européen Roberta Metsola.

Quels sont les enjeux de ces rencontres. Entretien avec notre correspondante en Italie, Valérie Dupont.

Pourquoi cette première rencontre avec les autorités européennes est-elle si importante pour l’Italie et pour l’Europe ?

"Clairement, pour Giorgia Meloni, c’est la journée clé de son début aux commandes du gouvernement italien. Symboliquement, pour elle, une souverainiste, pénétrer dans le temple de l’européisme, ce temple qui, il y a encore quelques années, elle voulait tout simplement démolir lorsqu’elle était parlementaire, c’est déjà un geste de realpolitik, comme on dit.

C’est reconnaître que sans l’Union européenne, l’Italie ne pourra pas affronter les défis et les problèmes actuels. Mais Giorgia Meloni se garde bien de faire une entrée triomphale. Si je ne me trompe, elle n’a pas prévu la présence de la presse à la poignée de main avec Ursula Von der Leyen ou encore avec Charles Michel. Pas de conférence de presse commune non plus."

 

La cheffe du gouvernement italien vient à Bruxelles avec le dossier énergie en tête ?

"Ah oui, sans aucun doute, l’énergie sera sur la table car la première mission de Giorgia Meloni, c’est de récupérer des sous, des ressources pour justement affronter les problèmes de la population et des entreprises italiennes liés aux factures énergétiques.

Mais sans aucun doute, les deux femmes, Ursula von der Leyen et Giorgia Meloni, vont devoir apprendre à se connaître, un peu comme deux combattantes devant évaluer les points forts et les points faibles de l’adversaire. Giorgia Meloni veut rentrer en Italie ce soir en disant que la voix de l’Italie en Europe est maintenant forte et entendue, qu’il n’est plus question de se laisser marcher sur les pieds ; autant de clichés qu’elle a toujours répétés lorsqu’elle était à l’opposition et pendant sa campagne électorale, même si… c’est un peu difficile de croire que Mario Draghi se faisait marcher sur les pieds en Europe, mais cela fait partie de la rhétorique souverainiste en Italie.

Giorgia Meloni apporte une seule certitude, c’est son soutien à l’Ukraine et aux sanctions contre la Russie. La loi pour livrer des nouvelles armes à Kiev sera votée avant la fin de l’année, mais elle considère que le prix à payer pour cette guerre doit être partagé équitablement entre les États membres.

Son rêve, c’est un nouvel emprunt commun pour affronter les problèmes énergétiques, ce que l’Allemagne ne veut absolument pas. Elle espère que la Commission européenne va donc lui donner un peu de lest pour son budget 2023. En gros, elle va sonder pour comprendre jusqu’où elle peut aller, sachant que la dette publique italienne atteint 150% du PIB.

Mais l’Europe doit aussi savoir que si l’Italie des souverainistes n’obtient pas un vrai mécanisme de solidarité dans la crise énergétique ou une écoute sur les migrants… d’ailleurs, il y a déjà un bras de fer avec l’Allemagne qui a protesté officiellement contre l’Italie, qui a laissé en rade le bateau Humanity, un bateau avec un pavillon allemand chargé de migrants, dont une centaine d’enfants.

Bref, si Giorgia Meloni n’obtient pas quelque chose, la bataille de Rome contre Bruxelles ne fera que commencer. Et cela, sans doute qu’Ursula Von der Leyen veut l’éviter pour l’instant. Voilà pourquoi elle va peut-être éviter les sujets qui fâchent, du moins en tous les cas pas tout de suite."

 

Justement, les sujets qui fâchent, c’est le respect des droits. Et ce qui apparaît clairement, c’est que les premières décisions du nouvel exécutif italien ne sont pas rassurantes.

"En effet. Rappelons d’abord que ce gouvernement est quand même composé à 75% de ministres souverainistes, nationalistes, conservateurs et pour certains néofascistes ; c’est important de le rappeler. Donc, personne en Italie ne s’attendait à ce que les premières décisions soient identiques à celles d’un gouvernement modéré ou progressiste.

Étant donné que sur l’économie, on vient de le voir, l’inflation, l’énergie et les décisions dépendront de ce que Giorgia Meloni obtiendra avec son dialogue avec la Commission européenne, les premières actions de ce gouvernement sont des espèces de drapeaux identitaires qu’ils ont commencé à planter pour bien marquer leur différence et contenter leur électorat d’extrême droite. Alors, l’un de ces drapeaux, c’est la discipline.

Ainsi, lundi, le gouvernement a adopté un décret contre les rave parties, car ce week-end, à Modène, 3000 jeunes ont pris part à une rave party Halloween. Une rave party, ce sont des retrouvailles spontanées dans un champ ou dans un entrepôt de milliers de jeunes sur fond de musique techno avec alcool et drogues présents.

Que prévoit ce texte et pourquoi est-il précisément un danger pour la liberté ?

"D’abord, plutôt que d’utiliser les normes existantes dans le Code pénal italien, l’extrême droite a décidé d’écrire une nouvelle loi avec un nouveau crime sur l’occupation non autorisée, qui dit que si un groupe de 50 personnes ou plus envahit un immeuble ou un terrain sans autorisation et que ce groupe met en danger l’ordre public ou la santé d’autrui, il est punissable d’une peine de prison jusqu’à six ans de détention et d’une amende de 10.000 euros. C’est énorme.

Le hic, c’est que la norme ne fait pas référence explicitement aux rave parties, et donc c’est ouvert à toutes les interprétations qui limiteront le droit à la manifestation. Et bien sûr, c’est là le problème. Pour Nicola Fratoianni, un élu de l’opposition de gauche, "C’est une norme très ambiguë. À qui sera-t-elle appliquée, cette norme ? Elle est présentée comme un outil pour s’attaquer aux rave parties, comme si cela était le principal problème de l’Italie en ce moment. Mais très probablement, elle risque d’être utilisée dans d’autres cas pour des manifestations, des occupations dans les universités ou des flashs mobs."

Dans les universités ?

"En effet, car 50 personnes qui décident de manifester, c’est deux classes dans une école, dans une université, de manière spontanée, qui risquent donc gros avec cette nouvelle loi. Une limite à la liberté de manifester que l’opposition va évidemment contraster au Parlement, car beaucoup en Italie crient déjà à l’État policier. Dans les journaux ce matin, même des élus du parti de Giorgia Meloni, Fratelli d’Italia, annoncent qu’ils veulent aussi modifier le texte, mais elle affirme être très fière de cette nouvelle norme."

Et si on résume, on a l’impression que Meloni veut montrer patte blanche en Europe et que c’est en interne qu’elle entend montrer ses différences.

"Oui, cela semble très clair maintenant, et non seulement avec cette nouvelle loi.

J’aimerais quand même juste faire une petite parenthèse : en 2012, la Russie de Vladimir Poutine avait aussi commencé par agir avec une loi pour punir les manifestations avec des peines de prison. Alors, c’est vrai qu’en Italie, on n’en est pas là. Giorgia Meloni n’en est pas là mais elle veut montrer qu’elle entend bien mettre en œuvre son programme électoral.

Et clairement, la limitation des libertés ne touchera pas l’Italien moyen, mais tous ceux qui, aux yeux de l’extrême droite, font tache, ceux qui ne marchent pas dans les rangs, les migrants, les anarchistes, la gay pride demain, et on va rapidement voir si la démocratie italienne a les anticorps pour résister."

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